ta mère – victoires [2/3]

Publié le 05 juillet 2010 par Collectifnrv


- Dans la cour de récré, ces insultes sont idiotes, je suis d’accord. Mais là, toi, tu as un discours hypocrite…

- Non.

- Si : tu veux nier la violence.

- Non.

- Es-tu d’accord pour dire que la violence est en chacun de nous ?

- Oui. Mais, on ne règle pas la violence par la violence. Avec les anarchistes comme toi, c’est tout de suite la jungle, la guérilla et la lutte armée !

- Je ne suis pas anarchiste – ni communiste, du reste.

- Mais, tu es pour la violence !

- Pas spécialement. Mais, quand on me cherche, effectivement, on me trouve ! Plutôt que la violence, je suis pour la parole – pour qu’on se dise les choses, d’une part, et aussi, qu’on tienne sa parole, oui.

- Pour moi – et je l’ai toujours dit – tu nous fais le Misanthrope de Molière : Alceste, c’est toujours le sacré, le respect des valeurs, ou alors c’est le sacrilège. La parole à la lettre, et la parole dite seulement. La valeur des mots, dans un sens et pas un autre. Avec l’amour : c’est l’absolu ou rien ! Ce qui agace Célimène d’ailleurs, qui, elle, voudrait bien batifoler de temps en temps. Avec lui, autant vivre dans le désert !

- Mon cher Philinte, je ne suis ni anarchiste, ni communiste… ni misanthrope ! si ce n’est que ça, je n’ai rien contre le batifolage ! Mais, revenons à ta mère alors. On vient donc de chier et pisser sur la gueule de ta mère, et toi, tu dis : « Je reste zen – sang-froid – Gandhi – et je tends l’autre joue ».

- Oui.

- Bon, alors, le gars, il revient donc chier et pisser sur « l’autre joue », et tu dis : « Je reste zen – self control –Gandhi – de marbre – et tu ajoutes : je tends la troisième joue ! »

- Oui.

- Très bien. Alors, les copains du gars, ils viennent le jour d’après pour « la troisième joue » : ta mère, tous les jours, elle est ensevelie sous la merde et inondée de pisse, et toi, tu ne fais toujours rien ?

- Si : je leur donne des coups !

- Voilà : c’est bien ce que je te dis !

- Non, car je crois au groupe social, qui vient t’aider.

- Eh bien là, le groupe social aujourd’hui, il vient, mais du côté de celui qui t’insulte, qui chie et tout le reste !

- Pour moi, tout ça, c’est abstrait.

- Ah ? Bon. Alors, prenons un cas, une expérience qui t’est arrivée. Tu as frappé un de tes élèves, je crois ?

- Non.

- Levé la main sur lui ?

- Non.

- Tu as eu une situation délicate avec un gamin de treize ans, très corpulent, si je me souviens bien…

- Oui, je l’ai agrippé et je l’ai sorti de la classe !

- Tu as commis un acte de violence…

- …qui est interdit. Mais, avec toutes les lois, tout devient interdit alors ! Il se mettait – et mettait les autres – en danger, je l’ai sorti pour qu’il ne me dérange plus – et qu’il ne dérange plus la classe. Je suis d’ailleurs allé voir le chef d’établissement, j’ai fait un rapport, et ai déposé une plainte à la police. Je crois donc au groupe social, et aux institutions de la République.

- Donc, tu es en train de me dire que tu vois bien notre grand Zidane, pendant le match de Coupe du monde, lever son petit doigt vers l’arbitre de terrain, et dire : « Monsieur… Materazzi, il a insulté ma maman… » ?

- Bien sûr que non ! Il faudrait des micros partout, alors !

- Donc, on ne saura jamais ; ou on fait comme je le fais : on déplie ce qu’on voit. On décode ce qu’on a vu. Et puis, on le sait, Materazzi, c’est un provocateur professionnel. Donc, son coup de boule, il l’a aussi cherché !

- Tout ça, pour moi, c’est très abstrait.

- Au contraire, c’est très concret – « palpable » même ! A tel point que je suis presque certain que si on enquêtait, on trouverait des talons de chèques, et de gros mouvements bancaires sur certains comptes !

- Ce n’est pas ce que je vais dire à mes élèves !

- Ah, si ! pourquoi pas ?! Il faut leur dire qu’il y a une disproportion entre Zidane qui joue pour la Coupe du monde, et eux, dans leur petite cour de récré – que ce sont des contextes complètement différents. Avec la Coupe du monde, il y a des enjeux colossaux d’argent. Alors qu’au maximum, tes élèves, ils jouent pour dire qu’ils sont les plus forts aux yeux des copains. Donc, que pour satisfaire leur petite vanité de joueur de foot à la cour de récré aux yeux des copains, c’est effectivement idiot d’insulter la mère de son camarade de jeu.

Quand tu parles de Zidane à tes élèves, tu ne parles pas de violence de l’argent – des enjeux de pognon, je devrais dire. C’est sûr que le téléspectateur gavé de hamburgers, et l’enfant encore moins, ils ne le voient pas le pognon sur l’écran. Ce qu’il voit c’est le coup de boule, d’autant plus qu’on le lui repasse en boucle ! Et puis, à cela, il faut ajouter que Zidane, c’est le monsieur qui fait la pub pour les magasins « E. D. ». Or, quand il donne son coup de boule, il joue aussi sa réputation ! Eh, oui, il y en a encore pour qui défendre l’honneur d’une mère – ou de sa famille – ça passe avant la réputation !

Et puis à ce moment-là, la France et l’Italie, ils jouaient quoi ? Une finale, c’est bien ça ? Bref, là, ils jouent un moment historique du football, alors que tes gamins, dans la cour de récré, ils jouent quoi au maximum ? Donc, oui, là, encore, il faut dire à tes élèves que ça ne mérite pas de s’insulter au foot, juste pour montrer qu’on a une plus grosse quéquette que le copain d’en face !

[fin de la deuxième partie]

par Albin Didon