Retraites : l'heure des mensonges est arrivée.

Publié le 16 juin 2010 par Juan
Nicolas Sarkozy a arbitré, et Eric Woerth a pu dévoiler. Les contours de la réforme des retraites sont connus depuis hier, sans surprise, à l'issue d'une conférence de presse du ministre du Travail à 8h30.
Pendant 30 minutes, Eric Woerth a détaillé le projet gouvernemental. Clair mais sans charisme, parfois cynique, souvent engagé, le ministre a martelé que ses options étaient «justes», «équitables», «protectrices», «indispensables.» Son discours  se voulait social : «le président de la République, le Premier ministre et le gouvernement l'ont construite avec deux exigences, être responsable et être juste». Le ministre a mis en valeur les nouveaux acquis sociaux que présenterait sa réforme: deux trimestres de retraite supplémentaire pour les jeunes chômeurs non indemnisés, maintien de la retraite à 60 ans (ou avant) pour les salariés «physiquement affaiblis», intégration de l'indemnité maternité dans le calcul de la pension, quelques mesures pour les agriculteurs, et un point d'information retraite obligatoire à 45 ans. Woerth voulait surtout, une fois encore, fermer le débat : il n'y aurait pas d'alternative, ou, pour reprendre l'expression favorite d'Eric Woerth :  «il n'y a pas de magie.»
Nicolas Sarkozy a eu peur. A l'Elysée, on tremble à l'idée que les organisations syndicales ne parviennent à mobiliser leurs troupes le 24 juin prochain lors de leur nouvelle journée d'action ou à la rentrée. Le spectre du grand blocage de l'automne 1995, qui avait brisé la présidence Chirac marque encore les mémoires. Raymond Soubie, le conseiller social du président français, a eu raison des arguments de François Fillon. Le camp présidentiel s'attachait ces derniers jours à théatraliser ces soit-disant luttes intestines en son sein entre les durs et les sociaux. Au final, le Monarque a donc arbitré en faveur des seconds. Il espère aussi couper l'herbe sous le pied à une opposition rapide à dénoncer la politique anti-sociale du gouvernement Sarkozy. Il faut donc lire le détail de ces propositions, et mesurer l'ampleur de la réforme pour s'en faire une idée. Voici les différentes mesures annoncées par Eric Woerth mercredi 16 juin.
La grande idée: travailler plus longtemps
Les principales mesures imposées visent à faire travailler plus longtemps. L'ensemble de ces mesures représentent près de 60% des financements proposés.


1. L'âge de départ à la retraite, initialement à 60 ans, est porté progressivement à 62 ans (en 2018), à raison de 4 mois supplémentaires chaque année, à compter du 1er juillet 2011. L'âge pour bénéficier d'une retraite à taux plein, donc sans décote, suit le même recul de 2 ans, et atteindra ainsi 67 ans en 2018. Les régimes publics et spéciaux verront également leurs âges de départ et d'annulation de la décote prolonger de 2 ans.
2. La durée de cotisation sera allongée de 6 mois en 2020, soit 41 ans et demi. Le gouvernement prolonge le dispositif Fillon qui allongeait cette durée en fonction de la progression de l'espérance de vie : 41 ans à compter de 2012; 41 ans et demi à compter de 2020, etc.
3. La pénibilité sera prise en compte de deux façons différentes : les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans ne seront pas concernés par ces allongements. Mais en réalité le gouvernement ne fait qu'une avancée: il étend aux salariés ayant débuté leur carrière à 17 ans le dispositif «carrières longues» : les salariés ayant commencé à travaillé à 14 ans, 15 ans, ou 16 ans devront toujours attendre respectivement 58 ans, 59 ou 60 ans pour partir en retraite pleine, soit 44 années de travail.  Si l'on prolonge le raisonnement, un salarié ayant démarré sa carrière à 19 ans devra travailler 43 ans (soit 18 mois de plus que la durée de cotisation nécessaire). A 20 ans, il est pénalisé de 6 mois d'activité de trop.
En d'autres termes, le recul de 60 à 62 ans de l'âge minimal de départ à la retraite, assorti de l'allongement parallèle de l'âge de retraite à taux plein (de 65 à 67 ans) pénalise bien en priorité celles et ceux qui démarrent tôt leur carrière professionnelle.  La France qui travaille tôt travaillera plus longtemps.
D'autre part, le droit à une retraite pleine et anticipée (i.e. avant 62 ans) sera réservé aux assurés justifiant une incapacité physique d'au moins 20% ayant donné lieu à l'attribution d'une rente pour maladie professionnelle. Woerth refuse ce dispositif aux salariés qui ne pourraient pas prouver un «affaiblissement physique avéré au moment de la retraite.» Il s'est même félicité: «il s'agit d'un nouveau droit».  Il a précisé que les risques professionnels devront désormais être mentionnés dans un nouveau «carnet de santé individuel au travail» obligatoire. Il n'est donc pas question, pour Woerth, de prendre en compte les risques de certains métiers:  «les salariés doivent être physiquement usés au moment du départ à la retraite». Ce choix est l'un des plus contestables du projet gouvernemental. Il faut attendre que le mal soit fait, que le corps soit atteint, que la maladie soit déclenchée pour quémander une retraite anticipée sans pénalité.
Eric Woerth évalue à 10 000 le nombre annuel de départs en retraite anticipée pour raisons médicales. Au total, ces deux dispositifs en matière de carrières longues et de pénibilité concerneront, selon le ministre, quelques 50.000 personnes par an après 2011, et 90.000 en 2015.
Les nouvelles recettes... marginales
Pour faire bonne figure, le gouvernement propose aussi quelques mesures, marginales dans le dispositif général (cf. infra), en matière de financement. Les hauts revenus seront modestement mis à contribution :
1. La tranche supérieure de l'impôt sur les revenus sera portée de 40 à 41%. La mesure concernent les foyers fiscaux de revenu annuel supérieur à 69 783 euros en 2010. cette taxation sera hors bouclier fiscal. Un temps évoquée, la taxation exceptionnelle, modeste et temporaire des revenus supérieurs à 11 000 euros par mois a finalement été abandonnée. Il ne faudrait pas décourager les cadres supérieurs... L'Elysée aurait reçu toutes sortes de scénarios «catastrophe» sur le sujet. L'objectif répété est de trouver 600 millions d'euros de recettes supplémentaires avec cette mesure, une goutte d'eau symbolique censée faire taire les critiques contre la politique de riches du gouvernement. Au final, ce modeste relèvement de l'impôt, hors bouclier fiscal (qui coûte 600 millions d'euros) ne rapportera que 230 millions d'euros en 2011. Le gouvernement ajoute quelques mesures sur les revenus du capital qui affecteront les ménages aisés (cf. ci-dessous).
2. Le taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires sera aligné progressivement sur celui du secteur privé (de 7,85% à 10,55%). En revanche, le calcul de leur pension se fera toujours sur leurs 6 meilleurs mois d'activité (contre les 25 meilleures années dans le secteur privé), tout en excluant, comme aujourd'hui, leurs primes d'activité. En d'autres termes, les fonctionnaires perdront du pouvoir d'achat. Le gouvernement supprime également la faculté de départ anticipé sans condition d'âge des parents de 3 enfants ayant 15 ans d'activité et alignera le minimum garanti des pensions au niveau de son équivalent dans le secteur privé. Pour compenser (partiellement), le gouvernement promet le
3. Les revenus du capital seront mis à contribution «de façon spécifique», avec une hausse d'un point des prélèvements concernant les revenus du capital et du patrimoine; de l'impôt sur les plus-values de cessions de valeurs mobilières (de 18 à 19%) et immobilière (de 16 à 17%);  du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes et intérêts (de 18 à 19%), pour un gain attendu de 265 millions d'euros en 2011 et de 20 millions d'euros en 2018. Le crédit d'impôt sur les dividendes perçu par les actionnaires sera également supprimé (gain: 645 millions d'euros en 2011 et 800 millions en 2011). Le gouvernement rappelle que cet avantage bientôt supprimé concerne essentielle les ménages aisés : 20% des contribuables les plus aisés perçoivent un tiers du montant de cette niche fiscale. Enfin, les plus-values de cession d'actions et d'obligations seront taxées à l'impôt sur le revenu dès le premier euro, soit 180 millions d'euros d'économies en 2011, et 220 millions en 2018.
4. Les retraites-chapeaux feront l'objet d'une nouvelle contribution salariale de 14% (en sus des 8,1% de cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu). La mesure rapportera entre 110 millions (2011) et 140 millions d'euros (2020).
5. Le gouvernement avance un effort sur les stock-options, somme toutes modeste (70 millions d'euros de gain attendu  l'an prochain, et 200 millions d'euros en 2020). Il entend relever les taxes les concernant : de 2,5 à 8% pour la contribution payée par le salarié bénéficiaire (quel effort !), et de 10 à 14% pour la fraction payée par l'employeur.
6. Enfin, mesure faussement sociale, le gouvernement va modifier le calcul des allègements généraux de charges patronales et la taxation des dividendes perçus par les entreprises de façon à récupérer 2,2 milliards d'euros en 2011 et 2,65 milliards en 2018.
Les nouveaux acquis sociaux, version Woerth
Lors de cette présentation, Eric Woerth a insisté sur le «nouveau droit» que représente la reconnaissance de la pénibilité sous conditions d'épuisement physique. Il propose également trois nouvelles mesures «sociales», d'importance plus symbolique que réelle :
1. Les jeunes pourront valider 6 trimestres supplémentaires d'assurance retraite (contre 4 aujourd'hui)  lorsqu'ils sont au chômage non indemnisé. 6000 personnes sont concernées.
2. Pour améliorer la retraite des femmes, les entreprises seront sanctionnées si elles n'établissent pas de bilan annuel des écarts de rémunérations homme/femmes. Selon le ministre, la moitié des entreprises de plus de 300 salariés s'abstiennent de répondre à cette obligation légale. Woerth a également annoncé que «l'indemnité journalière perçue pendant le congé maternité entrera désormais dans le salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite.» Cette mesure est paradoxale. Les pensions étant calculées sur les 25 meilleures années et ces indemnités étant inférieures au salaire, il est fort probable que ce dispositif baissera le niveau des pensions.
3. Les agriculteurs ont été également «soignés». La condition de durée comme exploitant agricole sera supprimée (coût 20 millions d'euros par an), et les terres et bâtiments agricoles seront exclus de l'assiette du recouvrement sur succession de l'allocation de solidarité aux personnes âgées.


Qui paiera la réforme ?
Eric Woerth a eu l'honnêteté de terminer son intervention en récapitulant les sources d'économie pour résoudre le déficit des régimes de retraites. Ce dernier est évalué à 32 milliards cette année et jusqu'à 45 milliards d'euros en 2020. Le gouvernement table aussi sur un taux de chômage ramené à 4,5% en 2024. La grande, et seule, nouvelle est que la réforme des retraites présentée mercredi ne résout pas le problème de déficit : les propres projections du gouvernement en matière de recettes et d'économies laissent apparaître un besoin annuel de 15,6 milliards d'euros, à financer par l'Etat. Globalement, ces mesures ne génèrent «que» 16 milliards d'euros de réduction des déficits en 2015 et près du double en 2020.
Pire, l'effort n'est pas équitablement partagé. L'analyse des économies et des nouveaux prélèvements est évidente. En 2020, deux tiers de l'effort proviendra des mesures d'âge. Les maigres mesures sociales promues par Woerth ne représentent que 3% de contreparties réinjectées en faveur des plus précaires (jeunes, etc). Second grand perdant, la Fonction Publique (16%). Les recettes nouvelles (sur le capital, l'épargne, les stock options, etc) équivalent à 15% de la réduction (cf. tableau).

Les conclusions sont simples : la pénibilité des carrières sera prise en compte, mais de façon dérogatoire et individuelle, et sous réserve de justifier médicalement son épuisement physique. Les hauts revenus seront marginalement affectés et contribueront marginalement. La fiscalité de l'épargne et du capital n'est pas remise à plat ni même remise à niveau.
Surtout, une seule question s'impose : comment le gouvernement Sarkozy entend-t-il résorber les 15 milliards d'euros toujours manquants à l'équilibre du système, après cette première salve de mesures ?
Ami sarkozyste, où es-tu ?

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