Interview Belisamart (2ème partie)

Par Eguillot

Suite de l'interview que j'ai donné au blog Belisamart...

Mais revenons au passé : après cette grave déconvenue, je suis passé à l'auto-édition, en me dirigeant dans un premier temps vers un prestataire en ligne québécois, puis, sur le conseil d'une amie auteur vers lulu.com. Je me souviens d'un autre baptême du feu : la convention de science-fiction française de 2006 à Bellaing, où je présentais Espace et Spasmes, mon recueil de nouvelles devenu par la suite Les Explorateurs. Je n'y avais vendu aucun livre malgré une revue de presse globalement favorable. Zéro ! J'y avais heureusement fait des rencontres sympathiques. Par la suite, j'ai trouvé un emploi alimentaire, ce qui m'a permis de poursuivre mes démarches d'écriture et de recherche d'éditeur de manière plus détendue.
La première fois où j'ai vraiment trouvé un éditeur ? Il a juste fallu être au bon endroit au bon moment : Lokomodo cherchait de nouveaux ouvrages pour augmenter sa collection et se diffuser en librairie. J'ai rencontré l'éditeur, Ludovic Berneau, au salon de Nogent-sur-Oise. Cette expérience m'a permis d'évaluer les avantages et inconvénients de la petite édition, et, pour tout dire, de faire tomber pas mal d'illusions. C'est donc en toute connaissance de cause que j'ai décidé de m'autoéditer à nouveau, quelques mois plus tard. Cette fois, en ne passant plus par lulu, qui ne permet pas de dégager des marges intéressantes et facture trop lourdement les frais de port.

La couverture des Explorateurs en format de poche, 
réalisée par Niobé en 2009

5. B'A : D'où te vient ton inspiration ? As-tu une technique pour éviter la panne sèche ou te remotiver ?
Alan SPADE : Pour le Souffle d'Aoles, par exemple, je suis parti sur des éléments. J'ai lié en quelque sorte peuples et mythologies aux quatre forces élémentaires, en me demandant ce qui pourrait les caractériser et comment m'arranger pour sortir des sentiers battus. J'ai ensuite travaillé l'univers, sa géographie, sa topologie, son histoire, sa faune et sa flore… Puis, j'ai mis au point l'intrigue, que j'ai retravaillée à plusieurs reprises. Là, j'ai utilisé certains éléments vécus, des souvenirs que j'ai transposés et modifiés de manière à atteindre une certaine impression de véracité, à force de réécriture. Bien que le livre traite de non humains, j'ai donc fait le choix de m'appuyer sur un référentiel humain pour étudier les réactions des personnages, en faisant néanmoins en sorte que leur manière de parler et leur attitude soient affectées par leur environnement. Il ne s'agit donc pas d'un ouvrage expérimental mais bien grand public, et l'impression d'altérité n'y est sans doute pas aussi prégnante que dans, par exemple, le fascinant cycle de Tschaï de Jack Vance.

Le cycle de Tschaï, de Jack Vance

Pour éviter la panne sèche et me remotiver, je me relis et me corrige ou réécris certains passages. Quand je bute vraiment sur quelque chose, ou que je n'ai pas le courage, il peut m'arriver de ne pas écrire du tout et d'aller me coucher en réfléchissant vaguement au problème. Le lendemain, en général ça se dénoue. Il ne faut pas se braquer. Il faut laisser travailler les petits gars du dessous, comme le dit Stephen King dans son livre Ecriture.

6. B'A : Qu'est-ce qui te pose le plus de difficultés ? Y a-t-il quelque chose que tu t'interdis d'écrire ?
Alan SPADE : Ce qui m'a posé le plus de difficulté par le passé était de sortir d'un état émotionnel de déprime pour entrer dans l'écriture. Maintenant que ma situation s'est stabilisée, le plus difficile est sans doute de démarrer un nouveau chapitre ou paragraphe. Pas un chapitre ou paragraphe lié au précédent, mais impliquant de nouveaux lieux et d'autres personnages. Mais pour être franc, tout est difficile pour moi. Composer des personnages crédibles, mettre du relief dans les dialogues, ne pas tomber dans la facilité des clichés ou des phrases toutes faites, décrire sans lourdeur… J'y vais par strates successives, en essayant d'affiner. Je m'interdis d'écrire des choses gratuites, des choses qui n'apportent rien à l'histoire. Je préfère une phrase moche et efficace à une autre, parée de tous les apprêts de l'esthétique et qui manque sa cible.
7. B'A : As-tu des modèles qui t'ont inspiré ?
Alan SPADE : Balzac est quelqu'un dont je me sens proche de par sa démarche d'écriture – pour le reste, un espace intersidéral nous sépare ! – depuis que j'ai lu l'excellente biographie de Stefan Zweig à son sujet, selon laquelle lui aussi a démarré comme un feuilletoniste sans scrupule et motivé par l'appât du gain – cela dit sans vouloir bafouer la mémoire du grand homme, bien sûr. De manière moins terre-à-terre, son traitement de la société et l'acuité de son regard sont un exemple pour moi. Sinon, il y a l'incontournable J.R.R. Tolkien, c'est lui qui m'a donné envie de concevoir au moins un livre-univers. Au niveau du style, je sais être proche de Stephen King, et en ce moment je suis pas mal influencé par Robert Jordan. J'aime aussi l'humanisme d'un Asimov et le talent pour la mise en scène d'un Stevenson. Je n'oublie pas non plus des scénaristes comme Charlier. Il y aurait tellement de noms à citer !

Balzac - Le roman de sa vie, par Stefan Zweig

8. B'A : Qu'est-ce qui t'a encouragé à te lancer pour de bon ?
Alan SPADE : Le besoin d'autonomie financière. Je ne voulais plus dépendre de personne à cet égard, ce qui suppose en fait, ironiquement, de dépendre de tout le monde. Le constat, en outre, que mon prochain travail devrait être plus fortement lié à l'écriture.
9. B'A : Comment t'organises-tu pour "travailler" ?
Alan SPADE : J'essaye d'écrire tous les jours. Je n'y arrive jamais, bien sûr, mais c'est un but que je me donne en permanence. J'ai la chance de pouvoir faire deux fois quarante minutes de train en place assise par jour pour aller au bureau et en revenir, un temps que je consacre à l'écriture sur ordinateur portable. A la maison, j'écris quand les enfants sont couchés ou devant un DVD.
10. B'A : Tu as adopté un style, penses-tu te risquer à effleurer d'autres genres à l'avenir ou te sens-tu suffisamment à l'aise avec le tien pour lui être fidèle ?
Alan SPADE : J'essaye de faire évoluer mon style. Je sais être influençable, et c'est une composante que je suis obligé d'accepter. Sinon, j'aime bien essayer des choses nouvelles. Je pensais ne pas écrire dans le fantastique et j'en ai tiré une réelle satisfaction avec la nouvelle Grand Pouvoir Séculaire. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir m'aventurer complètement dans le réel, c'est un domaine tellement étrange…
11. B'A : Tu as écrit plusieurs choses, as-tu une préférence pour l'un de tes romans/nouvelles ? Si oui, lequel et pourquoi ?
Alan SPADE : J'aime assez le côté déjanté de GPS. Sinon, bien que l'accouchement se soit fait dans la douleur, c'est bien vers le Souffle d'Aoles que va ma préférence. J'ai quand même un esprit assez conventionnel, c'était un défi pour moi d'écrire un roman situé sur une autre planète et dans lequel ne figure aucun être humain, tout en le rendant accessible au grand public. J'ai le sentiment d'avoir rendu réel quelque chose qui n'était qu'un rêve.


Grand Pouvoir Séculaire (GPS)
, dans l'anthologie Alice au Pays des Morts en 2009.
Un moment très important, qui m'a permis de me professionnaliser
dans le domaine de l'édition. Couverture : Tom Robberts