Vice Présidente de l’Association Française des Experts et Scientifiques du Tourisme (Afets), jadis Conseiller technique au Conseil National du Tourisme, Isabel Babou a décidé de prendre la parole. Actrice engagée depuis plusieurs années, elle estime qu’il faut davantage protéger les populations locales, reconnaître notre dépendance à l’avion et garder foi dans la science et dans l’homme pour discipliner le tourisme de masse qui, selon elle, ne disparaîtra pas.
Le tourisme durable : une belle idée ?
Haro sur le tourisme ! Affreux secteur très pollueur qui contribue avec ses avions à 4 à 10% des émissions de GES (selon les sources et selon aussi que l’on prenne ou non en compte les émissions de vapeur d’eau, principale source de GES, rappelons le).
Haro aussi sur cette « masse » qui se promène à travers la planète, au gré de ses envies. Nous sommes d’accord : 900 millions ce n’est pas rien ! Et dire qu’en 2020 cette masse sera de 1,6 milliard (OMT) pour une population de presque 7 milliards d’âmes. Un petit quart d’entre nous sommes touristes, la majorité venant des pays développés.
Il trouve des voyagistes responsables qui vont l’aider dans cette voie : Choix d’hébergements respectueux de l’environnement proposant une nourriture locale et de saison, eau recyclée, énergie économisée et compensation carbone volontaire. Cette dernière consiste à faire à un don à un organisme mandaté, souvent par l’ONU, qui servira à monter un projet durable dans un pays du sud. S’il ne veut pas de ces propositions, il peut aussi partir « en mission humanitaire» partager le quotidien d’une famille et aider la communauté locale à construire une école, creuser un puits. Avant son départ il consultera même un site proposant un éco comparateur et opérera ainsi un choix éclairé. Alors battons joyeusement des mains, car la crise aidant on se replie sur soi, on compte, on part moins loin, moins longtemps, protégeant ainsi notre si chère planète, pour nous et pour nos enfants.
…qui cache quelques contradictions
Seulement voilà ! Le volcan islandais a totalement bloqué le ciel européen pendant près d’une semaine, ce qui a montré notre dépendance à l’avion , a couté cher aux professionnels mais est une excellente nouvelle pour la planète ! Concernant les professionnels : voyant leur chiffre d’affaires baisser ? Crise, volcan (…), ils vont proposer des voyages à prix cassés pour séduire le chaland et limiter les dégâts. Commercialement normal ! Mais cette offre est elle responsable, durable ? Pas sur. Il va sans dire qu’un voyage responsable est plus cher. On paye pour sauver la planète et racheter son « pêché de pollution » et on s’adresse à une élite intellectuelle consentante.
En attendant certains pays, dont l’économie repose très largement, pour ne pas dire uniquement sur le tourisme, surfent avec habileté sur la vague durable. Comme le Costa Rica, longtemps montré du doigt pour son tourisme sexuel avec condamnations de « criminels » à l’appui. Ce pays se tourne maintenant vers le tourisme durable.
En matière de respect des populations locales ? Mais comment peut- on générer une image verte avec une certaine réalité à l’appui ? En montrant ses beaux paysages préservés. Et comment préserver la nature ? En faisant des parcs nationaux. Là encore, comment faire ? En boutant les autochtones hors de la zone à préserver. Et là que se passe- t-il ?
Le tourisme ne passera pas !
Pourquoi incriminer le tourisme et ses adeptes quand les avions et les voitures sont plus économes en carburant ? Depuis 1975 la consommation de kérosène par mile de vol a baissé de 40%, les voitures consomment en moyenne 7 litres au 100/km, les petites citadines pouvant aller jusqu’à 5. Les hôtels se muent progressivement en éco hôtels, les climatiseurs et les moyens de chauffage ont gagné 17% d’efficacité depuis 1990. Notre mode de vie menace-t-il tant que cela la planète ?
Devons nous renoncer aux voyages pour laisser les lianes envahir librement les pyramides mexicaines ou les arbres les 300 temples d’Angkor ? Devons nous cesser de visiter la planète pour que les espèces animales invasives puissent s’y épanouir loin de la pollution de nos avions ? Non, en aucun cas et pour différentes raisons.
La première raison c’est que nous aimons voyager !
La seconde raison c’est l’espoir confirmé par les progrès accomplis depuis 20 ou 30 ans. Solar Impulse va décoller, échouer peut être, recommencer et sera couronné de succès. Je suis petite fille de pilote de dirigeable, pionnier de l’aviation, c’est dans mes gènes d’y croire et j’y crois !
La troisième raison, c’est justement la raison. L’homme est doué d’intelligence, il façonne les paysages depuis toujours, apprivoise la nature pour s’en nourrir, construit tous les jours le progrès, le commerce, les échanges culturels. Pourquoi changer soudain ? Nous allons aménager, tout simplement comme nous l’avons toujours fait, depuis la nuit des temps.
La dernière raison enfin, c’est que c’est beau de voyager, ça vous finit un homme en le mettant à l’épreuve du monde . Quand Thomas Cook a organisé le premier voyage de groupe qui a crié au scandale ? Quand l’essor des transports a facilité le tourisme, qui s’en est plaint ? Pourquoi donc bruler ce qu’on a adoré ? Le tourisme ne passera pas ! Il sera solidaire et de masse.
Qui est Isabel Babou ?
- Fondatrice de Babou Conseil (formation et conseil en tourisme)
- Co-auteur des « Dilemmes du tourisme » paru chez Vuibert, 2007
- Vice Présidente de l?association Française des Experts et Scientifiques du Tourisme (www.afest.org)
- Titulaire du Diplôme Universitaire d?Expertise Judiciaire
- Conseiller technique au Conseil National du Tourisme (CNT) entre 2000 et 2005
Contact : isabel.babou@wanadoo.fr
Lundi, 05 Juillet 2010
Source : Le Journal de l’EcoTourisme