Retraite : la lutte des classes s'affirme un peu plus

Publié le 04 juin 2010 par Letombe

La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques publie une étude qui enterre l'un des derniers mythes sarkozyens : la défiscalisation des heures supplémentaires n'a servi à rien, sauf peut-être, à quelques entreprises qui ont pu s'exonérer de cotisations sociales. Sur les retraites, Laurence Parisot clarifie des positions que le gouvernement n'ose assumer d'un bloc.
C'est la lutte des classes, qui en douterait ?
Heures sup, la réforme inutile
Le 1er octobre 2007, l'une des mesures les plus emblématiques de la mandature Sarkozy entrait en vigueur : la défiscalisation (partielle) des heures supplémentaires. On allait enfin pouvoir travailler plus pour gagner plus. Sur le papier, le dispositif semblait imparable : l'absence de cotisations sociales était une aubaine pour les entreprises; la défiscalisation des revenus supplémentaires signifiait du pouvoir d'achat supplémentaire pour les salariés. Dès 2008, nous qualifions cette mesure de dangereuse,  coûteuse et anachronique. Dangereuse car elle découragerait l'embauche de nouveaux salariés; coûteuse car l'exonération de cotisations sociales représentait un manque à gagner de 3 milliards d'euros en 2008 (dont 700 millions d'euros au bénéfice des entreprises); anachronique avec la plongée en récession. De fait, l'emploi intérimaire s'est effondré dès avril 2008, des mois avant le déclenchement de la récession, et, en 2007 comme en 2008, la loi Tepa n'a eu aucun effet sur le temps de travail des Français.
En septembre 2008, la DARES avait réalisé un premier bilan. Le gouvernement l'a soigneusement caché pendant plus de 18 mois ! L e ministère du travail a fini par publier le dit rapport le 21 mai dernier, un vendredi précédant le long weekend de Pentecote, le lendemain d'une conférence bien médiatisée sur les déficits publics. La publication de ce rapport pourtant ancien de la DARES devait passer inaperçue. Que dit la DARES ? Que cette grande mesure n'a servi à rien : une minorité d’entreprises ont effectivement augmenté leurs recours aux heures supplémentaires dans les premiers mois de la mise en œuvre de la loi Tepa. «En septembre 2008, 80% des salariés des secteurs concurrentiels étaient employés dans des entreprises déclarant ne pas avoir accru leur recours aux heures supplémentaires». Dans les 20% de salariés restants, l'augmentation du volume d'heures supplémentaires déclarées est dû d'abord à un surcroît d'activité (à 65%), ensuite à un effet d'aubaine (la loi Tepa les a rendu moins coûteuses), puis à des difficultés de recrutement. Le choix des salariés de recourir aux heures supplémentaires n'arrive qu'en quatrième motif.  Rappelez-vous le joli slogan: pourquoi empêcher des salariés de travailler plus pour gagner plus ? Et bien, le sondage de la DARES est éloquent : «Parmi les entreprises qui n’ont pas augmenté les heures supplémentaires, la proportion d’entre elles qui ont indiqué avoir résisté à une demande de leurs salariés de faire plus d’heures supplémentaires est marginale (4% des effectifs
employés).
» De plus, ce dispositif a bel et bien abimé l'emploi : pour 44% des entreprises concernées par un surcroît d'heures supplémentaires depuis Tepa, les heures sup étaient une alternative aux recrutements en CDI ou en CDD. Pour 52%, les heures sup ont carrément remplacé l'intérim. Enfin, la DARES publie des statistiques surprenantes: le volume d'heures supplémentaires par salarié à temps complet dans l'industrie comme dans le secteur tertiaire marchand a même baissé depuis 2007: les entreprises ajustent leur volume d'heures sup en fonction de l'activité, et la loi Tepa n'a rien changé à cela. Le soit-disant «blocage du travail» par les 35 heures était un mythe que cette étude est venu enterrer.
La DARES s'est également attardée sur une autre réforme, les mesures en faveur de la renonciation à des jours de congés et de la monétisation des droits à congés (articles 1 à 4 de la loi du 8 février
2008 «pour le pouvoir d’achat »). Ces dernières autorisaient, pour une période de deux ans, la possibilité de renoncer à certains temps de repos ou la possibilité de monétiser certains droits stockés sur un compte épargne-temps (CET). Là encore, le bilan est mauvais. La loi n'a pas eu les effets escomptés : la proportion d'entreprises ayant déclaré avoir reçu des demandes de rachat dans les 8 premiers mois suivant l'entrée en vigueur du dispositif est plus que modeste : «13% pour les rachats de jours de forfait, 15% pour ceux de jours de RTT et enfin 14% pour la monétisation des jours d
sur le montant des heures supplémentaires
» via les CET.
Retraites, la réforme du Medef
Mercredi dernier , Laurence Parisot livrait une interview au Figaro. Elle est assurée d'être réélue le 1er juillet prochain à la tête du patronat, faute de candidats concurrents contre elle. C'est donc une Laurence Parisot toute guillerette et sûre d'elle qui s'exprime. Sur les retraites, la présidente du Medef répète tout le bien qu'elle pense de la réforme orchestrée par Nicolas Sarkozy. Elle aimerait même qu'il aille plus loin. Parisot exprime en fait tout haut ce qu'Éric Woerth pense tout bas mais n'ose déclarer. L'ampleur de la régression sociale et de l'injustice de ses propositions ne semblent pas l'étonner. Laurence Parisot agit comme la voix des nouvelles 200 familles, celle d'une caste d'ultra-privilégiés que rien n'effraie. Ses idées sont simples et puissamment rétrogrades :
1. Repousser à 65 ans l'âge légal de départ («on comprend que la promesse de s'arrêter à 60 ans, ce n'était pas un acquis social mais au contraire une grande illusion ou un grand mensonge»),
2. Augmenter le durée de cotisations (qui impose déjà d'attendre 65 ans pour bénéficier d'une retraite complète pour la majorité de nos concitoyens),
3. Ne pas augmenter les cotisations ni les prélèvements au motif facile de la sacro-sainte compétitivité des entreprises: «taxer les hauts revenus et les revenus du capital, organiser un transfert des cotisations chômage vers les cotisations retraite, bref aller chercher de nouvelles recettes fiscales pour financer un régime de très long terme comme celui par répartition, tout cela marcherait peut-être deux ou trois ans puis nous entraînerait à nouveau dans un cercle vicieux d'appauvrissement encore plus rapide
4. N'envisager la pénibilité que comme une dérogation validée par une commission médicale : «je refuse de dire que travailler serait forcément pénible.» Qui a dit ça ?
5. Créer une nouvelle niche fiscale pour sécuriser la retraite par capitalisation.
Jeudi sur France Info , elle renchérit : «Aujourd'hui, pour une année de pension versée, savez-vous qu'un mois et demi est financé par l'endettement? C'est pour cela qu'il faut remettre l'âge légal de départ à 65 ans». Comme Sarkozy la semaine dernière, la voici qui attaque François Mitterrand: «Si nous en étions restés à 65 ans, comme c'était le cas avant 1983, nous n'aurions pas besoin de cette réforme et les caisses seraient aujourd'hui bénéficiaires. Le débat porterait sur l'augmentation des pensions ou sur la baisse des cotisations.» La patronne des patrons a le mérite de sa franchise. La lutte des classes est posée.
De fait, les déclarations de Parisot devancent habituellement de peu les annonces gouvernementales. De son côté, François Fillon, dans une interview à l'Est Républicain, manie la menace : «Ce serait un très mauvais service à rendre aux Français, notamment les plus modestes, que de faire preuve de démagogie sur cette question. S’il n’y a pas allongement de la durée d’activité, il y aura baisse des pensions.» Il était venu inauguré une rue Philippe Séguin à Epinal. Pour faire bonne figure, il confirme qu'il rabotera de 10% en deux ans, soit un effort de 5 milliards d'euros, les niches fiscales.
De son côté, ATTAC a mis en ligne un contre-site d'information sur les retraites. Une belle initiative où une citation du quotidien économique Les Echos du 13 avril dernier est mise en exergue : «Le chef de l’État entend montrer à ses partenaires européens et aux marchés financiers qu’il s’attaque au problème de la dette. Tant pis si les retraites ne constituent qu’un aspect partiel du problème : il faut donner un signal et ne surtout pas perdre la note AAA dont bénéficie encore la France sur les marchés

Sarkofrance



Crédit illustration: FlickR CC

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