Seattle/Toulouse – suite

Publié le 10 juin 2010 par Toulouseweb
La succession des A320 et 737 pose problčme ŕ Airbus et Boeing.
C’est désormais Ťleť feuilleton de l’année, mieux, de la décennie, si ce n’est au-delŕ : les compagnies aériennes appellent de tous leurs vœux des court/moyen-courriers de nouvelle génération, dotés de moteurs moins gourmands en carburant. Airbus et Boeing répondent en chœur qu’ils y travaillent sans relâche mais ne peuvent toujours pas compter sur une Ťrupture technologiqueť qui leur permettrait le bond en avant tant espéré. L’un et l’autre pensent de ce fait qu’il est urgent d’attendre, d’autant que les familles A320 et 737 continuent d’engranger de nombreuses commandes. L’avionneur américain livre chaque mois 31 appareils de cette gamme et passera ŕ 34 début 2012. Airbus, pour sa part, produit 34 exemplaires par mois, va bientôt passer ŕ 36 et envisage męme la cadence 38.
Dčs lors, quels que soient les propos des dirigeants des deux rivaux, et malgré les amicales pressions de quelques grandes compagnies américaines et européennes, on comprend leur peu d’empressement ŕ investir lourdement pour préparer rapidement la relčve. Sauf ŕ remotoriser ces avions et ŕ leur apporter de nouvelles retouches, par exemple des ailettes de bout de voilure de plus grandes dimensions permettant de réduire la traînée et, de ce fait, la consommation de carburant.
Airbus et Boeing bénéficient de carnets de commandes richement garnis mais leurs caisses sont vides, ou ŕ peu prčs, pour cause de coűteux déboires (retards répétés de leurs derniers programmes) et bureaux d’études totalement débordés de travail. Reste le fait qu’au départ d’une seule et męme analyse, basée sur des informations communes aux deux entreprises, les stratégies commencent peut-ętre ŕ diverger.
Premier constat, Boeing affiche depuis peu des doutes croissants quant ŕ l’intéręt de doter rapidement le 737 de nouveaux moteurs. Jim McNerney, président du groupe, qui ne livre le fond de sa pensée que par petites touches, a laissé percer le doute ŕ plusieurs reprises, ces derniers jours, notamment ŕ la tribune de la Sanford C. Bernstein Strategic Decisions Conference qui vient de se tenir ŕ New York. L’alternative, telle qu’il la voit aujourd’hui : envisager un nouvel avion ŕ l’horizon 2020 et attendre patiemment jusque lŕ. Ou reporter ce futur successeur ŕ 2025, pour disposer d’une technologie appropriée qui tarde ŕ se concrétiser et, dans ce cas, remotoriser le 737 pour éviter une forme gęnante d’immobilisme. Un véritable cas de conscience, une décision difficile ŕ prendre (elle pourrait l’ętre avant la fin de l’année) et qui doit évidemment tenir compte des projets de la maison d’en face.
A Toulouse, les idées deviennent apparemment plus claires. John Leahy, directeur commercial d’Airbus, évoque ŕ présent l’échéance 2025/2027 quand il est question de l’A30X, nom de code du futur appareil. Dans dix-sept ans ? C’est beaucoup et, dans ce cas, on peut en conclure que la lignée A320 serait bel et bien dotée trčs rapidement de nouveaux moteurs. Les CFM Leap-X et autres Pratt PW1000G, ou encore un concept de Rolls-Royce, pourraient convenir tandis que l’investissement serait ŕ portée de l’avionneur toulousain.
Voici donc Seattle et Toulouse ŕ nouveau face ŕ face, ne se quittant pas des yeux, et jouant trčs gros. Qui plus est dans une situation inédite, voire paradoxale, ŕ savoir la préparation du remplacement de modčles qui sont produits ŕ un rythme record et suscitent un attrait qui ne faiblit pas.
Point remarquable, l’exégčse des propos récents de Jim McNerney, d’une part, de Louis Gallois et Tom Enders, de l’autre, confirme qu’ils ne font pas grand cas des grandes ambitions de Bombardier (C.Series) et moins encore de celles des Russes (MS21) et des Chinois (C919). Dans le meilleur des cas, Américains et Européens sont pręts ŕ concéder aux Québécois un strapontin sur la partie basse du marché mais ne semblent gučre émus par les autres concurrents déclarés. L’avenir leur donnera peut-ętre raison pour autant que l’Histoire ne se répčte pas : il y a un peu moins de vingt-cinq ans, quand le lancement de l’A320 a été officiellement annoncé, Seattle a répondu par une grande indifférence, voire du dédain. Une erreur d’appréciation lourde de conséquences.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)