Entretien avec le président de Loft Design By

Publié le 02 juillet 2010 par Littlestylebox

Comme je vous l'expliquais en début de semaine, j'ai été contacté il y a assez longtemps par la marque Loft Design By…. Outre le fait de me prêter le showroom, Mathieu, le responsable communication, me proposait de rencontrer le président de Loft, Patrick Frèche. Vous connaissez ce blog, d’habitude, je rencontre des jeunes créateurs ou des stylistes, rarement des créateurs de marques aussi établies. Je ne suis pas un blog très connu, ni très commercial. Je n’ai pas le même trafic que Garance Doré ou La Méchante… Je ne mets pas de publicité et je ne me fais jamais rémunérer pour un article. Non, amateur de blogueurs passionnés et de belles photos, Patrick Frèche voulait juste me rencontrer informellement pour discuter…
Après plusieurs mois, nous avons fini par trouver une date commune pour déjeuner.

Patrick Frèche est un véritable personnage. Passionné de fringues, il sillonne le monde jonglant entre la présidence de la marque Loft Design By et sa passion pour l’art. Je le rencontre au siège de Loft, un bâtiment brut aux murs couverts d’antiquités et d’œuvres d’art. Sa poignée de main est chaleureuse, son regard franc. En chemin vers le restaurant, on commence à discuter de tout et n’importe quoi: sa passion pour l’art (il part le lendemain à la Foire de Bâle, pour acheter probablement), sa collection de photos de Villers, Fournole, Clergue, il cite Nietzsche ("la vérité et la sérénité s’atteignent par l’esthétisme"). Arrivé au restaurant, je commande des spaghettis à la Vongole, mes préférés, pendant que Patrick me choisit un verre de son vin blanc préféré ("J’adore le vin, j’en collectionne pour mes amis. C’est beau une belle bouteille, surtout pour des gens qui apprécient. Faire kiffer les gens, c’est-ce que je préfère…").
Tant mieux, le kif, c’est mon truc. Je pose mon enregistreur sur la table pour un entretien fleuve à la découverte de la Frèche Touch…
La marque a fêté ses 20 ans en avril dernier, quel est le regard que vous portez sur le développement de Loft ?
C’est une marque qui a bien muri et qui a trouvé sa place, sans pousser des coudes, sans faire dans l’extravagance, en restant fidèle à ses valeurs qui sont universelles et simples: faire un bon produit avec une excellente qualité, avec des finitions et des détails qu’on ne voit pas mais qui font le luxe et l’élégance.
Quel a été votre parcours avant le lancement de Loft ?
J’ai fait des études très tard.. J’étais un étudiant attardé, j’ai fait Sciences Po, un doctorat de droit, je ne voulais pas m’arrêter. J’ai toujours aimé les fringues. Déjà à 14-15 ans, j’allais en Solex à Clignancourt le week-end pour trouver de vieilles fripes. Je faisais partie de la bande du Drugstore en haut des Champs Elysées. Tous les jeunes s’y retrouvaient. La salle de restaurant était fabuleuse, toute en bois avec des Winchester sur les murs, style western. La folie de l‘époque, c’était les chaussures à pompons, les pulls en Shetland, les blousons en daim style Kirk Douglas, les cabans marins, les vestes madras, les pompes Weston, toute une époque… Vous n‘avez pas du connaître tout ça…. Mais j’étais aussi un rêveur. J’étais attiré par l’art, l’architecture, j’ai commencé à acheter dans les salles de ventes à 16 ans. Les fringues, je suis finalement tombé dedans par hasard. J’ai commencé à monter des boutiques, puis j’ai lancé Loft en 1989.
Quelle a été la réaction du public à ce moment ?
Cela a été un véritable séisme. On a quelque part révolutionné le monde du vêtement. J’ai inventé quelque chose que les gens voulaient et qu‘ils ne pouvaient trouver à l‘époque. Créer des vêtements, c’est pressentir un peu les besoins des gens. C’est essayer de prévoir ce qui va se passer. On sortait des années un peu folles où il fallait s’afficher. Avec Loft, on retournait à quelque chose de plus sage, de confortable. Et on offrait un véritable style de vie.
Vous avez offert une mode en opposition au maximalisme et à l’ostentation des années 80...
Je n’ai pas cherché à me mettre en opposition à un courant. J‘ai juste essayé d’exprimer ce que je ressentais. Et il y a eu un formidable écho des clients.

Dessin original de Wolinski pour l'ouverture de la 1ere boutique en 1989


Où a ouvert la première boutique ?
Faubourg St Honoré, un formidable emplacement. A l’époque la mode faisait plutôt des choses qui brillaient, alors cela dénotait beaucoup. On était parti sur un style de boutique atelier sur un fond brut.
Est-ce que ce concept a évolué ?
Une marque ne peut pas rester figée, mais les fondamentaux sont là: un esprit atelier dans lequel on n’a pas dénaturé le lieu. Lorsqu’on reprend un local, la première chose qu’on fait c’est de tout désosser pour retrouver la structure d’origine. Ensuite, on va donner un côté luxe avec de belles matières, des meubles contemporains, des tables danoises… J’aime beaucoup l'idée de partir d’une structure brute, cela se marrie avec tout.
Sur ces 20 dernières années, qu’est-ce qui vous a rendu le plus fier ?
Ce dont je suis le plus fier, c’est la durée. On ne se rend pas compte mais ce n’est pas évident aujourd’hui. Je suis fier de ne pas avoir abîmé les codes de Loft. On ne s’est pas galvaudé ou perdu.
En termes de vêtement, je suis fier d’habiller des gens qui se sentent bien, qui restent eux-mêmes, qui n’ont pas l’impression d’être déguisés.
Y a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
Au risque de paraitre prétentieux, je vais vous dire que je n’ai pas de regret. Il n’y a pas de choses que j’aurais pu faire et que je n’ai pas faites. Peut être un développement plus agressif, mais les regrets, ce n’est pas mon truc.
Depuis 20 ans, on a vu l’arrivée en France des marques mainstream comme Zara ou H&M;, puis plus récemment le développement important de marques plus hauts de gamme comme Comptoir des Cotonniers ou The Kooples. En comparaison, le développement de Loft parait plus sage…
Effectivement, nous avons été confrontés d’un côté au mass market avec l’émergence de Zara, H&M;, Gap, ou maintenant Uniqlo et de l’autre côté par le luxe qui a fait un grand retour sur la scène auprès du grand public. Et dans cet étau, on a vu depuis 3-4 ans l’arrivée de jeunes marques hyper agressives comme Maje, Sandro, The Kooples… Avec Loft, je vais vous dire que nous sommes hyper confortables aujourd’hui. Il y a de la place pour tout le monde. En ce qui nous concerne, on a notre territoire d’expression, on a des codes biens particuliers, des racines bien établies.
C’est sûr, demain, je pourrais faire appel à une banque et lever des capitaux pour ouvrir des centaines de boutiques. Mais c’est pas notre truc, on veut prendre notre temps, faire bien les choses. J’aime bien me presser avec lenteur.
Et je ne suis pas le seul dans ce cas, regardez APC, ils vont aussi à leur rythme. Ce qui est important vis à vis du client, c’est d’avoir un discours de vérité.

Le showroom Loft


Vous êtes également pas très présents dans les médias ?
C’est vrai que nous communiquons peu. On a déjà fait des campagnes formidables notamment dans Libé où on jouait avec la définition des mots. C’était rhétorique, avec des syllogismes, pas du tout marketé. Aujourd’hui, on communique à travers les actions caritatives ou littéraires qu’on va relancer avec Werner Lambersy, un poète avec qui j’avais créé la nuit des poètes il y a une quinzaine d’années et que nous allons relancer. On a fait des actions sur la Paix, sur la diversité. On a été partenaire et on a été présent, mais communiquer pour faire du trafic, on ne l’a pas fait.
Maintenant, on a envie d’exister un peu plus sur le plan médiatique. On doit faire comprendre aux gens ce qu’est Loft. Loft a évolué, ce n’est pas que du blanc, du noir, du gris... Aussi, on finit de mettre au point une très belle campagne avec beaucoup d’humour, de clins d’œil. Vous la verrez très prochainement !
L’avenir de Loft, c’est l’international ?
Oh que oui. On a ouvert récemment à Londres, on a va aller à Berlin, Madrid, Barcelone puis les Etats-Unis et sans doute l‘Asie. On prévoit 19 nouvelles boutiques d’ici 2013.
Où voyez-vous Loft pour les 30 ans ?
C’est intéressant, je n’y avais pas vraiment réfléchi… [Petit temps de réflexion]
Moi dans 10 ans, je ne vois pas uniquement de nouvelles boutiques, mais une déclinaison sur un véritable art de vivre, avec du mobilier, de l’architecture. On va étendre notre territoire d’expression. C’est un rêve qui va se réaliser, mais à l’horizon de 10 ans.


Où sont fabriqués les produits Loft ?
Un peu partout: en France, en Italie, au Portugal, en Asie parce qu’ils savent faire, en Inde où je travaille depuis 1979 pour les foulards et les écharpes. Partout où il y a un vrai savoir faire.
Toujours une partie en France donc…
Oui, mais pas assez… Le problème c’est qu’en France, des berceaux entiers de la filière textile ont été démantelés: Roubaix, Troie, Roanne, Lyon, on a saccagé ces métiers.
Chez Loft, on achète les plus belles matières. Si je le fais produire en Italie, il me reviendrait beaucoup plus cher et je serais obligé de le mettre au même prix qu’une marque de luxe. Nous on achète un produit, on n’achète pas un prix. On s’intéresse au savoir faire, et on trouve le meilleur endroit pour pouvoir le proposer à nos clients à un bon prix.
Vous avez utilisé le mot de luxe, est-ce que Loft, c’est du luxe ?
On se situe à la lisière du luxe, c’est une façon de revenir aux sources aussi. En ouvrant Loft Faubourg Saint Honoré, nos clients communs sortaient de chez Hermès pour venir chez nous. Ce n’est pas incompatible. Je suis contre les total-looks. Rien ne m’empêche de mettre un gilet de cachemire Loft avec une cravate faite sur mesure chez Marinella à Naples, une chemise Charvet et un jean 501 avec des baskets.
Que pensez vous des 2e lignes des marques de luxe qui attaquent justement ce segment haut de gamme ?
C’est bien… Plus il y a de monde, mieux c’est. J’aime bien See by Chloé, Etoile de Marant, ou des marques comme Vanessa Bruno… C’est bien tous les gens qui font juste. Une marque doit rester sincère, avoir des fondamentaux…
On parle beaucoup de développement durable, est-ce que Loft va se mettre au coton bio ou réduire ses émissions carbone ?
C’est pas hier qu’on a commencé à le faire, cela fait déjà des années. Aujourd’hui, on va développer un programme de développement équitable axé sur l’écologie en partenariat avec le Ministère de l’Industrie. On va être amené à renforcer notre collaboration avec les petits artisans.


Vous vous êtes engagé aussi auprès de Paris pour la Paix ?
Pour moi, c’est évident. Une entreprise ne se définit pas uniquement par la masse de produit qu’elle vend, ou les profits qu’elle génère mais par l’engagement qu’elle a. Je ne pourrais pas imaginer l’idée de ne pas m’impliquer si j’ai la possibilité de le faire. C’est pour moi hors nature.
Et pourquoi la paix ?
Attendez, la paix, ce n’est pas un vain mot. Cela s’accroche au cœur de toute l’humanité. A part les fous et les extrémistes, qui n’est pas pour la paix ? C’est évident qu’on veut la paix alors si on a les moyens d’exprimer quelque chose, il faut le faire.
C’est en tout cas un engagement assez exceptionnel pour une marque de prêt-à-porter…
Je ne trouve pas ça exceptionnel. Exceptionnel, ce serait tout vendre et consacrer 100% de ce que vous avez vendu à créer des orphelinats et consacrer sa vie au malheur comme Mère Theresa. Là, c’est en avoir où je pense !
Ce que je fais n’a rien d’exceptionnel, c’est un strict minimum… Je ne m’enorgueillis pas de ça, sincèrement.
Quel est le temps que vous consacrez à Loft ?
24h sur 24, 7 jours sur 7, vous me prenez pour une vieille branche ??
Mais vous voyagez tout le temps, vous me parliez de partir à la Foire de Bâle acheter de l’art, c’est compatible avec votre agenda ?
Je vais vous dire: le talent et la force, c’est de savoir s’entourer. Quand vos collaborateurs sont à la hauteur, vous êtes le coach et les choses avancent. Aujourd’hui, David Frèche s’occupe de tout le développement et de tout ce qui est administratif et financier. Personnellement, je m’occupe de toute la partie artistique. J’ai mon regard sur toute la communication, le merchandising, et toute la partie création des vêtements. Je donne le ton et l’esprit.

Une oeuvre dans le bureau de Patrick Frèche


Avez-vous envie de présenter votre collection d’art dans vos boutiques ?
J’ai envie de montrer ce que j’ai accumulé aujourd’hui mais de le faire sans esprit mercantile. Je pense qu’une boutique ne serait pas appropriée. Maintenant, il me reste à trouver un lieu et y mettre des peintures, des photos, des sculptures, du design… C’est là où on verra si j’ai su rester cohérent dans mes choix. C’est vraiment un projet qui me tient à cœur.
Que pensez-vous d’internet et des blogs ?
Génial !! Je suis très friand de nouvelle technologie. Je viens d’avoir un Iphone que je ne quitte plus. Internet est un outil de liberté extraordinaire. Il y a une vraie prise de pouvoir des gens. N’importe qui peut techniquement exprimer son opinion. Bien sûr, il faut que cela reste toujours honnête et innocent. Si cela devient politique, je suis moins fan.
Et une appli Ipad pour Loft ?
L’idée de l’Ipad est géniale mais je ne suis pas tellement pour. Ce serait du commercial et ce n‘est pas notre genre. On le fera si on a quelque chose de vrai à exprimer.
Pour finir, vu que vous aimez les mots, quelques explications sémantiques. Que signifie Art is a dirty job, but somebody's got to do it ?
C’est de Bob Zoell. Il faisait des graffitis à Los Angeles dans les années 80 dans la mouvance de Julian Schnabel. J’ai trouvé cette maxime sur un tshirt sublime. Je l’ai repris depuis pour Loft.
L.O.F.T ?
Là Où Freche Travaille
Design by…
You, toi moi, lui, elle…
Merci Patrick Frèche !!!
www.loftdesignby.com