L'imposition sonore

Publié le 31 mai 2010 par Desartsonnants

DE L'IMPOSITION DU SON
CREATION SONORE EN ESPACE PUBLIC

Le son omniprésent, permanent, comme une strate environnementale imposée : réflexion écologique ou thème de science-fiction qui tendrait à devenir réalité ?
Mais de quelle imposition parlons nous ici ? Il peut être judicieux de revenir sur les acceptions du mot impositions au fil du temps pour en préciser les contours pouvant se rapporter à la chose sonore imposée.
Définissions tirées du dictionnaire Les Trésors de la Langue Française (et leurs commentaires).

- 1 Action de poser sur quelqu'un ou quelque chose.

Peut on dire que l'on pose du son sur quelqu'un ou quelque chose, sachant que le sonore en question est qualifié d'immatériel et d'intangible. Mais le son est-il si intangible et immatériel que cela ? Les vibrations, l'énergie sonores, les basses fréquences à fort volume ne nous font-elles pas vibrer, dans le vrai sens du terme, jusque parfois vers des malaises physiques d'un corps trop malmené par ces ondes soniques ? Je n'entrerais pas ici dans le sujet sensible, consacré aux armes soniques et à la torture par le son, points extrêmes d'imposition psychique et corporelle violente et dégradante. Je vous renverrai plutôt à la lecture d'un formidable dossier  concocté par Juliette Volcler, et traitant du son comme outil de manipulation propagandiste et armes sonores.

- 2 Imposition des mains. Action de poser, d'étendre les mains sur quelqu'un ou sur quelque chose pour le bénir, le guérir, lui conférer un pouvoir.

Ici, on ne connaît guère d'imposition qui conférerait un pouvoir via le son, bien que certains massages dits sonores, entre autre ceux effectués grâce à la vibration de bols tibétains faisant vibrer et résonner certaines parties du corps sont sensées nous apaiser, canaliser ou stimuler des énergies positives, voire nous guérir. Mais ne maîtrisant pas le sujet, je ne m'aventurerais pas plus loin sur ce terrain.
- 3 Action d'obliger à subir ou à faire une chose généralement désagréable, pénible ou difficile.
Nous touchons certainement là un sujet sensible. Un son, selon sa puissance, sa durée, son timbre, sa fréquence, son message, le lieu ou le moment où il est émis... peut-il être une gêne, voire une nuisance et dans certains cas extrêmes une torture infligée que nous avons déjà évoqué ? A priori oui, et les exemples ne manquent pas, hélas. Nous y reviendrons donc.
- 4 Action, manière de soumettre à un impôt.
Là aussi, si l'on se réfère au secteur de production musicale ou sonore, on trouve bien une, voire plusieurs  impositions via différentes  taxes dites à la valeur ajoutée, notamment sur le support et sa distribution, mais aussi des droits liés à la propriété intellectuelle, collectés et reversés aux artistes et interprètes concernés. Ce constat étant fait, je laisserai aux économistes les compétences, l'envie et les motivations pour discuter de l'imposition financière du sonore.

Le son imposé

Ceci étant dit, nous nous intéresserons  tout particulièrement à l'imposition sonore comme une action qui consisterait à proposer et parfois à soumettre, la nuance n'est pas moindre, des personnes à une écoute, souvent collective, non forcément choisie et décidée. On parlera bien ici d'imposer le son à des tierces personnes, quelque soit leur nombre, dans des espaces publics mais aussi privés. Daniel Deshays, lors d'un entretien récent dans l'émission de France Culture  "Les passagers de la nuit" à laquelle il était invité, parlait du 78 tour écoutés sur des Gramophones comme un objet qui l'intéressait beaucoup. En effet, il n'y avait aucune possibilité de régler le volume sonore, et celui-ci était par défaut assez puissant. Ce qui fait que, lorsque un occupant d'un immeuble écoutait Caruso ou Callas, c'était tout l'immeuble, et une partie de la rue qui, de fait, profitaient de cette imposition sonore. Daniel Deshays, soulignant qu'à cette époque révolue, peu de foyers possédaient des appareils de lectures phonographiques, ce qui réduisait les nuisances, parle alors d'une sorte de communion d'écoute, ou d'écoute collective. Belle image d'une certaine cohésion sociele. On peu cependant penser que certains, désirant faire la sieste réfractaires à l'opéra se seraient bien passer de cette sonorisation, si musicale fût-elle. Cette question de sons subis est d'ailleurs récurrente dans nos sociétés. Les plaintes pour troubles du voisinages relèvent très souvent d'une nuisance sonore. Nous ne chercherons d'ailleurs pas ici à connaître leurs vraies ou fausses raisons, leur aspects socio-anthropologiques, à savoir si elles sont justifiées ou non, et comment, d'un individu à l'autre, le ressenti de la chose sonore imposée peut radicalement différer. Nous noterons cette récurrence de plaintes pour nuisances comme un simple constat qui semble t-il était déjà d'actualité dès le moyen-age (et peut-être avant) vérifiable dans les registres de la justice consignant les plaintes en milieux urbains. D'autre part, muzac, lift music, ambiances de supermarchés, semaines commerciales, on subit régulièrement ces nappes sonores bruits de fond, quelques soient leurs buts, avoués ou non. La résistance ou la tolérance de ces sons, qu'elles viennent du voisin ou de l'espace public est ensuite difficile à expliquer rationnellement, tant d'une personne à l'autre, la culture, l'état physique  et les affects, entreront en ligne de compte. John Cage avait beau dire, "si un son te gêne, écoutes-le...", phrase que pour ma part j'aime beaucoup parce qu'elle tente de redonner à l'oreille une position critique, un certain recul qui évitera parfois les réactions épidermiques pouvant engendrer tensions et violences, il n'est pas toujours facile de se montrer conciliant lorsque des centaines d'automobilistes ont la main sur le klaxon espérant résorber ou se soustraire à un encombrement du vendredi soir dans lequel ils sont englués.
Sinon, il faut pour contourner ou détourner cette nuisance, prendre son magnétophone, et enregistrer cette nuée de klaxons en la reconsidérant comme un beau concert urbain, bruitiste, sauvage, comme dans une improvisation libre, un happening sonore routier... Pas toujours facile selon les moments...
Au delà de la nuisance évidente, le son peut-être usant à l'écoute de part sa permanence pernicieuse. Une ventilation dans une salle de classe, des mécanismes d'air conditionnées sur les toits des hôtels peuvent être autant d'éléments perturbants, si ce n'est franchement irritants, malgré leur faible volume sono

La création sonore en espace public

Mais venons en aux pratiques artistiques. j'ai pour ma part croisé différents cas de figures où des installations sonores permanentes, ou en tous cas restant pour un laps de temps assez important insupportaient les gardiens ou le personnel qui les côtoyaient au sein d'expositions. Là encore, je ne préjugerais pas des causes réelles de cette lassitude. Après avoir moi-même réalisé une installation sonore dans des cages d'escaliers d'une grande médiathèque villeurbannaise, des agents sont venus me voir, lors du démontage, pour m'avouer que si l'œuvre les avaient au début intéressés par la nouveauté que les sons conféraient à un espace bétonné, d'habitude plutôt sinistre, ils étaient heureux de retrouver le calme relatif de cet espace. Cependant, certains m'ont avoué plus tard qu'ils retrouveraient bien pour quelques temps en tous cas, une installation sonore qui viendrait ré-animé certains espaces publics de leurs lieu de travail. L'équilibre du son installé dans des espaces publics est donc fragile, instable, difficile à trouver, dans le volume, la densité, le cadre acoustique, la durée  et la variété des éléments installés.

Dans un autre contexte, j'ai vu des des mobiles éoliens installés en haut de mâts, sur une aire de repos autoroutières, pour masquer le flux circulatoire, être rapidement cisaillés par des routiers qui... tentaient de dormir à proximité, dans leurs camions. L'objectif au départ pensé pour réduire la nuisance des uns en amenait une supplémentaire pour les autres. Erreur de programmation dans la prise en compte de l'environnement existant.

Pierre-Alain Jaffrenou, qui a  installé un dispositif sonore dans un parc public lyonnais, m'a dit avoir choisi un lieu éloigné d'habitations, voire d'aire de pic-nique, pour préférer un lieu de passage où les sons ne s'imposeraient pas au sein d'activités quotidiennes, mais pourraient être visités de façon plus impromptue, surprenante, en traversant un bout de jardin sonore. Il a d'ailleurs choisi d'écrire un programme de diffusion aléatoire, avec de nombreux sons assez discrets, pour éviter les répétitions et la lassitude que peut engendrer une boucle sonore. Enfin dernière anecdote poétique, il aurait souhaité, dans le projet initial, que l'installation fonctionne jour et nuit, sans que personne ne soit forcément là pour l'écouter, si ce n'est quelques lièvres , lapins, ou autre faune noctambule...
Max Neuhaus a lui aussi installé des sons dans l'espace public new-yorkais, en choisissant des lieux déjà très bruyants, saturés, où l'on écoute des sources  de proximité, diffusées par des bouches d'aération de métro, qui joueraient, un peu comme le bruit blanc d'une fontaine sur une place publique urbaine, le rôle d'un effet de masque. Ceci pour tenter de capter l'audition ailleurs que vers le flot sonore hégémonique et incessant des voitures.
Parmi d'autres exemples, Eric Samakh installe des flûtes solaires au sommet d'arbres, produisant des sons très doux, proches de ceux de la nature environnante, et de plus contraints dans leur émission par le fait qu'il y ait ou non du soleil. Parfois les flûtes restent totalement silencieuses, ou chantent par intermittence, selon les caprices du temps et les passages nuageux.
L'association Aciréne avait de même installé un "Pavillon des guetteurs de son" dans un jardin public de Quetigny, près de Dijon, ou de douces sonorités de balles rebondissantes sur des tambours métalliques se faisaient entendre lorsque l'on passait à proximité de cette sculpture sonore géante. Ces sonorités étaient d'ailleurs modulées en fonction du vent, de la lumière et de l'hygrométrie ambiantes, et désactivées la nuit.
Dernièrement, Lieux Publics fait chanter le vent au fil de ses instruments éoliens le long d'une plage de Martigues, et c'est Eole qui rete le maître du jeu.
En projet, citons enfin le futur jardin sonore parisien. Celui-ci sera je cite "...Réalisé par l’agence paysagère Arpentère et le compositeur Jean-Luc Hervé, en collaboration avec l’Ircam, il accompagnera notamment la déambulation dans les allées par la reconstitution sonore d’un « écosystème craintif » (bruits d’eau, chants d’oiseaux) qui réagira à la présence bruyante ou non du visiteur, en diminuant ou en augmentant de volume..." Affaire à suivre et à écouter de près !
On pourrait encore trouver de nombreuses expérience où le sonore s'installe dans la durée, offert à l'oreille de tout un chacun, et en s'intégrant sans conflit, mais au contraire avec bonheur, au sein d'environnements naturels ou bâtis. Des artistes ont su trouver de beaux équilibres en termes de puissance, de timbre, de durée, et même de message car n'oublions pas le langage véhiculé par les sons, pour les faire harmonieusement cohabiter avec leur environnement naturels ou urbain, et surtout avec ses résidents-écoutants, s'appuyant parfois sur des traditions ancestrales telles les harpes éoliennes. Gageons cependant que de nombreuses expériences artistiques sont encore à mener pour trouver et développer de riches  points d'équilibre entre création sonore et écoute collective, ou l'imposition faite à l'écoute ne soit plus de mise dans sa vision la plus totalitaire du terme.


The Singing Ringing tree, sculture éolienne