C'est un métier "qui fait peur"...

Publié le 15 décembre 2007 par Christophe Foraison
Les représentants des lycéens ont été entendus par la commission  sur le métier d'enseignant. 

On peut regarder la totalité de leur audition ici.

J'ai essayé de faire une synthèse (forcément imparfaite) de leurs interventions. Qu'ont-ils à nous dire sur le métier d'enseignant ?
Des choses qui ne font pas forcément plaisir à entendre... mais qui, au-delà des témoignages de chacun, doivent quand même nous interpeller quelque part, non ?


Jacques Tardi illustration pour
le Voyage au bout de la nuit de LF Céline


- L'image des enseignants:
C'est une profession dévalorisée, un métier d'un autre monde, les élèves sentent  un gouffre entre les professeurs et les lycéens.

Ils le regrettent car ils pensent le professeur comme une personne avec qui on apprend, il doit donc être accessible, et mettre en avant ses qualités humaines et celles des élèves.

Les élèves ne s'imaginent pas le professeur comme un individu comme un autre, pour eux, il est tout le temps professeur.

Avec les profs d'EPS (éducation physique et sportive), il y a beaucoup plus d'affinités ("on peut nous même leur apprendre, on les voit à l'UNSS le mercredi, il y a plus de dialogue, il n'est pas derrière son bureau").

Enfin, la commission a posé la question sur l'attractivité du métier d'enseignant. La réponse a été terrible: "c'est un métier qui fait peur, nous n'avons pas envie de devenir enseignant".

   Cary Grant, North by Northwest


- Les compétences du métier d'enseignant

Les élèves ont mis en avant 4 aspects qui leur paraissent importants

1 / transmettre des connaissances, c'est évidemment le point de départ.
Les élèves ne mettent pas en cause les enseignants sur ce point. Ils souhaiteraient simplement que l'actualité soit davantage prise en compte, pour rendre les connaissances plus attractives. Le professeur ne doit pas être trop contraint (et stressé) par le programme.

Commentaire:
C'est effectivement la question du sens qui est posée. J'ai parfois le sentiment que nous passons parfois à côté de l'essentiel. Je prends toujours cet exemple caricatural: en primaire, est-il utile de voir les rois carolingiens / mérovingiens etc... si on n'est pas capable de différencier un roi d'un président de la République ? De même, étudier la comptabilité ne se résume pas à remplir des lignes débits / crédits mais à apprendre à porter un diagnostique ou faire des prévisions sur la situation d'une entreprise, d'une administration et même d'un pays. Lorsque j'aborde la question européenne, avant de rentrer dans les différents mécanismes (et on s'y perd vite), je remets en perspective (historique et politique) le cours (voir par exemple ce billet). Il faut absolument que ce sur ce point, nous progressions pour aider les élèves à redonner du sens avant, pendant et après tel ou tel chapitre. J'espère que SOS...SES y contribue.

2 / Apprendre les méthodes de travail pour plus d'autonomie. Un enseignant doit savoir transmettre (les élèves demandent des explications claires, des cours structurés).  Ils mettent en avant l'idée qu'il faut être patient pour cela et qu'il faudrait davantage utiliser les nouvelles technologies pour être au plus près de l'élève (notamment celui qui a des difficultés).

Commentaire:

Concernant l'autonomie,  les élèves veulent davantage qu'on leur lâche la bride, mais ils ne veulent pas être livrés à eux-mêmes.
J'ai discuté avec un collègue de STG (comptabilité-gestion), je pense que nous pouvons nous améliorer dans la façon d'aborder la question du travail autonome en groupe. Il m'a parlé des exigences d'une véritable "gestion de projets" qu'il a essayé de mettre en place. Il s'agit d'améliorer l'efficacité du travail avec les élèves.
Je me rends compte des limites des Travaux Personnels Encadrés: les élèves ont des difficultés à planifier leur travail, à organiser l'effort de chacun (j'ai même vu des groupes qui ne divisent pas le travail, tout le monde fait tout en même temps: c'est Adam Smith qui va être content, lui qui a montré que la division du travail est source d'efficacité).
Il s'agit pour nous d'être à la fois une personne ressource mais de leur donner les moyens d'être autonome. Or, pour le moment, face à une difficulté, soit ils font appel au professeur (pour qu'il donne la solution), soit ils abandonnent devant cette difficulté.
Nous avons donc besoin d'échanger, de construire des outils et des démarches pour mettre les élèves devant leur responsabilité (faire des choix, prendre des risques, s'évaluer, prendre des intiatives). A ce niveau, je sens que je verse dans l'amateurisme.
      Le professeur Itard (François Truffaut) dans
   l'enfant sauvage

3 / Introduire le respect selon des méthodes nouvelles (et non en revenir à l'autorité du passée).
Pour cela, l'enseignant doit avoir un charisme personnel, être une référence. Il doit également être un accompagnateur qui valorise la progression. Les élèves veulent des enseignants qui sachent échanger avec les élèves (sinon autant avoir un cours sur ordinateur). Il s'agit de créer un climat dans la classe qui favorise ce respect et ces échanges.

Commentaire:

Je partage cette opinion. J'ai déjà écrit plusieurs billets sur ce retour de l'autorité, on peut relire celui-ci


4 / la place de l'enseignant dans l'établissement: ils ne sont pas assez présents dans les différentes instances.Les élèves aimeraientt passer plus de temps avec les professeurs pour faire des actions collectives (clubs, sorties....).
Les professeurs doivent être mieux intégrés dans la vie économique et sociale: être plus ouvert au monde de l'entreprise, ne pas être dans le cocon de l'éducation nationale.

Commentaire général
J'ai effectivement moi aussi le sentiment qu'une distance trop importante s'est progressivement installée entre les élèves et nous.
Ce fossé n'est pas seulement technologique comme je l'avais déjà écrit ici

Je pense qu'il existe des raisons multiples: la transmission du savoir  est évidemment bouleversée depuis l'avènement  des médias de masse (presse,  télévision,  internet...), les enseignants qui disposaient d'un monopole (relatif) en raison de leurs études et de leurs fonctions officielles n'ont pas suffisament intégré cette nouvelle donne.
D'autre part, le modèle français de l'Ecole Républicaine pèse encore beaucoup dans nos postures.
On remarque, malgré les discours ambiants, l'importance de certaines matières au détriment d'autres considérées comme moins nobles (je pourrais citer des tonnes d'exemples, mais j'avais déjà écrit un billet proche de ce sujet ici).
En stage de formation, au cours d'une discussion, j'ai essayé de montrer que j'avais remarqué avec quel soin les élèves réalisaient des diaporamas ou des blogs sur des thèmes liés aux cours (j'avais déjà réalisé un billet à ce sujet). Aussitôt, un collègue, poliment mais fermement, m'a reproché de tomber dans la démagogie (il pensait que les élèves écrivaient en texto, en SMS, comme sur les skyblogs, ou que je les laissais consulter Wikipédia ou n'importe quel autre site alors que "sur internet, on trouve n'importe quoi"). J'ai effectivement dû argumenter pour lui répondre. Au cours de l'échange, il me dit lui-même qu'il réalise un site...J'ai parfaitement compris ces craintes, légitimes. C'est plus la posture qui m'a étonnée: c'est comme si, au moment où l'on veut m'apprendre à faire de la bicyclette, quelqu'un m'avait montré tous les dangers (risque de chute, risque d'être écrasé par une voiture, nécessité d'entretenir régulièrement son vélo, savoir réparer une crevaison...) au lieu de m'apprendre à en faire...

Il y a encore ce que j'appelle des "attitudes aristocratiques" au sens d'Alexis de Tocqueville: un collègue de collège m'a affirmé qu'il recevait les parents en étant assis sur son estrade, d'autres n'admettent pas que les élèves puissent poser des questions en classe (avec d'ailleurs certainement de bonnes justifications: il y a le programme a boucler, cela n'intéresse pas les autres, les questions sont hors-sujet...).

Regardons nos pratiques (et non nos discours), comment pouvons-nous expliquer ces attitudes ?

Il me semble que c'est le rapport au pouvoir (face aux élèves / parents et face aux savoirs) qui demeure central: "nous avons peur de leur céder trop de pouvoir" et de nous laisser  "envahir" (d'autant plus qu'il y a une très forte demande sociale d'autorité).

Et si les élèves en savaient plus que nous sur les nouvelles technologies ?
Et si les élèves se mettent à travailler en autonomie, à se poser des questions (qui ne sont pas les nôtres) ou des questions auxquelles nous n'avons pas la réponse ?...

Qu'allons-nous devenir ?

Des animateurs ? Des démagogues ? Des professeurs qui ne savent pas tenir leur classe ou pire des enseignants incompétents ? Devant ces menaces, nous préférons le cours magistral qui permet d'instaurer une distance intellectuelle (l'expert et les autres) qui est visible (l'estrade, le bureau).

J'ai déjà montré ici que les élèves ont une maîtrise partielle des nouvelles technologies, nous avons donc des compétences importantes à leur apprendre.
J'ai récemment fait des séances en éducation civiques sur les flux RSS et l'intérêt d'utiliser un agrégateur de flux (Netvibes pour ne pas le citer) pour s'abonner aux journaux d'informations générales et se constituer sa revue de presse personnelle. J'ai revu par la suite les groupes, plusieurs élèves ont apprécié, j'ai pu voir leurs pages personnalisées...alors évidemment, dans les flux RSS, on ne trouve pas que Le Monde, Le Figaro, Libération, rue89: il y a aussi les flux RSS foot de l'Equipe, ceux des blogs de leurs camarades...Et alors ?
Je compte mener une réflexion sur le B2i au lycée, avec 4 ou 5 collègues nous allons constituer un groupe de réflexion pour présenter cela au conseil pédagogique afin d'intégrer des collègues dans cette démarche.

   l'école buissonnière de JP Le Chanois

Notre place n'est donc pas en tant que telle remise en cause. C'est la façon dont nous l'occupons qui pose problème. A l'heure où l'on discute du temps de travail, des salaires, de la retraite, du socle commun, du baccalauréat, je sens bien que tout le monde s'accorde à dire pour que le système actuel est en bout de course, mais je ne vois pas vraiment quel sera le cadre global dans lequel nous évoluerons... si quelqu'un peut éclairer ma lanterne...

Ah oui, tiens, le professeur Rollin qui a toujours quelquechose à nous dire ...^^




En attendant, voilà ce que j'ai envie d'écouter parce que cela correspond à mon humeur du moment...


 
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