Retour de malte

Publié le 18 juin 2010 par Abarguillet

Je reviens d'un pays étonnant, ne serait-ce que parce qu'il collectionne les qualités et les avantages là où d'autres laissent proliférer les désagréments et les tracas. Pensez donc, en vous promenant au hasard des rues de ses villes et villages, vous ne rencontrerez ni policier (s'il y en a ils sont d'une discrétion exemplaire), ni clochard, ni gréviste ; votre regard ne sera agressé ni par des graffitis, ni par des panneaux publicitaires ; à aucun moment vous ne risquerez de glisser sur une crotte de chien ou un papier gras et si vous louez une voiture vous n'aurez pas à vous embarrasser de monnaie, les parkings sont gratuits.

Cela est suffisamment rare pour que je le souligne dès le début de mon article avant même de vous parler des charmes et attraits de cette île méditerranéenne qui, par sa situation géographique a, depuis les temps les plus reculés, suscité la convoitise des hommes.

A cela s'ajoute l'amabilité des habitants, les fêtes fréquentes, la couleur de l'eau d'un bleu profond, le climat ensoleillé, l'abondance des jardins qui regorgent de fleurs et surtout - car ce que l'on vient chercher ici ce ne sont pas les paysages -  la magnificence d'un patrimoine architectural exceptionnel, oeuvre des chevaliers de Saint Jean qui firent d'une île de 14, 5 km de largeur et de 27 km de longueur un véritable joyau.

Enfin, cerise sur le gâteau, voilà un lieu qui, depuis le néolithique, n'a cessé de sublimer la femme au point que l'exercice des cultes était plus volontiers confié à des prêtresses qu'à des prêtres, pour la simple raison que leur dieu était une déesse : celle de la fécondité.

Enfin, si Malte connut les invasions et les pillages, l'adversité ne l'a jamais privée de son originalité, elle n'a jamais adjuré sa foi profonde qui remonte à son évangélisation par l'apôtre saint Paul, qui y fit naufrage en l'an 60, et, ce, malgré la longue occupation arabe dont les stigmates demeurent par contre importants dans la syntaxe de la langue maltaise.

Une île exemplaire, à coup sûr, et qui mérite que l'on y fit escale, mieux encore que l'on s'y attarde, tant elle a de petites merveilles à révéler - pas moins de 300 églises et autant de palais, sans compter l'une des rades les plus belles du monde et un parfum de jadis ou d'autrefois qui ne peut manquer de séduire le touriste le plus exigeant.


 

La Valette

Guérite hexagonale de Senglea avec l'oeil et l'oreille sculptés qui symbolisent la vigilance constante des chevaliers à l'égard de leurs ennemis.


La Valette, Mosta, Mdina, autant de trésors semés sur ce caillou aride ou, sans la main de l'homme, l'héritage serait pauvre. Son intérêt fut de tout temps stratégique parce, comme le disait Homère, elle est le nombril de la Méditerranée. Destination culturelle, Malte offre en prime ses lagons azurés où baignades et plongée sous-marine sont le quotidien des vacanciers, ses côtes découpées, ses chemins creux et ses herbes odorantes. Les forêts néolithiques ont disparu depuis belle lurette, victimes de la sécheresse et de l'érosion. Seuls les jardins de San Anton et de Buskett, où nous nous promenons un matin, suffisamment tôt pour qu'il n'y ait pas trop de visiteurs, conservent des chênes centenaires et s'ombragent de caroubiers, de jacarandas et d'eucalyptus. La capitale se prête à merveille à la découverte pédestre, car les distances sont toujours raisonnables : d'une extrémité de la cité à l'autre, il y a moins de 1 km. Cela permet de mieux apprécier les monuments de la ville, l'auberge de Castille, par exemple, le plus bel édifice érigé par l'Ordre avec son élégante envolée de marches et sa riche façade baroque. Elle accueillait jadis les Espagnols et les Portugais sous son haut porche flanqué de canons. Au hasard de la promenade, on surprend la population dans ses activités coutumières, le maçon qui taille le calcaire, les vieilles femmes qui discutent entre elles et on goûte, de manière olfactive du moins, aux différentes saveurs de la cuisine maltaise : celles de la soupe aux légumes, du lapin en cocotte ou des gâteaux frits aux dattes qui s'échappent des fenêtres. Signalons également que Malte figure parmi les points de chute les plus hospitaliers de la planète, Ordre des chevaliers oblige, car ils sont toujours là.
C'est en 1530 que l'empereur Charles-Quint leur fit don de l'archipel. L'Ordre fut bien accueilli par la population qui espérait être ainsi mieux protégée des fréquentes attaques ottomanes. Ce n'est donc pas sans raison que ces derniers firent en sorte que l'île se transforme en une forteresse inexpugnable, y ajoutant de surcroît un véritable patrimoine artistique. Ayant résisté aux Ottomans, l'Ordre va cependant céder sous les coups de butoir du jeune et fringant Bonaparte qui se chargera de le piller allégrement et de le disperser. C'est à Rome que les chevaliers iront se réfugier et regrouperont leurs forces. Mais les Maltais n'apprécièrent guère ces conquérants et leur domination et appelleront à leur secours les rois de Sicile et d'Angleterre. On sait ce qui s'en suivit : en 1814, l'archipel passera aux mains de l'empire britannique. Quant aux chevaliers, ils n'ont pas perdu pour autant leur véritable raison d'être : l'exercice de la charité. Aujourd'hui l'Ordre fournit une assistance médicale pendant les conflits internationaux, apporte aide et assistance lors des catastrophes naturelles et lutte en permanence, dans une centaine de pays, contre la faim, la maladie et le dénuement. Etat souverain, il est toujours présent à Malte et, chaque 8 septembre, les chevaliers entendent la messe à la co-cathédrale Saint-Jean lors d'une cérémonie grandiose.

Mais pour bénéficier d'horizons plus luxuriants, il faut se rendre à Gozo qui se tient à quelques encablures. L'île verte de la nymphe Calypso, qui sut retenir  Ulysse prisonnier de ses charmes durant 7 années, est considérée comme le grenier de l'archipel maltais avec ses cultures en terrasses et ses nombreuses fermes agricoles. Nous nous y rendons en bateau pour la journée, séduits, dès l'abord, par ses souples coteaux, ses eaux cristallines, ses villages nichés sur les hauteurs, ses églises baroques et l'ensemble mégalithique de Ggantija admirablement conservé malgré ses 5500 d'âge. Les Maltais l'ont baptisé " la tour des géants ", alors que l'on sait aujourd'hui que les bâtisseurs étaient de petite taille. En cette aube de l'humanité, fallait-il qu'ils soient courageux pour dresser des roches pesant jusqu'à 18 tonnes afin de composer un temple qui, par sa structure, était chargé d'évoquer la déesse de la fécondité. Autre curiosité de Gozo, ses baies et criques que l'on visite en barques, barques colorées et typiquement maltaises, seules en mesure de se faufiler dans ce labyrinthe de grottes jusqu'à la fenêtre bleue formée d'une arche géante et de pierres coralliennes continûment drossées par le ressac.

  

   La fenêtre bleue à GOZO   Ggantija


De retour à Malte, ville où les oranges mûrissent en décembre et où les horloges indiquent une mauvaise heure pour tromper le diable, nous entrons dans un musée à ciel ouvert que les chevaliers de Saint-Jean, succédant aux Siciliens, aux Phéniciens, aux Romains, aux Arabes et aux Normands, conçurent méthodiquement, si bien que quatre siècles plus tard nous restons sans voix devant le prodige représenté par tant de richesses artistiques et architecturales accumulées sur ce caillou petit et stérile. Exercice familier pour des chevaliers qui ne reconnaissent qu'un maître : celui de l'Ordre. Des jardins de Baracca, baignés de soleil, nous découvrons une vue sur l'ensemble des 3 cités, le fort Saint Ange, les chantiers navals, jouissant d'un panorama et d'un raccourci historique à couper le souffle. Quant à la co-cathédrale Saint Jean, c'est à l'évidence un pur chef-d'oeuvre de l'art baroque. Il faut avouer que sa nef flamboyante pavée de 400 pierres tombales ( celles des chevaliers ) en marbre polychrome à de quoi vous saisir, car malgré ce ruissellement d'or, l'harmonie et l'élégance l'emportent largement sur l'insolente richesse de la décoration. Au musée adjacent, d'autres merveilles nous attendent : deux toiles du Caravage qui séjourna dans l'île de 1607 à 1610 " La décollation de Saint Jean Baptiste " où le drame de la lumière et de l'ombre s'orchestre de façon tragique et un Saint-Jérôme dont l'expression touche le coeur par son intensité.
La capitale a été composée de façon telle que toutes les rues s'ouvrent sur la mer pour signifier, si besoin est, qu'ici l'essentiel c'est elle. Ville animée avec ses nombreuses boutiques, ses marchés, ses maisons pittoresques, ses artères piétonnes où il faut bon flâner ou s'attarder à la terrasse d'un café pour boire la délicieuse boisson locale : le kinnie. La population a ce quelque chose de joyeux, de serein qui reflète l'atmosphère de l'île qui, bien que rattachée depuis peu à l'union européenne, semble totalement étrangère aux convulsions qui secouent en permanence les autres Nations.
La visite en bateau des 3 cités compte également parmi les temps forts de notre séjour. Face à la menace ottomane, le grand maître Nicolas Cotoner avait fortifié les hauteurs des 3 villes et dépensé, pour ce faire, une fortune. Impressionnante et toute de pierre blonde ( celle locale de Malte ressemble beaucoup à la pierre du Périgord ), la ligne de défense assurait à La Valette une vaste zone de sécurité et d'approvisionnement. Elle fut consolidée et améliorée par les Britanniques qui avaient fait de Malte une base maritime stratégique après que Nelson ait délogé Bonaparte et conquis ce rocher si convoité. Les Anglais occupèrent l'archipel maltais de 1814 à 1979 et surent le quitter avec panache, salués par les milliers de mouchoirs blancs que les autochtones agitaient du haut des remparts.
Un siècle trois-quart de présence britannique a fatalement laissé des traces et pas seulement par la présence de quelques façades plus victoriennes que nature. L'anglais demeure la seconde langue officielle, le polo bénéficie de tous les respects, la presse est bilingue, les cabines téléphoniques sont rouges, le tea five o'clock a force de loi, les écoliers portent volontiers le blazer et la cravate rayée, enfin la conduite automobile se pratique à gauche...so british.


  

Mdina la nuit
Mais le moment le plus inoubliable de notre séjour reste incontestablement la visite de nuit de Mdina, ancienne capitale de l'île qui cache, à l'ombre de ses fortifications, une sérénité confinant au recueillement. Ce n'est pas sans raison qu'on l'appelle " la cité du silence ". La parcourir, presque seuls, c'est entrer, comme dans un rêve, au coeur même du XVIIe siècle. Imaginez cette cité enveloppée dans ses murailles avec les façades de ses palais aux fenêtres ouvragées, sa cathédrale Saint-Paul, ses artères étroites, ses escaliers sans fin, où la vie se devine plus qu'elle ne se perçoit. Belle au bois dormant que l'on n'ose éveiller et qui nous fait marcher comme des pénitents, pénétrés par la solennité du décor et  la profondeur du mystère de tout ce passé enseveli dans sa gravité muette. En levée de rideau, la porte principale se coiffe de l'orgueilleux blason du grand maître Vilhena et introduit dans ce lieu déserté, ou mieux, suspendu dans le temps.
La ville de Rabat  (prononcer toutes les lettres ), dont le quartier aristocratique de Mdina n'est séparé que par une esplanade, est profondément liée à l'introduction du christianisme dans l'île, à la suite du naufrage de l'apôtre Paul qui l'évangélisera en trois mois, avant d'être conduit à Rome où il sera décapité. Rabat est aussi animée que Mdina est silencieuse, avec ses bars, ses boutiques bigarrées qui proposent à profusion l'artisanat du pays, soit la verrerie, presque aussi élaborée que celle de Murano, la dentelle et le travail filigrané de l'or et de l'argent. Catholiques pratiquants à 85%, ce qui mérite d'être souligné à notre époque, les Maltais témoignent d'une ferveur peu commune. Chaque village, chaque quartier possède son saint patron auquel est réservé des festi nombreuses et toujours hautes en couleur. Nous avons assisté à la Fête-Dieu à Rabat et le spectacle ne manquait ni de cette ferveur populaire, ni de cette joie païenne qui fait suite à l'office et à la procession. D'ailleurs le drapeau de l'île n'est-il par dominé par la croix ? Mais l'origine exacte de cette croix reste mystérieuse. Pour quelques-uns, elle aurait une signification guerrière, pour d'autres, elle symbolise soit les huit béatitudes du Christ, soit les huit langues de l'Ordre. Dans tous les cas de figure, elle apparaît indissociable de la saga des chevaliers de Sain-Jean.

Pour prendre connaissance de la liste des articles de la rubrique EVASION, cliquer  ICI

Vous pouvez également lire cet article, enrichi de cartes, sur IDEOZ, en cliquant  LA

  

   Mdina le jour