Festival de La Rochelle (10) - De la Nuit Blanche à la Dernière Séance

Par Desblablas
Quand je pars ce samedi matin je sais que je ne reviendrai que le lendemain matin. A l’heure où se lèvera le soleil, moi j’irai me coucher. En attendant, je prends un double café, vérifie que j’ai bien ma carte permanente et me voilà me dépêchant pour La Coursive. Ce matin, je m’affole.  Un ciné-concert avec Garbo est proposé et je me dis que depuis le début de la semaine, on refuse du monde, il vaut mieux arriver une bonne demi-heure avant. Mais finalement cette séance sera le premier signe de la fin prochaine du Festival. En effet beaucoup de gens ne sont restés que du samedi au samedi et tout le monde arrivera à rentrer dans cette petite salle bleue. On projetait La Rue sans joie de G.W. Pabst et les bobines retrouvées de La Femme Divine, qui est peut être l’œuvre qui donna le surnom de « La Divine » à l’actrice. 
Je me retrouve au « Soleil brille pour tout le monde » devant une belle part de gratin au fruits de mer. Il y a une nouvelle serveuse, charmante. Je remplis des cartes postales aux amis, à la famille, « …Bisous cinéphiliques et à très bientôt… ».
L’adaptation de Chrétien de Troyes par Eric Rohmer m’avait été conseillé par un ami habitué du Festival. J’arrive dans la salle, je le vois, il est au fond, il y retourne, il doit beaucoup l’aimer. Moi je me mets au milieu du 3ème rang. Au cinéma, je préfère être dans les premiers rangs. Perceval le Gallois débute. Le décor est en carton pâte, les pelouses en moquette et les chevaux en vrai chevaux. Luchini, jeune, m’amuse avec son air de grand naïf apprenant la vie de chevalier. Quant à Arielle Dombasle elle est méconnaissable. Même si je cligne des yeux parfois, je trouve l’œuvre amusante, ludique, un objet filmique non identifié venu de nulle part. Fallait oser ! Pourquoi pas ?
Un poison violent de Katell Quillévéré est traité de façon plus classique. Lio, que l’on croyait définitivement perdue en jury pour la Nouvelle Star, nous étonne en mère croyante et divorcée. Dans ce film, elle souhaite que sa fille fasse sa communion de confirmation et ne s’est jamais autant investie dans un rôle. Avec la jeune et magnifique Clara Augarde, c’est vraiment la révélation de ce film. Quant à Michel Galabru nous sentons qu’il a été fortement touché par ce rôle du grand-père alité. La religion est omniprésente dans cette œuvre, Télérama aimera et l’affiche est très belle.
A propos d’affiche, depuis le début du Festival, il y en a une qui m’intrigue quand je passe dans la salle du Dragon 5. Il s’agit de celle du film d’Abel. Non pas parce que l’acteur principal semble être un petit garçon mais davantage parce que Gaël Garcia Bernal et John Malkovitch semblent en être les producteurs. La file est longue mais j’arrive à avoir une place. Cette histoire d’un jeune garçon de 9 ans qui  suite à un traumatisme se prend pour le chef de famille alors que son père est parti me plaît beaucoup. Le réalisateur Diego Luna, dont c’est la première réalisation, a été comédien dans des films comme  Y tu mama tambien, le Terminal, Harvey Milk, etc…Il passe à la réalisation avec modestie et nous propose une œuvre sensible et sincère. L’interprétation de Christopher Ruiz-Esperanza, 9 ans, est incroyable de force et de maturité. Le film sortira le 5 janvier, on en reparlera dans l’émission et on tentera de ne pas bégayer.
Si je vous ai indiqué précédemment mes « cantines » du midi, c’est que je ne mangeais jamais en ville le soir, préférant attendre la fin des projections pour rentrer chez moi. Ce soir, il n’y aura pas de fin. La Nuit Blanche commencera dans moins d’une heure  et il faut manger car je ne tiendrai jamais la nuit entière. Je me dirige en dehors du port, pour rentrer davantage dans les rues perpendiculaires et je m’assois en toute confiance dans un bar brasserie-restaurant : Le Lutèce. Je commande à boire et une simple assiette de pâte à la bolognaise. Ça met un temps fou à arriver alors que l’heure tourne. Et puis on m’apporte une petite assiette de spaghettis tiédasses avec une sauce à la viande haché un peu trop cuite. Et d’un coup je me dis qu’il fallait bien que je tombe sur un attrape-touriste avant la fin du Festival. Manquerait plus que je sois malade.  Comment il s’appelle déjà le restaurant à éviter à La Rochelle ? Le Lutèce !!! Allez, on l’oublie, on y reviendra pas.
Les Nuits Blanches pour le Festival, c’est une tradition. Habituellement, elle avait lieu dans la nuit du dimanche au lundi. Cette année, elle a lieu du samedi au dimanche matin. Il faut libérer la salle le plus vite possible car les Francofolies commenceront rapidement après le Festival et puis cela permettra à ceux qui travaillent le lundi de pouvoir la faire cette fois-ci. C’est une nuit spéciale Georges Delerue. Au programme Tirez sur le pianiste de François Truffaut, Love de Ken Russell, Le Roi de cœur de Philippe De Broca et Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier. Je n’ai jamais vu Love ni le film de De Broca et je me dis qu’il manque le plus grand : Le Mépris de Jean-Luc Godard et la musique sublime du thème de Camille.  Accompagnés de Prune Engler et Stéphane Lerouge, Colette Delerue ouvre la soirée en présentant rapidement le travail de son mari. Puis la lumière s’éteint et Bobby Lapointe fait rire la salle avec ses chansons sous-titrées dans le film de Truffaut. Puis vient le tour du film de Ken Russell. Il s’agit de la seule copie qui existe dans le monde et elle était projetée sous nos yeux. Malgré la rareté de l’œuvre, je dois avouer, j’ai fermé les yeux plusieurs fois. En luttant le plus possible, mais rien à faire, la fatigue était trop forte.

A 2h35 la lumière revient et nous sortons tous de la salle rapidement. Là nous attendent des glaces bio de différents parfums. La mienne est à l’abricot et je sors un peu sur le port prendre l’air et tenter de me réveiller. A cette heure-ci, il y a beaucoup de viande saoule à La Rochelle. Des éclats de voix, des bruits de bouteilles cassées et des poubelles renversées, c’est une bonne ambiance de samedis soirs bien arrosés qui peu très vite dégénérer. J’avais un peu oublié cette image de La Rochelle.
Mais revenons à La Coursive. Rendez-vous chez les fous avec le De Broca, Le Roi de cœur est une œuvre rare et totalement loufdingue. Avec une brochette de comédiens incroyables De Broca s’en donne à cœur joie dans la surenchère des gags et des situations comiques. Si j’ai ri au départ je dois bien avouer que cette farce est loin d’être légère et qu’elle pèse rapidement sur l’estomac. Quant à Préparez vos mouchoirs, dès la première image où l’on découvre un Depardieu jeune, la salle s’est mise à s’esclaffer. Si le film a plutôt bien marché, la fin ne convint pas tout le monde. C’est pas nouveau, Blier a rarement su terminer un film même s'il reste le meilleur des dialoguistes français. Il est 7h. Le soleil brille dans la cour de La Coursive, Prune Engler aidée de ses assistantes nous distribue des tickets pour pouvoir aller prendre le petit déjeuner chez « André », restaurant très côté sur le port. Habituellement nous avions ce bon dans une tasse avec l’affiche du festival imprimée dessus. Depuis 2 ans cela a été enlevé, le sponsor s’étant retiré. Mais le petit déjeuner est resté. Si auparavant nous avions de quoi en prendre un copieux, aujourd’hui, la rigueur, chère à notre premier ministre, touche aussi ce moment convivial. Une moitié de tasse de café, un jus d’orange et un croissant fut en tout et pour tout les composants de ce rendez-vous. Ni pain, ni tartines, ni beurre, ni confiture n'étaient au menu, alors qu’habituellement nous en avions. « C’est la crise ma pauv’dame ! »  Si c’est avant tout pour l’esprit de la nuit que nous venons et vivre quelque chose d’unique, c’est vrai que ce matin là, je suis resté un peu sur ma faim.

J’arrive à la maison, je me refais un café, deux tartines et puis au dodo. Je ne reprends le festival qu’à 17h pour faire une dernière fois la queue au Dragon 5. Je croise plusieurs amis qui me demandent si j’ai fait la nuit et surtout si j’ai vu le film qui était projeté en passage unique à 14 h et qui s’appelle Yo tambien. Si je dis oui à la première interrogation, je réponds par la négative à la seconde. Là on me dit que si il y avait un film à ne pas rater c’était bien celui là. Pour beaucoup c’est Le Film  avec un grand  F du Festival. Et je rumine un peu… un peu beaucoup.
Ça fait rien moi je vais voir Octobre, film péruvien de Diego et Daniel Vega. L’histoire d’un prêteur sur gage qui se retrouve seul à devoir s’occuper de sa petite fille qu’il a eu avec une prostituée, laquelle abandonna cet enfant devant chez lui. Heureusement Sofia, une voisine célibataire qui a des vues sur lui, viendra l’aider dans sa nouvelle tâche de père. J’aime ce genre de film car si le rythme est lent, il est souvent à la limite entre l’humour et le drame. Il ne faudrait pas grand-chose pour que ce soit l’un ou l’autre mais quand ça passe de l’un à l’autre c’est encore plus fort. Si cette œuvre me fait penser au film Whisky, (à découvrir séance tenante), cette histoire ressemble aussi un peu à 3 hommes et un couffin, seulement lui il est seul.
Je fais un dernier tour à la Coursive, on retire les affiches, on range la salle indienne avec thé et expo d’affiches, les Francofolies s’installent et ça me fait un terrible pincement au cœur, je suis trop sensible comme gars.

La Reconstitution est mon 2ème film de Lucian Pintilié. Et je le regrette car au départ je voulais en voir plus. Ce film de 1968 met en scène deux jeunes adultes qui se sont battus après avoir bu. Arrêtés par la police on leur demande de participer à un film éducatif sur les méfaits de l’alcool en reconstituant cette altercation. En échange, ils seront libres. On sent un message fort de Lucian Pintilié sur la politique et les conditions de vie en Roumanie à l’époque. Entre violence et  humour il arrive à faire passer de belles idées. Le film date de 1968, il reste encore tout à fait visible aujourd’hui même si nous avons l’impression de voir quelque chose de rare, un document en quelque sorte.
Mon dernier film sera un film allemand, suisse, kazakhe, russe et polonais. Rien que ça ! Il s’agit de Tulpan. J’avais eu quelques échos tout à fait positifs sur ce film et je ne fus pas déçu. Dans les Steppes Kazakhes, Asa revient de son service militaire pour retrouver sa famille mais aussi pour chercher à se marier. La seule fille à des kilomètres à la ronde se nomme Tulpan mais ses parents refusent qu’elle épouse un garçon aux oreilles décollées. C’est franchement drôle et émouvant parfois. Il y a tout particulièrement la naissance en direct d’une brebis qui restera un grand moment de cinéma. Voilà c’est fini, c’était la dernière séance. Je me lève et je me bouscule, je regarde un peu les gens autour de moi. Il va être minuit et j’aimerais rester encore un peu. Je traîne devant le cinéma à entendre les derniers spectateurs. Le dernier visage que je vois est celui d’une femme un peu ronde et séduisante. Elle était devant moi dans la salle. J’ai envie de l’inviter à boire un verre, histoire de prolonger encore un peu ce moment. J’hésite et je ne le ferai pas. Je la regarde s’éloigner au loin. Elle ne m’a même pas regardé. Il faut s’y  résoudre, c’est vraiment la fin…