Il y a un vide (Roberto Juarroz)

Par Arbrealettres


A côté de chaque ligne, il y a un vide.
Est-ce l’ombre que la ligne projette
ou le modèle qu’elle copie?
De toute manière, qu’est-ce qui soutient la ligne
et comment ne se perd-elle pas dans le vide?

Sous chaque couleur, il y a un vide.
Chaque couleur est-elle la naissance d’un abîme
ou seulement sa surface habitable ?
De toute façon, que dit ainsi la couleur
et que dirait-elle s’il n’y avait pas de vide?

Dans chaque corps, il y a un vide.
Le corps est-il un refuge du néant
ou seulement un malentendu entre ses cavités?
Mais alors pourquoi, au lieu de corps,
n’y a-t-il pas diverses densités de vide?

Dans la pensée même est le vide.
Est-il une condition de la pensée
ou est-ce à l’inverse la pensée qui le crée?
Néanmoins, pourquoi tant de fantômes de fantômes
et non le vide en sa plénitude de vide?

(Roberto Juarroz)