CIE Toujours après minuit

Publié le 11 avril 2010 par Europeanculturalnews

CIE Toujours après minuit "Genre oblique" (c) Brigitte Eymann


Du théâtre de danse contemporain dans un décor historique – ça fonctionne ? Ca fonctionne ! Du moins chez la Compagnie « Toujours après minuit », invitée avec sa pièce « Genre oblique » au Pôle-Sud à Strasbourg.

« Genre oblique », c’est du théâtre de danse contemporain au sens propre du terme, basé sur l’exploration de l’âme du personnage historique Jeanne I, reine de Castille et d’Aragon, appelée aussi Jeanne la folle. Cette figure tragique fut empêtrée tout au long de sa vie dans des luttes de pouvoir au sein de sa propre famille et a passé 46 années en prison.

Roser Montllό Guberna et Brigitte Seth se sont emparés de ce sujet en s’interrogeant pendant cette soirée si la folie et le fait d’être différent sont des phénomènes qui ne peuvent s’articuler qu’en exerçant une influence sur la société et réciproquement. Ils posent aussi la question s’il est possible de se défendre contre les conventions sociétales sans être considéré comme « outsider ». Qu’une chose soit dite d’emblée : L’individu et la société sont interdépendants. Ils s’influencent dans le bon comme dans le mauvais sens. Les quelques paroles qui sont prononcées par Jeanne mais aussi par les autres protagonistes, danseuses et danseurs, tournent autour de thèmes comme l’amour, la famille, les conventions, la représentation de soi-même et la liberté de chacun. « L’amitié est difficile – l’amitié est ce qui coûte le plus cher ». C’est ainsi que décrit Jeanne le poids qu’elle porte et qui la rend folle. Au léger pas de course, elle longe encore et encore les murs de sa prison démontrant ainsi, qu’effectivement, la solitude et la disgrâce rendent fou, mais qu’elles peuvent aussi engendrer des moments heureux et emprunts d’humour.

Le jeu « changeons de robe » qui consiste à faire porter le jupon rose de Jeanne à tour de rôle à d’autres danseuses et danseurs, n’est que le début d’un continuel effacement des frontières entre l’individu et la foule. Les manteaux d’uniforme militaire sont portés par des hommes – en bottines de femmes, et vice versa ! Ils symbolisent une foule organisée selon des règles strictes. Un pouvoir dirigé qui permet plus facilement de s’y joindre que de lui résister.
Mais les petits accessoires « mal » attribués comme par exemple des bottines de femmes portées par des jambes d’hommes signifient justement que derrière chaque homme, si « uniformisé » soit-il, se cache un individu.

A coté des enchaînements de pas militaires, synchrones, ce sont les solos de danse qui sont touchants. Ils permettent un regard dans la poésie de l’individu. Dery Fazio, Rodolphe Fouillot, Roser Montllό Guberna, Jordi Ros, Brigitte Seth et Jean-Baptiste Veyret-Logerias oscillent entre des performances de danse et d’oraison, entre solos et chorégraphies de groupe.
Des performances en solo : encore et encore c’est la famille, le rôle de la famille qui sont au centre de l’interrogation : « Je voudrais me lever quand j’en ai envie, j’aimerais me coucher quand je veux, manger ce qui me fait envie. » Derrière ces phrases simples se cache déjà le coté tragique de la vie « normée » en société. Cette vie que nous vivons pour la plupart tous, sans nous poser de questions.

Le percussionniste Jean-Pierre Drouet et le trompettiste Geoffroy Tamisier endossent également différents rôles et les expriment merveilleusement bien à travers leur musique. Qu’ils jouent des rythmes de marche, ou des improvisations « jazzy », que les coups annoncent la préparation d’un jugement ou qu’ils stimulent l’expression corporelle personnelle – eux aussi font partie de cette ambivalence tendue que la vie nous met sous les yeux en permanence.

La rencontre dans l’amour partant d’un sentiment de solitude est un sujet exploré, mais considéré comme faisant partie d’un tout. La famille, le pouvoir et la société possèdent d’autres qualités que l’individu et ses peines, ses sentiments et ses désirs. « Genre oblique » – de premier abord « historique » – pose des questions qui ne pourraient être plus brûlantes de par leur actualité.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker