Le pape "repense" le célibat du clergé. Pour le renforcer

Publié le 15 juin 2010 par Walterman

C'est, dit-il, le signe que Dieu existe et qu'il y a des gens qui se laissent gagner par la passion pour lui. C'est pour cette raison que ce célibat constitue un grand scandale et que l'on veut le faire disparaître. La transcription intégrale de la dernière intervention de Benoît XVI à ce sujet. Et d'un étonnant discours antérieur, qu'il avait prononcé en 2006



ROME, le 15 juin 2010 – Benoît XVI a répondu à ceux qui s’attendaient à une "relecture" de la règle du célibat du clergé latin. Mais à sa façon.
Le soir du jeudi 10 juin, sur la place Saint-Pierre, au cours de la veillée de clôture de l'Année Sacerdotale, le pape Joseph Ratzinger, répondant à cinq questions posées par autant de prêtres venus des cinq continents, a consacré l’une de ses réponses à expliquer la signification de la chasteté des prêtres. Il l’a fait sous une forme originale, en s’éloignant de la littérature historique, théologique et spirituelle courante.
La transcription intégrale et authentifiée de la réponse du pape, diffusée par le Vatican deux jours plus tard et reproduite ci-dessous, permet de comprendre en profondeur son raisonnement.
Le célibat – a dit le pape – est une anticipation "du monde de la résurrection". Il est le signe "que Dieu existe, que Dieu a quelque chose à voir avec ma vie, que je peux fonder ma vie sur le Christ, sur la vie future".
C’est pourquoi – a-t-il également dit – le célibat "est un grand scandale". Pas seulement pour le monde d’aujourd’hui "dans lequel Dieu n’a rien à voir". Mais pour la chrétienté elle-même, dans laquelle "on ne pense plus à l’avenir de Dieu et dans laquelle le présent de ce monde paraît suffisant à lui seul".


***


Cela suffit à faire comprendre que ce qui constitue un fondement de ce pontificat, ce n’est pas le relâchement du célibat du clergé, mais son renforcement. En liaison étroite avec ce que Benoît XVI a plusieurs fois indiqué comme étant la "priorité" de sa mission :


"À notre époque où, dans de vastes régions de la terre, la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage [...] en Jésus Christ crucifié et ressuscité".


Le pape affirmait cela dans sa mémorable lettre ouverte aux évêques du monde entier, écrite le 10 mars 2009.
Mais encore auparavant, il y avait eu un autre discours important dans lequel Benoît XVI avait explicitement lié le célibat du clergé à la "priorité" qui est de conduire les hommes vers Dieu, et il avait expliqué le motif de ce lien.
Ce discours est celui qu’il avait adressé à la curie romaine le 22 décembre 2006 et dans lequel il commentait les voyages qu’il avait faits hors d'Italie cette année-là.
À propos de son voyage en Allemagne, trois mois plus tôt, celui du célèbre discours de Ratisbonne, le pape commençait ainsi :


"Le grand thème de mon voyage en Allemagne était Dieu. L'Église doit parler de tant de choses : de toutes les questions liées à l'être qu’est l'homme, de sa propre structure et sa propre organisation et ainsi de suite. Mais son véritable et - sous certains aspects - unique thème est 'Dieu'. Et le grand problème de l'Occident est l'oubli de Dieu : c'est un oubli qui se répand. En définitive, chaque problème particulier peut être ramené à cette question, j'en suis convaincu. C'est pourquoi, au cours de ce voyage, mon intention principale était de bien mettre en lumière le thème de 'Dieu', me rappelant aussi du fait que dans certaines parties de l'Allemagne vit une majorité de non-baptisés, pour qui le christianisme et le Dieu de la foi semblent des choses qui appartiennent au passé.
"En parlant de Dieu, nous abordons aussi précisément le thème qui, dans la prédication terrestre de Jésus, constituait son intérêt central. Le thème fondamental de cette prédication est le règne de Dieu, le 'Royaume de Dieu'. Ce qui est exprimé à travers cela, ce n’est pas quelque chose qui viendra un jour ou l'autre, dans un avenir indéfini. Ce n’est pas non plus le monde meilleur que nous cherchons à créer pas à pas, avec nos forces. Dans le terme 'Règne de Dieu' le mot 'Dieu' est un génitif subjectif. Cela signifie que Dieu n'est pas un ajout au 'Royaume' que l'on pourrait peut-être même laisser de côté. Dieu est le sujet. Royaume de Dieu signifie en réalité : Dieu règne. Il est lui-même présent et il est déterminant pour les hommes dans le monde. Il est le sujet et, là où ce sujet manque, il ne reste rien du message de Jésus. C'est pourquoi Jésus nous dit que le Royaume de Dieu ne vient pas de façon à ce que l'on puisse, pour ainsi dire, se mettre sur le côté de la route et observer son arrivée. 'Il est au milieu de vous!' (cf. Lc 17, 20 sq.). Il se développe là où est réalisée la volonté divine. Il est présent là où se trouvent des personnes qui s'ouvrent à sa venue et qui laissent ainsi entrer Dieu dans le monde. C'est pourquoi Jésus est le Royaume de Dieu en personne : l'homme dans lequel Dieu est parmi nous et à travers lequel nous pouvons toucher Dieu, nous approcher de Dieu. Là où cela se produit, le monde est sauvé".


Ayant dit cela, Benoît XVI continuait en liant à la question de Dieu justement celle du sacerdoce et du célibat sacerdotal :


"Paul appelle Timothée - et à travers lui l'évêque et en général le prêtre - 'homme de Dieu' (1 Tm 6, 11). Tel est le devoir central du prêtre : apporter Dieu aux hommes. Certes, il ne peut le faire que s’il vient lui-même de Dieu, s'il vit avec et de Dieu. Cela est exprimé de façon merveilleuse dans un verset d'un psaume sacerdotal que nous - l'ancienne génération - avons prononcé lors de notre admission à l'état clérical : 'Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort' (Ps 16 [15], 5). L'orant-prêtre de ce psaume interprète son existence à partir de la forme de la distribution du territoire établie dans le Deutéronome (cf. 10, 9). Après la prise de possession de la Terre, chaque tribu obtient par tirage au sort sa portion de la Terre sainte et prend ainsi part au don promis par le chef de lignée, Abraham. Seule la tribu de Lévi ne reçoit aucun terrain : sa terre, c’est Dieu lui-même. Cette affirmation avait certainement une signification tout à fait pratique. Les prêtres ne vivaient pas, comme les autres tribus, de la culture de la terre, mais des offrandes. Toutefois, l'affirmation va plus loin. Le véritable fondement de la vie du prêtre, le sol de son existence, la terre de sa vie, c’est Dieu lui-même. Dans cette interprétation de la vie sacerdotale par l'Ancien Testament - interprétation qui apparaît également à plusieurs reprises dans le psaume 118 [119] - l'Église a vu à juste titre l'explication de ce que signifie la mission sacerdotale à la suite des Apôtres, dans la communion avec Jésus lui-même. Aujourd'hui le prêtre peut et doit également dire avec le Lévite : 'Dominus pars hereditatis meae et calicis mei'. Dieu lui-même est ma part de terre, le fondement extérieur et intérieur de mon existence. Ce théocentrisme de l'existence sacerdotale est nécessaire précisément dans notre monde totalement fonctionnel, dans lequel tout est fondé sur des prestations qui peuvent être calculées et vérifiées. Le prêtre doit véritablement connaître Dieu de l'intérieur et l'apporter ainsi aux hommes : tel est le service prioritaire dont l'humanité a besoin aujourd'hui. Si, dans une vie sacerdotale, on perd cet aspect central de Dieu, le zèle pour l'action disparaît peu à peu. Dans l'excès des choses extérieures, il manque le centre qui donne un sens à tout et qui le reconduit à l'unité. Il y manque le fondement de la vie, la 'terre' sur laquelle tout cela peut demeurer et prospérer.
"Le célibat - qui vaut pour les évêques dans toute l'Eglise orientale et occidentale, et, selon une tradition qui remonte à une époque proche de celle des Apôtres, pour les prêtres en général dans l'Eglise latine - ne peut être compris et vécu, en définitive, que sur la base de ce fondement. Les raisons uniquement pragmatiques, la référence à la plus grande disponibilité, ne suffisent pas. Cette plus grande disponibilité de temps pourrait facilement devenir aussi une forme d'égoïsme, qui s'épargne les sacrifices et les difficultés découlant de l'exigence de s'accepter et de se supporter réciproquement contenue dans le mariage ; elle pourrait ainsi conduire à un appauvrissement spirituel ou à une dureté de cœur. Le véritable fondement du célibat ne peut être contenu que dans la phrase : 'Dominus pars' - Tu es ma terre. Il ne peut être que théocentrique. Il ne peut signifier être privés d'amour, mais il doit signifier se laisser gagner par la passion pour Dieu et apprendre ensuite, grâce à une présence plus intime à ses côtés, à servir également les hommes.
"Le célibat doit être un témoignage de foi : la foi en Dieu devient concrète dans cette forme de vie qui n’a de sens qu’à partir de Dieu. Placer ma vie en Lui, en renonçant au mariage et à la famille, signifie que j'accueille et que je fais l'expérience de Dieu comme réalité et que je peux donc l'apporter aux hommes. Notre monde devenu totalement positiviste, dans lequel Dieu entre en jeu tout au plus comme une hypothèse mais non comme une réalité concrète, a besoin de s'appuyer sur Dieu de la façon la plus concrète et la plus radicale possible. Il a besoin du témoignage de Dieu qui réside dans la décision d'accueillir Dieu comme terre sur laquelle se fonde notre existence.
"C'est pourquoi aujourd'hui le célibat est si important  dans notre monde, même si son application à notre époque est constamment menacée et remise en question. Une préparation attentive est nécessaire au cours du chemin vers cet objectif, de même qu'un accompagnement persévérant de la part de l'évêque, d'amis prêtres et de laïcs, qui soutiennent ensemble ce témoignage sacerdotal. Il faut une prière qui invoque sans cesse Dieu comme le Dieu vivant et qui s'appuie sur Lui dans les moments de confusion comme dans les moments de joie. De cette façon, contrairement à la tendance culturelle qui cherche à nous convaincre que nous ne sommes pas capables de prendre de telles décisions, ce témoignage peut être vécu et ainsi, dans notre monde, il peut remettre en jeu Dieu comme réalité".


***


Quand on relit ce discours de décembre 2006, on n’est pas étonné que Benoît XVI continue encore maintenant à consacrer autant d’efforts au clergé.
La création de l'Année Sacerdotale, la proposition de personnages exemplaires comme le saint Curé d'Ars, le renforcement du célibat font partie – aux yeux du pape – d’un dessein très cohérent qui ne fait qu’un avec "la priorité suprême et fondamentale de l’Église et du successeur de Pierre à l’époque actuelle", c’est-à-dire "de conduire des hommes vers Dieu".
Cela a été confirmé le 10 juin dernier par la réponse du pape au prêtre qui l’interrogeait sur la signification du célibat, réponse intégralement transcrite ci-dessous.



EXTRAIT DU DIALOGUE DE BENOÎT XVI AVEC LES PRÊTRES
Rome, Place Saint-Pierre, le 10 juin 2010
SUR LE "SCANDALE"  DU CÉLIBAT
Q. – Très Saint Père, je m’appelle Karol Miklosko, je viens d’Europe, plus précisément de Slovaquie, et je suis missionnaire en Russie. Quand je célèbre la sainte messe, je me trouve moi-même et je comprends que c’est là que je rencontre mon identité ainsi que la racine et l’énergie de mon ministère. Le sacrifice de la croix me révèle le Bon Pasteur qui donne tout pour son troupeau, pour chacune de ses brebis, et quand je dis : "Ceci est mon corps, ceci est mon sang" donné et versé en sacrifice pour vous, alors je comprends la beauté du célibat et de l’obéissance, que j’ai librement promis au moment de mon ordination. Malgré les difficultés naturelles, le célibat me semble évident, lorsque je regarde le Christ, mais je suis abasourdi quand je lis toutes les critiques profanes contre ce don. Je vous demande humblement, Très Saint Père, de nous apporter vos lumières sur la profondeur et sur la signification authentique du célibat ecclésiastique.
R. – Merci pour les deux parties de votre question. La première montre le fondement permanent et vital de notre célibat ; la seconde montre toutes les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons à notre époque.
La première partie est importante, c’est-à-dire que la célébration quotidienne de la sainte eucharistie doit vraiment être le centre de notre vie. Ici les paroles de la consécration sont centrales : "Ceci est mon corps, ceci est mon sang" ; c’est-à-dire que nous parlons "in persona Christi". Le Christ nous permet d’employer son "je", nous parlons avec le "je" du Christ, le Christ nous "attire en lui" et nous permet de nous unir, il nous unit, à son "je". Ainsi, à travers cette action, à travers ce fait qu’il nous "attire" en lui-même, de manière à ce que notre "je" soit uni au sien, il manifeste la permanence et l’unicité de son sacerdoce ; ainsi il est vraiment toujours l’unique prêtre et pourtant il est très présent dans le monde, parce qu’il nous "attire" en lui-même, rendant ainsi présente sa mission sacerdotale. Cela veut dire que nous sommes "attirés" dans le Dieu du Christ : c’est cette union avec son "je" qui se réalise dans les paroles de la consécration.
De même, dans le "je t’absous" – parce qu’aucun d’entre nous ne pourrait absoudre quelqu’un de ses péchés – c’est le "je" du Christ, de Dieu, qui seul peut absoudre. Cette unification de son "je" et du nôtre implique que nous sommes également "attirés" dans sa réalité de Ressuscité, que nous avançons vers la vie complète de la résurrection, dont Jésus parle aux sadducéens au chapitre 22 de l’évangile de Matthieu : c’est une vie "nouvelle", dans laquelle on est déjà au-delà du mariage (cf. Mt 22, 23-32). Il est important que nous nous laissions sans cesse pénétrer par cette identification du "je" du Christ avec nous, par ce fait d’être "attirés hors de nous-mêmes" vers le monde de la résurrection.
En ce sens, le célibat est une anticipation. Nous transcendons ce temps et nous allons de l’avant, de telle sorte que nous nous "attirons" nous-mêmes ainsi que notre temps vers le monde de la résurrection, vers la nouveauté du Christ, vers la vie nouvelle et vraie. Le célibat est donc une anticipation rendue possible par la grâce du Seigneur qui nous "attire" en lui vers le monde de la résurrection ; il nous invite sans cesse à nous transcender nous-mêmes, à transcender ce présent, vers le véritable présent de l’avenir, qui devient présent aujourd’hui.
Nous arrivons ici à un point très important. Un grand problème de la chrétienté dans le monde d’aujourd’hui est que l’on ne pense plus à l’avenir de Dieu : le présent de ce monde semble suffisant à lui seul. Nous voulons seulement ce monde, vivre dans ce monde. Nous fermons ainsi les portes à la véritable grandeur de notre existence. Le sens du célibat comme anticipation de l’avenir est justement d’ouvrir ces portes, d’agrandir le monde, de montrer la réalité de l’avenir que nous vivons déjà comme présent. Vivre, donc, en témoignage de la foi : nous croyons vraiment que Dieu existe, que Dieu a quelque chose à voir dans ma vie, que je peux fonder ma vie sur le Christ, sur la vie future.
Et nous connaissons maintenant les critiques profanes dont vous avez parlé. Il est vrai que, pour le monde agnostique, pour le monde dans lequel Dieu n’a rien à voir, le célibat est un grand scandale, parce qu’il montre justement que Dieu est considéré et vécu comme une réalité. Avec la vie eschatologique du célibat, le monde futur de Dieu entre dans les réalités de notre temps. Et cela devrait disparaître !
En un certain sens, cette critique permanente du célibat peut surprendre, à une époque où il est de plus en plus à la mode de ne pas se marier. Mais ce refus du mariage diffère totalement, fondamentalement, du célibat, parce qu’il est fondé sur la volonté de ne vivre que pour soi-même, de n’accepter aucun lien définitif, de vivre à tout moment en pleine autonomie, de décider à tout moment quoi faire, que prendre de la vie ; c’est donc un "non" à ce qui lie, un "non" à ce qui est définitif, une façon d’avoir la vie pour soi seul. Le célibat, c’est justement le contraire : c’est un "oui" définitif, une façon de se laisser prendre en main par Dieu, de se mettre dans les mains du Seigneur, dans son "je", et c’est donc un acte de fidélité et de confiance, un acte qui suppose aussi la fidélité du mariage ; c’est vraiment le contraire de ce "non", de cette autonomie qui ne veut pas se donner d’obligations, qui ne veut pas entrer dans un lien ; c’est bien le "oui" définitif qui suppose, qui confirme le "oui" définitif du mariage. Et ce mariage est la forme biblique, la forme naturelle de la manière d’être homme et femme, fondement de la grande culture chrétienne, de grandes cultures du monde. Et si cela disparaît, la racine de notre culture sera détruite.
C’est pourquoi le célibat confirme le "oui" du mariage par son "oui" au monde futur et nous voulons donc aller de l’avant et rendre présent ce scandale d’une foi qui fait reposer toute l’existence sur Dieu. Nous savons qu’à côté de ce grand scandale que le monde ne veut pas voir, il y a aussi les scandales secondaires de nos insuffisances, de nos péchés, qui cachent le véritable et grand scandale et qui font penser : "Mais ils ne vivent pas vraiment en prenant Dieu pour base". Mais il y a tant de fidélité ! Le célibat – comme le montrent justement les critiques - est un grand signe de la foi, de la présence de Dieu dans le monde. Prions le Seigneur pour qu’il nous aide à nous libérer des scandales secondaires, pour qu’il rende présent le grand scandale de notre foi : la confiance, la force de notre vie, qui est fondée sur Dieu et sur Jésus-Christ !



Le soir du 10 juin 2010 sur la place Saint-Pierre, lors de cette même veillée de clôture de l'Année Sacerdotale, Benoît XVI a également répondu à d’autres questions portant sur d’autres sujets.
Voici deux de ces questions avec leurs réponses : la première porte sur l’étude de la théologie, la seconde sur la baisse des vocations.

SUR LA THÉOLOGIE "SCIENTIFIQUE"

Q. – Très Saint Père, je suis Mathias Agnero et je viens d’Afrique, plus précisément de Côte d’Ivoire. Vous êtes un pape théologien, alors que nous, quand nous y arrivons, nous lisons à peine quelques livres de théologie pour notre formation. Mais il nous semble qu’une fracture s’est créée entre la théologie et la doctrine et, plus encore, entre la théologie et la spiritualité. Nous sentons que nos études ne doivent pas être uniquement académiques mais qu’elles doivent alimenter notre spiritualité. Nous en ressentons le besoin dans l’exercice même de notre ministère pastoral. On a quelquefois l’impression que la théologie n’a pas Dieu pour centre et Jésus-Christ pour premier "lieu théologique", mais au contraire les goûts et les tendances les plus répandus ; la conséquence, c’est la prolifération d’opinions subjectives qui permettent l’introduction dans l’Église elle-même d’une pensée non catholique. Comment ne pas être désorientés dans notre vie et dans notre ministère quand c’est le monde qui juge la foi et non pas le contraire ? Nous nous sentons "décentrés" !
R. – Vous abordez là un problème très difficile et douloureux. Il y a effectivement une théologie qui veut surtout être académique, apparaître comme scientifique, et qui oublie la réalité vitale, la présence de Dieu, sa présence parmi nous, le fait qu’il nous parle aujourd’hui et pas seulement dans le passé. Déjà saint Bonaventure, en son temps, distinguait deux formes de théologie ; il disait : "Il y a une théologie qui vient de l’arrogance de la raison, qui veut tout dominer, qui fait passer Dieu de l’état de sujet à celui d’objet que nous étudions, alors qu’il devrait être le sujet qui nous parle et qui nous guide".
Il y a vraiment cet abus de la théologie, qui est arrogance de la raison et qui ne nourrit pas la foi, mais dissimule la présence de Dieu dans le monde. Et puis il y a une théologie qui veut connaître davantage, par amour de l’être aimé, qui est stimulée par l’amour et guidée par l’amour, qui veut connaître davantage l’être aimé. C’est celle-là qui est la vraie théologie, qui vient de l’amour de Dieu, du Christ, et qui veut entrer plus profondément en communion avec le Christ.
En réalité, aujourd’hui, les tentations sont grandes ; surtout on voit s’imposer ce que l’on appelle la "vision moderne du monde" (Bultmann : "modernes Weltbild"), qui devient le critère de ce qui serait possible ou impossible. Et c’est justement avec ce critère selon lequel tout est comme toujours et tous les événements historiques sont du même genre, que l’on exclut précisément la nouveauté de l’Évangile, que l’on exclut l’irruption de Dieu, la véritable nouveauté qui est la joie de notre foi.
Que faut-il faire ? Je voudrais dire avant tout aux théologiens : ayez du courage. Et je voudrais également dire un grand merci aux très nombreux théologiens qui font du bon travail. Il y a des abus, nous le savons, mais partout dans le monde il y a un très grand nombre de théologiens qui vivent véritablement de la Parole de Dieu, qui se nourrissent de la méditation, qui vivent la foi de l’Église et qui veulent contribuer à ce que la foi soit présente dans notre aujourd’hui.
Et je voudrais dire aux théologiens en général : "N’ayez pas peur de ce fantôme du caractère scientifique !". Je m’intéresse à la théologie depuis 1946 ; j’ai commencé à l’étudier en janvier 1946 et j’ai donc connu presque trois générations de théologiens. Je peux dire que les hypothèses qui, à cette époque et dans les années Soixante et Quatre-vingt, étaient les plus neuves, absolument scientifiques, presque absolument dogmatiques, ont depuis lors vieilli et perdu leur valeur ! Beaucoup d’entre elles paraissent presque ridicules. Donc, il faut avoir le courage de résister à l’apparent caractère scientifique, de ne pas se soumettre à toutes les hypothèses du moment, et de penser véritablement à partir de la grande foi de l’Église, qui est présente à toutes les époques et qui nous donne accès à la vérité. De plus, il ne faut surtout pas penser que la raison positiviste, qui exclut ce qui est transcendant – qui ne peut pas être accessible – est la véritable raison ! Cette raison faible, qui ne présente que les choses que l’on peut expérimenter, est vraiment une raison insuffisante. Nous, théologiens, devons faire usage de la grande raison, qui est ouverte à la grandeur de Dieu. Nous devons avoir le courage d’aller au-delà du positivisme, jusqu’à la question des racines de l’être.
Cela me paraît très important. Il faut donc avoir le courage de faire usage de la grande, de la vaste raison, il faut avoir l’humilité de ne pas se soumettre à toutes les hypothèses du moment, il faut vivre de la grande foi de l’Église de tous les temps. Il n’y a pas de majorité contre la majorité que constituent les saints : la vraie majorité, ce sont les saints de l’Église et c’est sur les saints que nous devons nous orienter !
Aux séminaristes et aux prêtres je dis la même chose : pensez que la Sainte Écriture n’est pas un livre isolé : elle est vivante dans la communauté vivante de l’Église, qui est le même sujet au cours des siècles et qui garantit la présence de la Parole de Dieu. Le Seigneur nous a donné l’Église comme sujet vivant, avec la structure des évêques en communion avec le pape, et ce grand ensemble des évêques du monde en communion avec le pape nous assure le témoignage de la vérité permanente. Ayons confiance en ce magistère permanent de la communion des évêques avec le pape, qui représente pour nous la présence de la Parole ; ayons confiance en la vie de l’Église.
Ensuite nous devons faire preuve d’esprit critique. Certes la formation théologique – je m’adresse ici aux séminaristes – est très importante. Aujourd’hui, il faut bien connaître la Sainte Écriture, y compris face aux attaques des sectes ; nous devons vraiment être des amis de la Parole. Nous devons également connaître les courants de pensée de notre temps pour être capables de répondre de manière raisonnable, pour pouvoir donner – comme le dit saint Pierre – "raison de notre foi". La formation est très importante. Mais nous devons aussi faire preuve d’esprit critique : le critère de la foi est le critère selon lequel il faut aussi voir les théologiens et les théologies. Le pape Jean-Paul II nous a donné un critère absolument sûr, qui est le catéchisme de l’Église catholique : nous y voyons la synthèse de notre foi et ce catéchisme est vraiment le critère qui permet de voir si une théologie est acceptable ou inacceptable. Je vous recommande donc de lire, d’étudier ce texte, pour que nous puissions aller de l’avant avec une théologie qui soit critique au sens positif de ce mot, c’est-à-dire critique contre les tendances de la mode et ouverte aux véritables nouveautés, à la profondeur inépuisable de la Parole de Dieu, qui se montre nouvelle à toutes les époques, y compris à la nôtre.

SUR LA BAISSE DES VOCATIONS

Q. – Très Saint Père, je m’appelle Anthony Denton et je viens d’Océanie, d’Australie. Ce soir, nous sommes un très grand nombre de prêtres réunis ici. Mais nous savons que nos séminaires ne sont pas pleins et qu’à l’avenir, dans plusieurs parties du monde, une baisse du nombre de prêtres nous attend, et même une baisse brutale. Que peut-on faire de vraiment efficace pour les vocations ? Comment proposer notre vie, en ce qu’elle a de grand et de beau, à un jeune homme de notre temps ?
R. – Vous posez vraiment un grand et douloureux problème de notre temps : le manque de vocations, à cause duquel des Églises locales risquent de se dessécher, parce qu’il leur manque la Parole de vie, la présence du sacrement de l’eucharistie et des autres sacrements. Que faire ? La tentation est grande de prendre nous-mêmes l’affaire en mains, de transformer le sacerdoce – le sacrement du Christ, le fait d’être choisi par lui – en une profession normale, en un "job" avec ses horaires, chacun étant son propre maître pour le reste, ce qui en ferait une vocation comme une autre et la rendrait accessible et facile.
Mais c’est une tentation qui ne résout pas le problème. Elle me fait penser à l’histoire de Saül, le roi d’Israël, qui, avant la bataille contre les Philistins, attend Samuel pour le nécessaire sacrifice à Dieu. Et comme Samuel n’est pas là au moment prévu, c’est Saül lui-même qui fait le sacrifice, bien qu’il ne soit pas prêtre (cf. 1 Sam 13) ; il croit résoudre ainsi le problème, ce qui n’est bien sûr pas le cas, parce que s’il se charge de ce qu’il ne peut pas faire, il se fait Dieu ou presque et il ne peut pas s’attendre à ce que les choses se passent vraiment comme si c’était Dieu qui les avait faites.
Nous non plus, nous ne résoudrions rien si nous nous limitions à exercer une profession comme les autres, en renonçant à la sacralité, à la nouveauté, au caractère spécial du sacrement que seul Dieu donne, qui ne peut venir que de son appel et pas de notre "action". Nous devons d’autant plus prier Dieu – comme le Seigneur nous y invite – frapper à la porte de Dieu, à son cœur, pour qu’il nous donne des vocations ; prier avec beaucoup d’insistance, de détermination, de conviction aussi, parce que Dieu ne rejette pas une prière insistante, constante, confiante, même s’il nous laisse faire, même s’il nous fait attendre, comme Saül, plus longtemps que nous ne l’avons prévu. Le premier point me paraît donc être ceci : encourager les fidèles à avoir cette humilité, cette confiance, ce courage, de prier avec insistance pour les vocations, de frapper au cœur de Dieu pour qu’il nous donne des prêtres.
En plus de cela, je voudrais peut-être indiquer trois points. Le premier est que chacun de nous devrait faire de son mieux pour vivre son sacerdoce de manière à être convaincant, de manière à ce que les jeunes puissent dire : c’est une vraie vocation, on peut vivre ainsi, de cette façon on fait quelque chose d’essentiel pour le monde. Je pense qu’aucun de nous ne serait devenu prêtre s’il n’avait pas connu de prêtres convaincants en qui brûlait le feu de l’amour du Christ. Donc, et c’est le premier point, cherchons à être nous-mêmes des prêtres convaincants.
Le second point est que nous devons inviter, comme je l’ai déjà dit, à l’initiative de la prière, à avoir cette humilité, cette confiance, de parler à Dieu avec force et décision.
  
Le troisième point est qu’il faut avoir le courage de parler avec les jeunes s’ils ont des raisons de penser que Dieu les appelle, parce qu’une parole humaine est souvent nécessaire pour que l’appel divin soit entendu ; il faut parler avec les jeunes et surtout les aider à trouver un cadre de vie dans lequel ils puissent vivre. Le monde d’aujourd’hui est tel que la maturation d’une vocation sacerdotale semble presque exclue ; les jeunes ont besoin d’environnements dans lesquels la foi est vécue, dans lesquels apparaît la beauté de la foi, dans lesquels il apparaît que c’est un modèle de vie, "le" modèle de vie. Il faut donc les aider à trouver des mouvements, ou la paroisse – la communauté paroissiale – ou d’autres environnements où ils soient vraiment entourés par la foi, par l’amour de Dieu, et où ils puissent donc être ouverts pour que l’appel de Dieu leur parvienne et les aide. Du reste, rendons grâces au Seigneur pour tous les séminaristes de notre temps, pour les jeunes prêtres, et prions. Le Seigneur nous aidera !



La transcription intégrale du dialogue entre Benoît XVI et des prêtres, le 10 juin 2010 :
> Veglia a conclusione dell'Anno Sacerdotale
Et la documentation complète, en plusieurs langues, relative à l'Année Sacerdotale, sur le site du Vatican :
> Année du Sacerdoce
Le discours adressé par le pape à la curie romaine le 22 décembre 2006 :
> "Messieurs les Cardinaux..."
L’article consacré par www.chiesa, le 28 mai 2010, à la question du célibat du clergé :
> Eunuques pour le Royaume des Cieux. Le débat sur le célibat
À ce propos il faut signaler, parmi les plus récentes études, l'excellente synthèse historique et théologique de Cesare Bonivento, missionnaire de l’Institut Pontifical des Missions Étrangères et évêque de Vanimo en Papouasie-Nouvelle Guinée :

Cesare Bonivento, "Il celibato sacerdotale. Istituzione ecclesiastica o tradizione apostolica?", San Paolo, Cinisello Balsamo, 2007, 184 pages, 14,00 euros.

Dans la seconde partie du livre, Bonivento démontre – sur la base de la tradition ininterrompue de l’Église latine – que la règle de la continence devrait également s’appliquer aux hommes mariés qui sont ordonnés diacres.


Sandro Magister

Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

www.chiesa