Boucans, de Henri Droguet (par Bruno Fern)

Par Florence Trocmé

 Dernier ouvrage paru aux éditions Wigwam après 19 ans d’existence, cette mince plaquette regroupe quelques textes à la hauteur du pluriel du titre, tant ils résonnent avec vigueur dans deux dimensions familières aux lecteurs d’Henri Droguet, d’une part la rumeur sans mots du dit « monde », principalement évoquée à travers la démesure (à l’échelle humaine) des temps et des espaces et la profusion des éléments naturels (eaux, vents, plantes et bêtes, sauvages pour la plupart – c’est-à-dire excédant d’autant plus toutes les dénominations savantes ou locales qui ne manquent pas de figurer ici) : 
 
 
Éternellement les espaces 
expansifs infinis vrombissent 
et bossues pas bossues les baleines 
ronronnent leurs musettes et mixtures 
hydrauliques fondamentales 
harmoniquement périment les vieilles foudres
 
 
 
d’autre part, s’élevant au milieu comme elle le peut, la voix de « l’humain trognon / cabossé lacunaire en marche », double tragicomique du poète qui, s’il n’arrive décidément pas à se taire1 n’en demeure pas moins lucide quant aux limites de son (dé)chant : « il bave ses glorioles / fariboles / tire sa langue » – et, à force de tirer dessus, finit par (se) créer de brèves issues dans l’anéantissement qui reste toujours en fond d’écran2
Pour cela, le poème tente d’être le lieu où nommer ne se fait pas sans montrer à quel point cette nomination ne peut que rater sa cible et, du coup, il en devient lui-même une qu’il faut essayer d’atteindre, objet sémantico-sonore dont l’inanité ne saurait être que partielle : 
 
 
bientôt les astres noirs 
des nuits inépuisées 
 
et quoi ? 
quoi qui sarcle sarcle 
et sarcle hoquète ? okay ?  
 
(toutes affaires incessamment terrestres) 
 
 
Autrement dit, que ce ne soit pas là beaucoup de bruit pour rien mais que ça aide un tant soit peu à faire face à « l’effréné charroi le flot / brouillé d’obliques courants traversiers ». 
 
 
par Bruno Fern 
 
 
Henri Droguet, Boucans, , éditions Wigwam, juin 2010, 11 pages, 5 €. 
Parutions Wigwam 
 
 
1. Oui, dans ma vie, puisqu'il faut bien l'appeler ainsi, il y eut trois choses : l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire, et la solitude, physique bien sûr ; avec ça je me suis débrouillé. » (S. Beckett, L'innommable). 
 
2. Autre nom de l’amnésie, en particulier celle qui règne dans l’usage strictement communicationnel des mots, puisque « la mémoire plombée / dépourrit dans les langues ».