LA HYPE, Marie Claire, I-08

Publié le 14 décembre 2007 par Caroline Rochet
MARIE CLAIRE

La hype, le dernier snobisme

Enquête d'intérêt public sur la branchitude

Janvier 2008
Pointue mais insaisissable, secrète et médiatisée, la hype attitude refuse d'être analysée. Mais à Marie Claire, on aime les challenges. Notre enquête ultra trendy.   

La quoi ? La hype, la branchitude, la top tendance, quoi ! Employé à tort et à travers, le mot soulève les passions, les épaules ou les sourcils. Il y a ceux qui savent, ceux qui aimeraient en être et ceux qui s'en foutent. Aussitôt définie, aussitôt démodée, la hype fascine. Notre journaliste Caroline Rochet voulait comprendre. Elle n'a pas été déçue. En exclu pour vous, les neuf lois de la hype.

* LOI N°1 : LA HYPE N'A PAS DE NOM

Sous ses airs de fille facile, la hype est une vraie plaie à maîtriser. Prête à tout pour la définir avec exactitude, j'ai courageusement interrogé les plus grands hypeurs de l'univers. Qui évitèrent sèchement de répondre. En effet, sachez que tel Voldemort dans Harry Potter, la hype ne doit pas être nommée, car celui qui prononce son nom est immédiatement frappé de ringardise (un branché ne dit jamais qu'il est branché, il l'est, point). L'un des maîtres m'assassina même d'un : "Vouloir définir le concept hype, c'est carrément mars 93". Face à mon insistance, les hypeurs me noyèrent finalement sous une trentaine de définitions contradictoires, dont je tirai que la hype, à la fois nom masculin et féminin, adjectif et adverbe au futur antérieur, désigne tout bêtement la branchitude, la fashion, le trendy, l'avant-garde, bref, le top de la tendance. A noter : en anglais, le mot "hype" signifie "battage médiatique exagéré". C'est intéressant, mais perturbant : je pensais que ça, c'était un "buzz". Croyant m'aider, un célèbre DJ londonien m'explique qu'en british, on ne dit pas "hype", mais "cool". Terme que je pensais totalement has-been, du moins en France. Je prendrais bien une aspirine.

* LOI N°2 : LA HYPE EST UNE GAMINE

Il y a des trucs avec lesquels la hype ne rigole pas. L'âge, par exemple. À l'exception des gens célèbres (ou très riches), le dieu de la hype exige de ses fidèles un sang très frais. Je me souviens avoir étourdiment dit un jour à l'un de mes amis, rédacteur en chef d'un journal très tendance, qu'il était super hype. Sa réaction ? "Impossible, j'ai trente ans". Récemment, un magazine branchouille titrait sans vergogne : "Fuck les trentenaires!". En couverture, un écrivain de 15 ans, l'air tout énervé. Il est temps d'ouvrir les yeux : la branchitude bac à sable, armée de bébés rockers, mini-mannequins et autres clubbers pré-pubères, a pris le pouvoir. Je me demande soudain si mes 28 ans m'autorisent à écrire cet article.

* LOI N°3 : LA HYPE EST OVERLOOKEE

La hype est à la mode ce que Pierre Hermé est à la pâtisserie française : la crème. Les hypeuses, les vraies, portaient le slim en 2004 et possèdent un jean-large-taille-haute depuis huit mois. Dans leurs jours sages, c'est Shyde ou Les Petites, dans les jours rock, un jean Superfine ou Sass & Bide, et quand elles sont d'humeur fluokids, elles dégainent toutes leurs t-shirts House of Holland. Les filles trendy se font coiffer par David Mallett ou Eric Roman, et, si elles sont vraiment over tendance, c'est Stéphane Pous (l'ami des tops) qui leur fait la couleur. A Londres, elles se ruent chez Top Shop, "boutique culte et pas chère, où Kate Moss a lancé sa ligne", dixit une british hypeuse qui, à l'évocation de son icône, marque une pieuse minute de silence. Dernier détail, apparemment international : même s'il grêle, tout hypeur digne de ce nom ne sort pas sans lunettes de soleil, vintage de préférence (parce que les Wayfarer Ray Ban, tout le monde les a). J'exhibe donc avec fierté une paire 60's héritée de ma grand-mère, heureuse de noter que la hype n'exige pas toujours d'être multimillionnaire. Même si c'est mieux, bien sûr.

* LOI N°4 : LA HYPE ADORE LE NET

La hype sans web, ce serait un peu comme l'Elysée sans jogging. Sans être des geeks, les hypeurs utilisent la toile comme vous un téléphone : copinage, drague, agenda, tout se passe sur les sites de réseau. L'activité online des hypeurs consiste globalement à étaler leur vie privée, épier celle des autres, se faire une douzaine de nouveaux "friends" par jour et se tenir au courant des soirées à venir. Le top ? Facebook, sorte de MSN surdéveloppé et addictif, et Small World, réservé à la jet-set (pas très fun, mais pratique pour acheter un Birkin vintage ou se faire des contacts pointus à l'étranger). Bon à savoir : les nouveaux talents artistiques ne se découvrent plus sur MySpace (désormais has-been) mais sur Virb, son trendy successeur. Jusqu'à nouvel ordre hype.

* LOI N°5 : LA HYPE EST CULTIVEE

On aurait tort de croire la hype superficielle. Faire la fête et adorer la mode permet généralement aux hypeurs de frayer avec le gratin de la culture contemporaine. Leur goût est simple : ils lisent des auteurs hype (Emmanuel Tugny, Jay McInerney, Béatrice Cussol ou Irvine Welsh), vont aux vernissages des galeries hype (Frank Elbaz, la Bank ou le 47 de Kamel Mennour), et écoutent bien entendu des groupes hype (Chloé, Sébastien Tellier, les Crystal Castles, Hadouken), qu'ils voient parfois en concerts privés (Courtney Love dans les salons Givenchy). Mais attention, tout véritable hypeur se doit de mentionner à l'occasion un obscur génie dont personne n'a entendu parler (et pour cause : il vient à peine de mettre son premier morceau sur Virb), voire, quand il est d'humeur provoc', citer du Beigbeder. Car le hypeur est taquin.

* LOI N°6 : LA HYPE EST FÊTARDE

Quand je demande aux hypeurs où ils sortent, les voilà qui soupirent avec lassitude. Comme je m'étonne (de manière totalement ringarde), ils m'expliquent : "Sorti des éternels Paris Paris (dit "PP" sur le web), Scala, Showcase et Baron, il ne se passe rien en France". Alors les vrais hypeurs vont à Londres, aux très courues - et très fermées - soirées Boombox. Là-bas, chaque dimanche soir, la crème de la fashion déjante, tandis que Kylie Minogue ou Björk s'amusent aux platines. Alors qu'à Paris "être branché" signifie "porter du noir et faire la gueule", je constate qu'ici les hypeurs rient, dansent et se construisent des looks joyeusement hasardeux à base de perruque Marie-Antoinette, maquillage The Cure et justaucorps violet. Jerry Bouthier, DJ résident des Boombox (dont la compilation vient de sortir sous le label Kitsuné), m'explique : "Les gens en ont marre des soirées sérieuses et de la "wallpaper music". Ils veulent s'éclater. Quand tu arrives ici, tu ne sais pas ce qui va t'arriver." Je n'entends pas la suite. Juchée sur le bar, une toque Davy Crockett sur la tête, je laisse la hype parler à mon corps.

* LOI N°7 : LA HYPE EST CONTRARIANTE

Avant d'aller remplacer Justice aux platines, Jerry ajoute avec philosophie : "C'est improbable, la brancherie. Un jour on l'est, un jour on ne l'est plus." C'est en effet l'un des pires vices de la hype : elle est inconstante. Et possessive, en plus - elle déteste en effet qu'on lui pique ses jouets. Que l'opinion publique s'empare de l'un d'entre eux (slim, tecktonik, poker), et la hype le méprise aussitôt - ce qu'elle fait généralement avec beaucoup de talent. Comme le disait fort justement Public Enemy, "Don't believe the hype."

* LOI N°8 : LA HYPE EST CREATIVE

La pire insulte pour un branchouille ? Être considéré comme un suiveur. Façonnée par les intimes de la mode et de l'art, la hype s'affirme brillamment avant-gardiste. Jacques Shu, total hypeur qui vient de créer sa boite de relations presse, s'enflamme : "Les gens trendy ne sont pas téléguidés ! Ils sont créatifs, curieux et passionnés." Thomas Lélu, photographe, créateur et auteur ("Manuel de la photo ratée", "Je m'appelle Jeanne Mass"), fleuron de la branchitude arty, ajoute : "La hype, c'est le poisson-pilote des mouvements créatifs. C'est la surface de la mode, son côté léger ... C'est une kermesse permanente." Je comprends mieux pourquoi tout le monde veut être de la hype. Sous ses grands airs de messe pointue, elle n'est ni plus ni moins qu'une grosse récré à l'école.

* LOI N°9 : LA HYPE EST HAS BEEN 

Nous en arrivons au caractère le plus aberrant et le plus délicieux de la hype : son décalage. A ce degré-là, c'est carrément du jetlag Paris/Melbourne. En effet, selon un mécanisme étrange connu d'elle seule, la hype réussit à transformer la pire des ringardises en pur moment de grâce branchouille. Exemples : le look Philippe Katerine, Travolta ressuscité par Pulp Fiction, les prénoms vieillots, « Les démons de minuit » repris par les Jean D'Ormesson Disco Suicide, la coupe Mireille Mathieu, les sous-pulls en lycra ... Thomas Lélu, apparemment décidé à m'achever, affirme sans sourciller : "Pour moi, Jacques Ballutin est super hype. Tiens, regarde là-bas, Björk sur un Vélib en total look Bernhard Willhelm !" Tandis que j'admire l'Islandaise à vélo, je bénis cette dernière loi de la branchitude. Le temps que ce papier soit imprimé, toutes les infos en seront déjà has-been. Et donc, super hype.    

Encadré : HYPE ON THE WEB

--- Les réseaux : Facebook (www.facebook.com), Virb (www.virb.com), A Small World (www.asmallworld.net). Si votre profil n'y figure pas, vous n'êtes rien. Attention, pour le dernier, il faut se faire inviter.

--- Les soirées : www.myspace.com/familylondon (Boombox), www.mortauxjeunes.com, www.myspace.com/clubsandwichparty, www.clublebaron.com, www.leparisparis.com

--- Le look : la Peltag (http://peltag.blogspot.com), Police Européenne du Look, de la Tendance et de l'Avant-Garde, qui lutte vaillamment contre la délinquance du style.  Les émissions « God save the style » et "Y.P.E", sur la so chic chaîne de web TV d'Eurostar,  newlondon.fr