Le temps des reprises

Par Borokoff

A propos de Les moissons du ciel de Terrence Malick 3 out of 5 stars

1916. Etats-Unis. Bill, ouvrier dans une fonderie, sa petite amie Abby et sa sœur Linda décident de quitter Chicago pour le Texas et ses moissons. Le travail est dur, la vie misérable. Mais lorsque le richissime propriétaire de la ferme tombe amoureux d’Abby et lui propose de rester, Bill y voit une opportunité de s’enrichir et de changer enfin de vie, le propriétaire étant condamné par la maladie… Mais le propriétaire ne meurt pas et Abby tombe même amoureuse de lui, ce qui a le don de rendre Bill fou de jalousie…

Troisième film de Terrence Malick, Les moissons du ciel (1979) est construit autour d’un  triangle amoureux dont on sait dès le départ qu’il annonce une tragédie à venir. Mais laquelle ? Bercé par le refrain lancinant des compositions de Doug Kershaw, irradié par la photographie de Nestor Almendros, Les moissons du ciel contient en germes toute la poésie et l’art de fabriquer de Malick.

On admire les artifices et les ficelles de sa réalisation. Son processus de création : très peu de dialogues, une voix off qui décrit avec un langage imagé et force détails la situation et les caractères des personnages.

C’est un poème solaire. Tout est dans le non-dit, dans le visage faussement étonné et innocent de Bill (Richard Gere, dont c’est le premier grand rôle au cinéma), dans le caractère ambigu d’Abby dont on ne sait pas au final qui elle est, ni ce qu’elle pense, ni ses réelles intentions. Mais le sait-elle elle-même, un peu paumée et dépassée par les évènements ?

En voix-off, la gouaille de Linda en dit bien plus long qu’aucun dialogue. Longue métaphore filée qui décrit avec acuité les vices et les qualités des uns et des autres.

Le silence est pesant. La caméra de Malick insiste sur le visage de Gere et tente de percer une expression qui trahirait qui il est vraiment. En vain. Bill reste un personnage mutique et qui feint l’innocence, animé par une soif de revanche sur la société. Mais aucun doute, Bill est une crapule. En revanche, difficile de lire dans le cœur d’Abby, tiraillée entre son affection pour Bill et l’amour naissant qu’elle éprouve pour le propriétaire terrien (Sam Shepard).

C’est une chronique amère, un conte cruel pour Abby dont le sort semblait scellé dès la naissance. Fatalité ? Quelle part de responsabilité a-t-elle dans le drame qui s’est produit ? Est-elle vraiment une victime ? C’est ce que le film décrit avec finesse sans lever les doutes. Comment Abby, à la fois victime et bourreau, ne contrôle plus rien. Emma Bovary perdue par son romantisme…

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