Une voix pour l´ÊternitÊ

Publié le 21 mars 2010 par Europeanculturalnews

Vivica Genaux (c) Christian Steiner licensed to Virgin Classics


Je vous remercie beaucoup de me permettre de vous poser quelques questions par téléphone, Madame Genaux. J’aurais évidemment préféré vous rencontrer personnellement, mais vous ne resterez que très peu de temps à Strasbourg et nous n’aurions de pas le temps pour cet entretien.

Oui, malheureusement je voyage toute la semaine et à Strasbourg je n’aurais même pas le temps de visiter cette belle ville. Mais je vous remercie de rendre cette interview par téléphone possible.

On trouve beaucoup d’information vous concernant dans l’internet, dont quelques rares interviews.

Oui, c’est juste ! Mais je n’ai qu’une seule vie pour accorder des interviews!

Je m’estime doublement heureuse alors que vous m’ayez accordé le privilège de cet entretien téléphonique. J’aimerais poser quelques questions pour le public à Strasbourg, mais aussi pour celui au-delà des frontières, pour le public germanophone donc, que l’on ne vous a peut-être pas encore posées, du moins jusqu’ici ! Vos parents ne sont pas musiciens – qu’est ce qui vous a amenée vers la musique ?

Oui, c’est exact. Mon père était biochimiste. Il travaillait à l’université, mais c’était un grand amateur de musique classique. Il possédait une immense collection de disques et quand il était à la maison, en train d’écrire ou de corriger les devoirs des étudiants, il écoutait Mozart, Haydn, Beethoven, Mahler, Brahms – tous les grands de la musique. En particulier, les grandes symphonies, et moi, j’écoutais en même temps, bien sur. Le soir, quand j’étais dans mon lit et je fermais les yeux, je voyais des images et j’inventais des histoires autour de cette musique. Je trouvais cela merveilleux. Les choses se sont passées ainsi jusqu’à mes 13 ans. L’année de mes 13 ans était une année particulière pour moi, pour plusieurs raisons : Nous avions une étudiante japonaise à la maison. Elle avait apporté un lecteur de cassettes et des cassettes évidemment qu’elle me prêtait très gentiment. A cette époque, nous n’avions pas encore eu un à la maison et c’était la première fois de ma vie que j’entendais ABBA. Même si mes parents possédaient une collection de disques de musique populaire suisse, mexicaine et française, c’était bien la première fois que j’avais l’occasion d’écouter de la musique de façon totalement indépendante. Et puis, pendant cette même année, je me suis retrouvée sur une scène pour la toute première fois. J’ai chanté dans une comédie musicale que nous avons jouée à l’école. C’est à ce moment précis que j’ai pris conscience que je voulais devenir chanteuse – ou cantatrice. Cette année-là a été pour moi une révélation absolue – dans tous les domaines.

Enfant, vous avez joué du violon !

Oui, mais vraiment pas très bien. J’ai du avoir 7 ou 8 ans, c’était une histoire très bizarre. A l’école, je suis allée au bureau de l’administration. Dans ce bureau il y avait une enseignante qui s’écria : « haut les mains » ! Ensuite, elle a examiné mes mains et dît : « trop petite pour le violoncelle ou l’alto – tu joueras du violon ! » Et c’était tout! Au fond, cela n’a jamais été mon choix. Une de mes amies était aussi violoniste. Mais dans sa famille, tout le monde jouait d’un instrument. Elle jouait donc du violon, l’une de ses sœurs jouait de l’alto, une autre du violoncelle. Et dans la famille il y avait même quelqu’un qui jouait du piano. Ils formaient leur propre orchestre de chambre à eux seuls et tous avaient un très bon niveau. Jamais je n’ai atteint un niveau comparable. Mais je suis néanmoins très contente d’avoir appris les bases, parce qu’aujourd’hui, quand je chante Vivaldi, je sais ce qu’il voulait dire. Il a joué du violon lui-même et il a composé beaucoup d’arias tout en restant très proche du violon. Fabio Biondi qui dirige Europa Galante, avec qui je travaille beaucoup, est également violoniste. Dans le cadre de notre collaboration, l’expérience que j’ai faite avec cet instrument étant jeune, m’est très précieuse.

C’est très intéressant, ce que vous venez de dire. Car tout particulièrement quand vous chantez un répertoire baroque, on entend distinctement que vous utilisez votre voix comme un instrument – plus précisément comme un violon. Vous colorez et phrasez comme si vous travailliez avec un archet !

Je suis ravie de vous l’entendre dire, merci beaucoup ! En fait, dans la musique baroque on essayait de faire sonner les instruments comme des voix et vice versa. Pour cela il faut acquérir une technique particulière, mais la technique est de toutes les façons la base nécessaire sur laquelle on peut construire la suite. Un jour, j’ai entendu une interview avec Franz Oz du Muppet Show. Il a dit que la technique était comparable à une chaise roulante avec laquelle on se déplace tout en faisant de l’art. Cette image est très belle et très juste.

Avec qui avez-vous travaillé votre incroyable virtuosité technique ? Qui parmi vos professeurs était pour vous le plus important ?

C’était et c’est toujours Claudia Pinza. A chaque fois que je travaille un nouveau répertoire, elle m’aide. Même si, au tout début de notre collaboration, elle n’était pas spécialement proche de la musique baroque. Mais grâce à mon travail avec René Jacobs (NB. : Avec ce spécialiste du baroque, la cantatrice a enregistré le CD Farinelli) mon travail avec elle dans ce domaine s’est beaucoup intensifié. Jusqu’alors, je n’avais pas acquis ces techniques et quand René Jacobs m’a dit : « Fais un trille » je l’ai fait. « C’était bien » constata-t-il » mais, essaie encore une fois mais avec un vrai trille! » C´estait aussi le debut de mon travail avec Claudia Pinza. C’est ce que j’ai appris et travaillé pour les enregistrements des CD avec elle. Je répétais avec elle aussi ma technique vocale, comme par exemple retenir mon souffle tout le temps et ainsi de suite. Dans l’art du Belcanto, étant donné qu’il n’y pas d’indications concernant les ornements, c’est à vous de les interpréter comme vous le sentez.

Essayez-vous de rester aussi près que possible de l’original, que l’on ne connaît pas la plupart du temps, d’ailleurs, ou alors travaillez-vous librement ?

Cela dépend. Des compositeurs comme Vivaldi ont écrit pour différentes cantatrices et pour des castrats aussi. Et ces artistes avaient tous leur propre façon de chanter. Il y a effectivement quelques annotations pour les instruments et quelques fois même au-delà ! Mais comme je l’ai dit précédemment, pour des voix bien particulières. Tout dépend également des circonstances, ou alors des chefs d’orchestres avec qui on travaille, qui eux sont tous très différents ! On sait aussi aujourd’hui que les ornements que l’on trouve dans la musique de Rossini, une musique différente, écrite plus tard, étaient interprétés bien plus « sauvagement » en son temps que de nos jours et qu’on chantait aussi beaucoup plus de cadences.

Vous avez travaillé avec beaucoup de spécialistes du baroque. Vous avez déjà cité Jacobs ou Fabio Biondi. Mais John Nelson ou Nikolaus Harnoncourt ont également collaboré avec vous. Comment peut-on imaginer votre travail avec ces chefs d’orchestre plus précisément ? Ce sont eux qui vous disent ce qu’ils aimeraient obtenir de vous ou alors vous avez une idée de la façon dont vous devriez chanter l’une ou l’autre œuvre ?

Ce n’est jamais pareil. Chacun d’entre eux est différent et a ses propres spécialités, sa propre idée et voudrait obtenir quelque chose de bien précis de moi. J’essaie autant que possible de m’adapter à leurs attentes et de leur donner ce qu’ils souhaitent. Mais cela peut être un défi énorme pour moi. Dans ces cas là, il faut que je réfléchisse : Avec qui suis-je en train de travailler, quelle est son approche de la musique, quelle est la chose la plus importante pour lui ? René Jacobs par exemple travaille une œuvre pendant des heures et des heures. Dans ce cas, j’aimerais faire partie d’une globalité si je puis dire, et la meilleure option pour moi dans ce cas -là est de rester en retrait en tant que soliste et d’agir comme interprète d’une pièce, conformément aux attentes du chef d’orchestre. Et, dans ce cas de figure, j’agis comme une éponge qui absorbe tout ce qui se présente. Mais les chefs d’orchestre sont tous issus d’écoles différentes, font partie de traditions différenciées et arrivent avec des partitions qui ne sont jamais identiques. Pour résumer : Leur travail est aussi différent que le blanc et le noir.

Le programme qui sera présenté à Strasbourg est totalement nouveau. Le titre du CD est « Pyrotechnics ». Il réunit des arias de Vivaldi que vous interprétez avec Fabio Biondi et Europa Galante. Vous avez enregistré ce CD seulement en décembre dernier et certains de ces morceaux ont été chantés, joués et enregistrés pour la première fois. Est-ce que vous avez connu ces pièces avant ?

Non, pas une seule. Il y avait 14 morceaux au choix, 13 ont été enregistrés finalement. Frédéric Delaméa était responsable de cette sélection et ce spécialiste de Vivaldi a fait un travail prodigieux.

Ce travail vous a pris combien de temps ?

Avec Claudia Pinza j’ai travaillé pendant 2 semaines, 2 fois par jour pendant 5 à six heures. C’était très fatiguant. Et après restaient encore quelques semaines pour ma préparation personnelle. Si vous voulez, je peux vous raconter une belle histoire qui nous est arrivé pendant l’enregistrement. Nous avons planifié un enregistrement au mois de décembre à Parma, plus précisément dans la salle d’une bibliothèque historique. Europa Galante a déjà travaillé à plusieurs reprises à cet endroit. Le premier jour de l’enregistrement, le chauffage tomba en panne et il faisait un très, très froid dans la salle. Le matin, j’étais sur le point de partir, on m’a appelée pour m’informer que l’enregistrement n’aurait probablement pas lieu. Mais puisque tout était planifié depuis longtemps, Fabio Biondi et sa femme était partis pour acheter des parasols chauffants, comme ceux que l’on peut voir sur les terrasses des cafés dehors. Mais ce qu’ils ignoraient, c’est que ces parasols dégageaient une horrible odeur, nocive qui plus est. Alors là on m’informait qu’il fallait ouvrir les fenêtres pour chasser la terrible odeur – deux maux en même temps ! Ensuite s’est produit quelque chose d’extraordinaire : Les musiciennes et musicien disaient à Biondi qu’ils essaieraient de jouer, quelle que soit la température dans la salle. J’ai trouvé ça si formidable que je voulais jouer le jeu moi aussi et nous avons enregistré : sans chauffage, dans une vieille salle, glaciale, mais qui a une acoustique fantastique ! Cela s’est passé pendant la vague de froid qui s’est abattue sur toute l’Europe.

Mais l’admiration ne vaut pas uniquement pour les musiciennes et musiciens d’Europa Galante ! Je ne connais pas beaucoup de cantatrices qui auraient imité votre exemple !

Je ne pouvais pas faire autrement ! C’est un ensemble tellement merveilleux qui m’apprend tant de choses et qui me fait beaucoup rire aussi. C’était une expérience merveilleuse.

Actuellement vous vous occupez de présenter ce nouveau CD à l’occasion de vos prochains concerts.

Oui, on l’a présenté la première fois en direct au mois de décembre au théâtre des Champs Elysées à Paris ce qui était vraiment passionnant. Maintenant c’est le tour de Strasbourg, après ce sera Turin, Naples et Cracovie. L’année prochaine on fera une petite pause et en 2012 nous avons prévu une présentation du disque aux USA.

Dans tous les métiers, il y a toujours un revers de la médaille. Comment se présentent les deux cotés de la médaille pour une cantatrice célèbre comme vous ?

Eh bien, tout d’abord c’est merveilleux d’avoir la possibilité de travailler avec tous ces gens généreux et merveilleux à qui j’ai à faire dans le cadre de mon activité. C’est fantastique de faire personnellement connaissance avec tous ceux qu’on estime et qu’on ne connaît que de nom. La plupart d’entre eux sont incroyablement aimables et généreux. Peu importe, s’il s’agit de Jacobs, Biondi ou Harnoncourt qui lui est carrément un véritable gentleman. Nous avons répété dans sa maison près de Salzbourg. C’était fabuleux et très intéressant. Entre autres, il nous a montrés sa collection d’instruments anciens et nous a fournis toutes sortes d’explications, comme par exemple, comment fonctionne la mécanique originale d’un clavecin du 18e siècle. Mais le coté agréable de ma profession ne consiste pas uniquement en toutes ces connaissances que je peux faire ou les collaborations intéressantes qui en résultent, je trouve aussi très satisfaisant le fait que je peux rendre quelque chose à mes parents. Pendant les six premières années de mon travail sur les scènes des différents opéras du monde, ma mère m’a accompagnée, à chaque fois que cela lui était possible. Elle adorait discuter avec les musiciennes et musiciens en coulisses. Mon père, qui a pris la relève les quatre années suivantes, lui, a préféré être assis dans le public. Ses chefs d’orchestre préférés ont été depuis toujours Kurt Masur et Léonard Bernstein. Bernstein est malheureusement décédé trop tôt. Mais j’ai eu l’occasion de travailler une fois avec Kurt Masur : Bien que je ne chante qu’un tout petit rôle – la deuxième fée dans « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, et en plus à Hong Kong – c’était une expérience très excitante pour mon père. Après la représentation nous sommes sortis au restaurant. Je suis ravie de pouvoir leur rendre une petite partie de ce qu’ils m’ont donné avec une très grande générosité quand j’étais petite fille.
L’autre coté, le revers de la médaille, si vous voulez, ce sont les voyages. J’aime voyager, mais les voyages me séparent de ma famille. Mais les choses sont heureusement un peu différentes aujourd’hui : les nouveaux médias comme skype ou ne serait-ce que le téléphone portable me permettent de contacter mes sœurs ou ma mère en Alaska n’importe quand. Un autre constat que je fais depuis quelque temps, c’est le fait qu’il reste toujours moins de temps pour les préparations et les répétitions. Les exigences augmentent, mais la préparation diminue continuellement. C’est extrêmement difficile. La pression et les attentes sont de plus en plus grandes aussi.

Parfois, certains pianistes disent, qu’ils auraient « quelque chose dans les doigts » et pourraient en quelque sorte rejouer une œuvre à tout moment, sans que cela pose trop de problèmes.

En ce qui me concerne, les choses sont un peu différentes, parce que mon répertoire est très, très large. Je maîtrise environ 50 rôles que j’ai travaillés pendant les 15 dernières années et je continue à élargir ce répertoire. A Salzbourg par exemple, je vais chanter Piramo et Tisbe en collaboration avec Biondi. Il a fallu que j’étudie Tisbe très consciencieusement, bien que j’aie déjà chanté Hasse. Cette œuvre est très complexe, et étant très tardive, très différente des autres. Elle est écrite pour une voix féminine et non pas, comme c’était souvent le cas au baroque, pour un castrat. Je viens d’apprendre, que je chanterai « Piramo », ce qui signifie que je dois travailler très vite pour apprendre ce nouveau rôle. Je relève en permanence des défis qui me tentent, des projets très intéressants, et quand l’un de ces projets est mené à son terme, c’est une énorme satisfaction pour moi. Mais le nombre des demandes augmente en permanence. J’ai grand plaisir à travailler, mais il est possible que je sois obligée d’être un peu plus sélective à l’avenir. Au fond, je suis quelqu’un qui a besoin de pression pour travailler. Quand j’ai beaucoup de temps devant moi pour un projet, ce n’est pas vraiment souhaitable non plus, car, à vrai dire, je ne commence à travailler sérieusement que quand l’échéance approche !

Vous voyagez sans arrêt et allez dans tous les pays du monde ! Constatez-vous des différences concernant le public que vous rencontrez ?

Oh oui, d’énormes différences même ! Mais pas seulement en ce qui concerne le public, aussi dans la pratique des représentations proprement dite. Aux USA par exemple, les possibilités de chanter un répertoire baroque sont rares. Là-bas, les salles de concert, qui pour la plupart on été construites pendant les années cinquante du siècle dernier, sont tout simplement énormes ! Elles ont été conçues pour les œuvres de Wagner, ce qui au fond n’est pas juste non plus, car Bayreuth est un petit théâtre. Pour la musique baroque, qui est habituellement jouée dans un cadre intimiste, ces salles sont beaucoup trop grandes, dépourvues de cette ambiance indispensable à la musique baroque. Dans ces endroits on n’arrive même pas à s’identifier avec son rôle. A « Staatsoper » de Vienne en revanche, on travaille totalement différemment. Un soir, l’orchestre joue Strauss, le lendemain ce sera Mozart. Leur répertoire est très large sans véritable spécialisation dans un domaine particulier. C’est ce que j’entends par des pratiques de représentation différentes. Mais en effet, le public est très différent aussi, mais non seulement d’un continent à l’autre, mais aussi d’un pays à l’autre ! Au « Theater an der Wien » (à Vienne, Autriche) par exemple, on fait un travail très important avec le public. C’est la base de tout. En France aussi, le public a de grandes connaissances en ce qui concerne la musique baroque. L’état français subventionne beaucoup d’ensembles et on voit, que le public a non seulement l’habitude d’écouter ce genre de musique mais qu’en plus il la connaît vraiment et la comprend. Pour nous musiciennes et musiciens, de travailler dans un contexte semblable est vraiment très agréable. Les connaissances du public français sont très larges dans ce domaine.

Le public strasbourgeois sera ravi de l’apprendre ! Je vous remercie infiniment pour cet entretien et je vous souhaite, tout spécialement pour votre concert à Strasbourg beaucoup de succès !

Merci à vous ! La prochaine fois, nous aurons peut-être l’occasion de faire connaissance.