Les vertes lectures : La Comtesse de Ségur, Jules Verne, Lewis Carroll...

Par Vanessav


Je prends beaucoup de plaisir à lire des essais sur les livres. Est-ce pour palier à une culture lacunaire de la littérature ? Bien-sûr mais c’est aussi une manière de raisonner sur ce que les auteurs nous donnent à lire. « Les vertes lectures : La Comtesse de Ségur, Jules Verne, Lewis Carroll, Jack London, Karl May, Selma Lagerlöf, Rudyard Kipling, Benjamin Rabier, Hergé et Pierre Gripari » de Michel TOURNIER et illustré par Sibylle DELACROIX offre en cela une ouverture aux lectures en même temps qu’une belle mise en valeur.
L’auteur, de livre pour adultes et plus jeunes, nous livre ici les contextes d’écritures de ces auteurs fabuleux. Il nous rappelle que sous les termes de lectures « vertes », il y a ces livres mis au rayon jeunesse mais dont les récits, sous des histoires imagées, ont justement la « verdeur » de la vie : ironie, cruauté, drame, jalousie et politique...
La bibliographie de la Comtesse de SEGUR remise dans son contexte apporte cette touche de peinture de mœurs, de religiosité, de politique. « Le grand bonheur de Sophie, c’est sans doute de nous donner pour notre joie et pour notre perplexité un écheveau de malice et de candeur si bien enchevêtré qu’il ne nous est pas possible de le démêler. »
Jules VERNE nous amène la distinction entre écrivains historiens, intéressés par la noirceur humaine, et les écrivains géographes, euphoriques à toutes nouvelles expéditions. Mais Michel TOURNIER ouvre les aventures écrites par VERNE dans justement ce paysage habité. « […] l’œuvre de Jules Verne relève tout entière de la philosophie et sa forme romanesque elle-même peut se ramener à une quête de la rationalité par un sujet connaissant héroïque affrontant des terres et des mers inconnues pour les conquérir. » La physique et la géographie sont alors en dualité et offre une vision du bonheur dans un lieu clos, éloigné du vrai monde : le bonheur par élimination des intempéries.
Lewis CARROLL est dépeint dans ses failles et sa passion pour les très jeunes filles mais c’est sûrement pour cet enfer de « derrière le miroir » vers la sexualité et du devenir qui annihile le présent.
Jack LONDON offre sa vie sous romance, de multiple aventures et tumultes.
Karl MAY que je découvre et son western-choucroute.
Selma LAGERLÖF apparait avec tout le prodige d’unir le réalisme à la féérie, offrant une connaissance appuyée des éléments de la nature, faune et flore, et des activités nocturnes.
Rudyard KIPLING encore plus mystérieux, pour lequel l’Inde apparait en décor mais pas forcément en symbole. La faune et la flore participent de ces caricatures humaines et de cette civilisation victorienne. Le discours entre l’inné et l’acquis est là dans cet adolescent sauvage, pas si sauvage d’ailleurs et pas sexué. J’ai envie de relire « Le livre de la jungle » et « Kim » bien-sûr.
Benjamin RABIER est repositionné dans ses satyres humaines sous forme d’animalier… et un clin d’œil à la vache qui rit.
Tintin apparait comme un jeune homme sorti du scoutisme et sorti de toutes les contraintes personnelles : pas de métier, de famille, de statut social etc… seule intelligence parmi les adultes.
Ou Pierre GRIPARI dont la vie n’a de valeur que l’écriture de conte, qu’être transparent et sortir de l’imagination.
Un point important est aussi cette proposition d’un discours sur la propre œuvre de l’auteur, Michel TOURNIER. Sont repris cette réflexion superbe sur la solitude, l’inné et l’acquis, le sauvage mais aussi de ce qu’est un livre jeunesse réussi. L’auteur nous présente ses différentes trames, avec un « Vendredi » différent entre la version philosophique et celle jeunesse mais aussi le rôle important d’un livre, car repris en classe, car traduit ou même piraté. En cela le questionnaire de Proust en fait de livre est particulièrement intéressant, surtout quand on pense qu’il a essayé de remettre sur le devant de la scène « La pomme rouge » de Francis GARNUNG, oh combien une merveille!
Même si ces chapitres me poussent à vouloir lire, relire, que ce soient mes lectures présentes, CARROLL ou KIPLING mais aussi les plus jeunes comme du LONDON ou du LARGELÖF, ils vont encore plus loin et m’incitent à lire entre els lignes d’un Tintin (Tiens cela me rappelle des cours de sociologie de la représentation artistique !) ou d’un Bécassine, oui, oui. Les propos tenus par Michel TOURNIER poussent à l’esprit critique, poussent à une relecture des écrits dit jeunesse avec justement la lucidité plus aiguisée d’un adulte. Il nous offre des portes d’entrée mais aussi l’intuition de nombreuses autres caractéristiques d’un livre pour adulte réussi, avec un sens.
J’ai particulièrement été touchée par l’oralité et l’écrit dans la littérature.
Même si la lecture est un acte conquis, acte d’apprentissage, elle n’est pas démunie d’oralité. J’aime énormément ce point de vue. De cette lecture à voix haute des proches d’un enfant à celle de comédiens lisant des œuvres classiques pour tout un chacun ou pour les aveugles, en passant par la lecture à voix haute d’apprentissage avant d’être mentale plus tard, l’écrit peut être partage, don de voix.
TOURNIER reprend aussi les genres littéraires dont l’oralité lui semble (et est) une conséquence : le théâtre se doit d’être vécu ; la poésie d’être audible et proclamée ; les contes, résultantes de partages et d’oralité populaire ou ceux créés pour être amplifiés devant public. Le livre offert par l’auteur comme une moitié dont le lecteur par sa voix mentale ou orale présentera le reste, la tonalité, l’emphase etc…
La philosophie aussi transparait là et présente les œuvres avec une nouveauté et une originalité salvatrice : Gilles DELEUZE, KANT, SPINOZA.
Une lecture recommandable bien-sûr !