Twilight, le disneyland des émotions

Publié le 06 juin 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

Le succès de la saga  Twilight, auprès d’un public qui est censé avoir dépassé le stade de l’adolescence, laisse songeur sur sa lucidité.

Sur quoi tient l’intrigue de Twilight ? Le mélange de sang et de sexe, le grand magma du refoulé. C’est une histoire de vampire ravalée au niveau de l’ingrate ambiance de l’adolescence, l’équivalent de ces groupes de faux rockers qui ne parlent que de satanisme , de sexe et de drogues, alors qu’ils sont avant tout de bon gestionnaire de leur image. La saga est une sorte de gloubi-boulga des questions qui occupent le cerveau point encore averti des jeunes entre-deux-âges, comme le brouillage de la barrière entre les sexes, l’obsession sexuelle, le refoulement de tout ce qui est lié au sang et à la violence. L’âge où l’on ne sait pas exprimer un sentiment, où l’on ne sait pas non plus s’en libérer.

A la lecture, on comprendra vite que le bouquin n’apporte pas la moindre réponse  à ces problématiques (comme il s’adresse d’abord à des pré-ados, ce n’est évidement pas son rôle). Il est toutefois plus étonnant de constater que beaucoup de membres des deux sexes, qui laissaient croire être du côté des adultes, se ruent avec compulsion vers ce disneyland émotif.

C’est que Twilight joue plus le rôle de drogue douce que celui d’agent guérisseur. En premier lieu, l’absence de (presque) toute description d’acte sexuel dans le roman en signe l’arrêt de mort intellectuel. Twilight agit sur le lecteur comme agissent les préliminaires sur les pré-ados qui découvrent la sexualité. On tourne autour du pot, on mâchouille, on grignote, on effleure : mais jamais on n’en vient au point décisif, qui permet d’ailleurs de dépasser les questionnements énumérées ci-dessus. Les adultes d’aujourd’hui n’ayant trouvé aucune réponse à leurs problèmes d’adolescents, on ne s’étonnera pas qu’ils se régalent de replonger dans leurs sensations premières.

A vingt ans, on lit Twilight. A trente, Houellebecq.

On voit dans Twilight le triomphe de l’idée selon laquelle on parle toujours beaucoup trop avant de faire l’amour et toujours trop peu après. Ce qui a le grand défaut de mettre sur un piédestal l’acte amoureux. Il symbolise une véritable croyance au sexe, une ode à la sexualité inopérable, interdite, comme si elle allait nous sauver de quelque désespoir de fond. On en parle, on en parle, alors que comme toujours, la pratique sérieuse et appliquée reste la meilleure manière d’y connaître quelque chose – et de ne pas tomber dans le piège.

A travers Twilight, notre époque ne fait pas l’amour : elle parle l’amour, et même elle le parlotte, comme si elle apprenait une langue étrangère. Edward et Bella ont eu des aventures, ont beaucoup discuté ; mais que se sont-ils dit après avoir plié leur affaire ? Voilà ce qui pourrait devenir intéressant.

Est-ce que Bella assure au lit ?

On n’a donc plus que deux choix envisageables concernant sa vie sexuelle : ou bien elle est impossible (car on tuerait son partenaire), ou bien elle est idéale, apparaît comme une vision fugace perdue dans un futur incertain. Du reste, si l’on se marie, c’est pour l’éternité. Ce qui fait deux interdictions coup sur coup, dans la plus pure tradition catholique-puritaine.

Aujourd’hui, ce n’est plus la religion et l’ordre ancien qui profite de cette moralité, c’est toute l’industrie consumériste, cinématographique, littéraire, publicitaire, qui vit aux crochets de cette croyance à la sexualité-délivrance, du maintien de la plupart des consommateurs dans cet état de dévotion. Il suffirait pourtant de baiser n’importe quelle fille pour réaliser qu’il existe une question bien plus importante : celle du « savoir bien jouir ».

Faire l’amour ? La belle affaire ! Mais parmi toutes les pin-ups, les héroïnes, les stars, les vampires et les belles dont on nous abreuve, lesquelles savent jouir vraiment, avec un certain art de vivre ? Pleinement ? Franchement ? Honnêtement ? Il n’y a peut-être qu’un petit nombre d’être qui sont capables d’avoir une « vie sexuelle » franche et réussie. Et cela, il ne faut surtout pas en parler à la masse ; il faut faire croire que le bonheur sexuel est possible et souhaitable pour tout le monde : pour cela, il faut absolument le maintenir hors du champ de l’analyse. Ce qui est fait dans Twilight.

Êtes-vous assassin raté ou puritain idéaliste ?

Si certains adultes succombent à ces charmes désuets, c’est qu’il doit être très soulageant pour eux que de suivre à longueur de pages les aléas érotiques d’êtres totalement imaginaires et dont la réelle valeur sexuelle est hors-propos, dans une époque obsédée par l’idée de performance. Ainsi respirent les sociétés humaines, à grands coups de contradictions apparentes, passant d’un extrême à l’autre sans jamais rien comprendre de ce dont ils sont le jouet (seul un regard transversal le pourrait).

Un Houellebecq a pu mener au bout, dans ses livres, l’impasse sexuelle de notre temps. Ses anti-héros ne savent pas vivre leur sensualité ou deviennent des sortes de criminels ratés. A ce titre, Twilight n’a rien d’opposé au nihilisme de cet auteur ; les deux constituent les deux faces d’une même pièce. Assassin raté ou puritain idéaliste. Faux libéré à l’adolescence, vrai prisonnier à l’âge adulte, c’est le programme!  Vampire de pacotille ou amant impuissant. Libre, jouisseur, épanoui ? Faudra repasser, on n’a que des drogues en magasin.

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Crédit photo : Flickr / ciscai