L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : XIV. L'INSTITUT ET LES FOUILLES D'ABOUSIR DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXème SIÈCLE - 6. QUI DONC FUT QAR ?

Publié le 19 juin 2010 par Rl1948

   C'est devant ce vaste complexe funéraire dans lequel se sont succédé trois générations de membres d'une même famille, situé dans le cimetière sud de la nécropole d'Abousir, que je vous avais fixé rendez-vous samedi dernier, amis lecteurs, de manière à aujourd'hui faire plus ample connaissance avec un certain Qar et ses descendants.  

   Si - et je pense qu'il est bon de le rappeler -, cette partie précise de la concesion d'Abousir reçue dans les années soixante en guise de reconnaissance du gouvernement égyptien pour l'effective participation des égyptologues tchécoslovaques de l'époque au sauvetage des temples de Nubie menacés de disparition suite à la construction du second barrage d'Assouan, conserve les mastabas de hauts fonctionnaires de l'Etat depuis la fin de la IIIème dynastie de l'Ancien Empire, soit approximativement 2640 avant notre ère, jusqu'à la VIème, c'est précisément de celle-ci, ± 2250 - 2150  A.J.-C., qu'il faut dater l'érection de cette imposante sépulture qui nous occupera les prochaines semaines.

   Parce qu'en Egypte antique, c'est de son vivant que tout individu d'un certain niveau pense à l'organisation de son équipement funéraire, il ne fait actuellement plus de doute pour toute personne qui, peu ou prou, s'intéresse à l'histoire sociale de ce pays, que l'emplacement d'une tombe dans un cimetière de l'Ancien Empire, la superficie totale qu'elle occupe, son matériau, ses dispositions architecturales et sa décoration interne, sans évidemment oublier l'indispensable viatique qui accompagne le défunt pour son éternité, constituent des marqueurs du plus haut intérêt pour connaître son statut social, son rang hiérarchique dans l'appareil de l'Etat. Le fait est connu ; a été abondamment démontré ; est devenu un topique. 

   Et l'immense complexe de Qar ne déroge évidemment pas à cette règle :  son étendue,  les quelques modifications internes qui y furent ensuite apportées, mais aussi l'emploi de la pierre calcaire plutôt que la brique crue dénotent dès l'abord la présence d'une famille de hauts fonctionnaires palatins.

   Les fouilles que les égyptologues tchèques y effectuèrent sous l'égide de Miroslav Barta à partir de l'automne 1995 jusqu'en 2002, confirmèrent, si besoin en était encore, leur impression de départ.

   Mais qui donc était Qar ?

   Un personnage parfaitement inconnu jusqu'alors !

   En effet, et vous me permettrez d'établir une petite comparaison avec Kaaper que nous avons découvert vous et moi tout récemment, ne nous méprenons pas non plus ici sur l'homonymie de son nom : il existait déjà, dans la littérature égyptologique, un Qar, ayant également vécu à la VIème dynastie, parfaitement identifié puisqu'il était notamment inspecteur des prêtres purs chargés du culte funéraire de Chéphren et de Mykérinos à l'époque de Pépy Ier, et dont le mastaba, G  (pour "Gizeh") 7101, richement décoré, a été mis au jour, comme celui de son fils Idu (G 7102), proche de la pyramide de Khéops, par George Andrew Reisner, alors directeur du Museum of Fine Arts de Boston, lors d'une campagne de fouilles qui s'est déroulée en décembre 1924 et janvier 1925.

   Le Qar révélé par les fouilles tchèques fut quant à lui gratifié du poste le plus éminent dans la société étatique égyptienne - après Pharaon bien sûr -, celui de vizir : chef de l'Exécutif, il fut en quelque sorte, un des Premiers ministres de Téti, souverain fondateur de la VIème dynastie.

   De ses fils et petis-fils, il resta le seul à porter ce titre-là dans la mesure où, Qar Junior, son fils aîné, servit les rois Pépy Ier et II en tant que prêtre de la déesse Maat du complexe pyramidal "Durable est la vie de Pépy II", après avoir été "Khenti-she" (1) du domaine funéraire "Eternelle est la beauté de Pépy I er".

   (Vous remarquerez, petite parenthèse qu'il me plaît ici d'ouvrir, que les pyramides royales de cette époque recevaient un nom propre comme le plus commun des mortels !)

   Avant de devenir Vizir, Qar, le patriarche, avait été "Véritable Juge de Nekhen du roi" (2) : ce titre-là, ses trois fils Qar Junior, Senedjemib I et Inty, le porteront également. Parmi d'autres ...

  

   Les petits-fils de Qar vécurent quant à eux sous le seul règne de Pépy II, dernier grand souverain véritable de cette VIème dynastie qui marque la fin de l'Ancien Empire.

   Il faut en effet savoir, nouvelle petite parenthèse, purement historique celle-ci,  que le règne de Pépy II, apparemment beaucoup trop long pour ses sujets - la tradition le gratifie de 94 années !!! -, concrétise une situation déjà en germe à la dynastie précédente : certaines grandes institutions, dont les temples régionaux ne figurent pas parmi les moindres, accroissent de plus en plus leur pouvoir au détriment, bien sûr, de celui du souverain ; le statut d'immunité dont elles bénéficiaient au niveau des impôts par exemple les renforçant inévitablement.

   Dans plusieurs provinces du pays, ce qu'il est convenu en égyptologie d'appeler des nomes, des familles de dirigeants, les nomarques, affirment de plus en plus leur prééminence, allant jusqu'à usurper des titres qu'auparavant seul le roi et son administration avaient le pouvoir d'attribuer : je pense notamment à celui de vizir.

   En outre, et dans le même état d'esprit, de hauts fonctionnaires auliques imposent de plus en plus le concept bien connu dans la France d'Ancien Régime - qui n'a donc rien inventé en la matière -, de la transmission héréditaire d'un office, d'une fonction : celle de Juge de Nekhen dans la famille de Qar me paraît à ce sujet parfaitement corroborer mon propos. 

     L'Ancien Empire s'achève dans la confusion : l'Administration centrale n'étant plus que l'ombre d'elle même,  la Première Période intermédiaire peut commencer ... qui accentuera encore l'effondrement de l'Etat égyptien.

     C'est dans ce type de société, c'est dans ce climat particulier de fin d'une époque qu'évoluera la famille  privilégiée de Qar tout au long de la VIème dynastie.

   Et c'est leur dernière demeure à tous que je vous convie, amis lecteurs, de visiter avec moi en la compagnie de Miroslav Barta bien sûr dès samedi prochain ...

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(1) Alors que les Khenti-she dépendant du palais royal n'étaient que des serviteurs attachés à la personne du roi, ceux qui, comme Qar Junior, oeuvraient pour le domaine funéraire du souverain, faisaient partie d'une catégorie sociale remplissant les fonctions de cultivateurs, d'administrateurs et de chargés du culte.

(2) Nekhen était une ville de Haute Egypte, la Hiérakonpolis des Grecs (= ville des faucons).

(Barta/Bruna/Krivanek : 2003, 22 ; Barta : 2004 : 49 ; Baud : 1996, 14 ; Dessoudeix : 2008, 690 ; Grimal : 1988, 97-107 ; Vernus/Yoyotte : 1988, 141)