Le roi pêcheur (de Julien Graqc)

Publié le 27 juillet 2010 par Ceciledequoide9
Bonjour à celles et ceux qui ont trouvé leur Graal
Bonjour à Mango
Bonjour aux zotres

Je remercie Mango d'avoir attiré mon attention sur le centenaire de Julien Gracq né le 27 juillet 1910. Je n'ai rien lu de lui mais je profite de l'anniversaire de sa naissance pour mettre en ligne ici une critique que j'avais rédigée le 22 mai 2001 après avoir vu Le Roi Pêcheur, sa seule pièce de théâtre écrite en 1948.
Je ne savais rien de cette pièce avant d'aller la voir au Théâtre du Nord Ouest dans le cadre du cycle Quel avenir pour l'humanité ? qui proposait un florilège d'une trentaine de pièces et de lectures sur ce thème.
Le sujet
Une quête du Graal revisitée où l'on s'attache plus aux sentiments et aux contradictions humaines qu'à l'épopée héroïque. On se retrouve à Montsalvage, un royaume en décrépitude, perdu dans l'ombre, le brouillard et le froid au sein d'un chateau où un roi ANFORTAS vieillisssant et souffrant d'une étrange et douloureuse blessure sanglante est veillé avec dévotion par la belle Kundry, porteuse d'un lourd secret.
Dans cette atmosphère où culmine le malheur, tous attendent la réalisation de la prophétie qui, d'une manière où d'une autre les délivrera et leur permettra d'accomplir la dernière phase de leur destin... Tous attendent et redoutent le "Pur", celui qui parviendra à trouver le Graal.
Perceval le Galois arrive enfin à destination, il touche au but mais il n'est pas le personnage principal de cette pièce (c'est bel et bien Amfortas, Le Roi Pêcheur). C'est l'étranger, le témoin qui permet à chacun, y compris lui-même, de se révéler. Il renvoie chacun à sa propre conscience, ses propres questions, ses propres limites, ses propres peurs.
Au où cette quête s'achève, Perceval apprendra que le danger ne revêt pas toujours les formes les plus effrayantes et que l'ennemi n'est pas toujours celui qu'on croit.
Mon avis
LES ACTEURS
pour les habitué(e)s du théâtre du Nord Ouest, ce ne sera pas une surprise : ils sont bons. J'avais déjà vu la plupart des acteurs dans l'excellent Lorenzaccio (j'adore Musset) ou l'horripilant Oncle Vania (je déteste Tchekhov).
LE TEXTE
Le texte est superbe, poétique et philosophique à souhaits, trop peut-être ? C'est typiquement le type de pièce qui gagne à être lue et connue avant d'être vue tant il est riche et parfois obscur, la beauté de la forme nuisant parfois à la clarté du fond.
Le texte de Graqc est très bien servi et l'oreille est continuellement flatée par la musicalité des phrase, quelquefois au dépends de l'écoute réelle et de la compréhension des situations. L'auteur ne facilite pas la tâche du spectateur, multipliant les ellipses, les non-dits, entretenant le silence sur les secrets douloureux et distillant deci-delà quelques confidences en demi-teintes. Dès lors, tout est matière à réflexion, à interprétation.
LA MISE EN SCENE
Elle est très sobre voire dépouillée : aucun décor, peu de déplacement, un phrasé très lent nécessaire pour rendre la beauté du texte et en permettre la compréhension : imaginez un long poème de 2 heures.
Le Roi Pêcheur - Quelques infos

1949 -Le Roi Pêcheur est créé et jouit d'une aide financière à la première pièce, sous le patronage du Ministère de l'Education Nationale. La mise en scène est de Marcel Herrand dans des décors et costumes de Léonor Fini. Jean-Pierre Mocky incarne Perceval et Maria Casarès Kundry. Très mauvais accueil du public et de la presse. Le "comportement" du milieu de la presse et de l'édition rend furieux Julien Gracq qui s'en "souviendra" pour La Littérature à l'estomac.
1991 - Le Roi Pêcheur a été montée à Lyon au théâtre des Célestins en 1991 par Jean-Pierre Lucet. Julien Gracq ira voir la pièce et appréciera la façon dont elle a été montée. Il a aimé infiniment le décor de Jean-Paul Vergier alors qu'il avait détesté les costumes et le décor de la pièce de Marcel Herrand. La pièce a aussi été montée ensuite en 1996 en Italie à San Miniato.
Si vous voulez en savoir un peu + sur le Graal, je vous renvoie ici : vous pourrez lire un résumé de conférence sur la quête du Graal très intéressant et pas trop long (2 pages environ). "Le Graal : un mythe du salut", par Michel Zink, Professeur au Collège de France Compte-rendu de la conférence du 3 juin 1999.
"Le Graal est polymorphe, chacun porte en soi son Graal tel qu'il l'imagine et le cultive."
Jean-Charles Payen, 1981
Extrait de la pièce
Le roi AMFORTAS parlant à PERCEVAL
Nous ne sommes pas ici chez Trévrizent, Perceval, et il ne s'agit pas de te punir. Tu m'as appelé tout à l'heure un oiseau de nuit en plein jour, et en effet, il ne s'agit que d'une manière de cligner des yeux. Il y a des oiseaux qu'on endort en leur faisant fixer une ligne blanche et il y a derrière chaque acte un sillage, une trace qui s'élargit, et si on la fixe des yeux assez longtemps, il vous prend un vertige qui chavire le cour, et qui a pourtant un charme, parce qu'il endort. Ainsi Montsalvage s'est endormi dans ses branches, comme un navire sur les vagues, pour avoir déserté la proue et s'être mise à fixer trop longtemps un sillage.
Perceval, si les hommes se retournaient seulement une bonne fois, ils
verraient se dresser derrière eux autant de Sodomes et de Gomorrhes levées de chacun de leurs pas et capables de les changer en statues de sel. C'est là ce que Montsalvage contemple, et c'est pourquoi tu trouves qu'il y fait nuit en plein jour. Tu as vu dans tes voyages de ces rochers qui gardent les pistes de bêtes fabuleuses qu'on ne voit plus nulle part. Ils étaient boue pour recevoir l'empreinte - ils se sont faits pierre pour la garder.
Perceval ! quelque chose a passé ici il y a longtemps, dont Montsalvage a gardé l'empreinte, et rien n'a pu l'effacer, car Montsalvage est un lieu clos, car le temps et la vie n'y trouvent plus de prise, car Montsalvage pétrifie - et c'est ce qui fait de moi pour les passants une pierre de foudre au bord de la route, un fantôme en plein soleil, une tête de Méduse qui te fascine et que tu n'oublieras plus jamais de regarder, Perceval, parce que tu m as vu, parce que ce que j'ai fait tu pourrais le faire, et tu l'as désiré dans ton cour, et que tu sais maintenant que je te ressemble.
Conclusion

Je conseille vivement cette pièce mais, si nécessaire, je suggère une petite incursion du côté du mythe du Graal avant... En sortant, je me suis précipitée sur internet pour essayer de lire quelques analyses sur cette pièce ainsi que sur la quête du Graal et je dois avouer que ce que j'ai lu a accentué ma curiosité et multiplié mes questions.
Je m'attendais à une pièce plus métaphysique étant donné le sujet et, si le rapport au Divin n'est pas absent, c'est bien le rapport à soi-même et à ses propres limites qui est le centre de la pièce.
Bon, allez, je vous le dit quand même, une chose m'a évidemment énervée : l'image de la femme porteuse de souillure, génératrice d'indignité. Kundry est une sorte d'Eve médiévale qui a provoqué la chute d'Amfortas et qui doit expier.
Je vous livre ci-dessous ce que Julien Gracq a écrit au sujet de sa propre pièce (qui date de 1948). La première partie de son analyse ne me semble pas, elle non plus, d'une clarté absolue... La 2e moitié est plus simple.
Julien Gracq, Le Roi Pêcheur Éditions José Corti
Extrait de l'avant-propos de Julien Gracq
Il reste (.) que cette matière [de Bretagne] n'est pas épuisée, et que ce serait vraiment faire peu de confiance au pouvoir de renouvellement indéfini de la poésie la plus pure - la plus magique - que de le croire. Le cycle de la Table Ronde appartient à l'espèce de mythes la plus haute : il est par essence un de ces carrefours où les très petits déplacements du promeneur correspondent
à chaque fois à un foisonnement de perspectives nouvelles. Vu sous un certain angle, il donne sur l'histoire du roi Saül et la légende du prêtre de Némi - sous un autre, Wagner a pu y voir une apologie de la pitié, et même assez curieusement, comme on sait, le prétexte à une prédication végétarienne. Il fournit l'archétype du " Bund " idéal, - de la communauté élective. Il noue une
gerbe d'éléments concrets propre à matérialiser comme nulle autre le thème de la fascination.
Reste au centre, au cour du mythe et comme son noyau, ce tête à tête haletant, ce corps à corps insupportable-ici et maintenant, toujours-de l'homme et du divin, immortalisé dans Parsifal par la scène où le roi blessé élève le feu rouge du Graal dans un geste de ferveur et de désespoir qui figure un des symboles les plus ramassés que puisse offrir le théâtre - un instantané des plus
poignants que recèle l'art - de la condition de l'homme, qui est, seul entre tous les êtres animés, de sécréter pour lui-même de l'irrespirable, et, condamné à ce tête à tête fascinant et interminable avec ce que de lui-même il a tiré de plus pur, de ne pouvoir faire autre chose que de répéter l'exaltante et désespérante formule : " Je ne puis vivre ni avec toi, ni sans toi.
" La température d'orage que dégage ce tête à tête sans rémission est à elle seule d'une nature assez attirante, je le crois, pour conduire à donner au personnage d'Amfortas la place centrale : c'est de ce changement de perspective que je m'autorise pour le titre que j'ai donné à cette pièce. Dans ce nouvel éclairage, il m'a paru qu'il pouvait n'être pas sans intérêt de suivre une fois de plus le héros dans une démarche dont tout le mythe tend à démontrer qu'elle est au dernier point dangereuse et semée d'embûches, et de s'arrêter avec lui à quelques-uns des écueils dont sa route était jalonnée. Ces écueils sont de nature spirituelle et leur garde remise tout naturellement aux mains les grands naufrageurs.
Le personnage du prêtre ne saurait se séparer de la silhouette essentiellement noire qui lui est échue dans une représentation populaire finalement bien avisée : il se présente ici sous deux formes : l'homme de sage, mais borné conseil, dont le héros trouve traditionnellement la main secourable - et vaine - tendue au bord le sa route au moment où il aborde le dernier tournant. L'autre a l'orgueil du gardien et du détenteur les objets sacrés : lieu de contact du divin et du terrestre, il a deux faces : par l'une il sécrète et répand l'ombre comme la seiche son encre, il embrouille, il est par vocation le grand avorteur - par l'autre il est le point d'attache à la terre d'un climat difficilement soutenable, le lieu d'un écartèlement absorbant, une de ces pierres de foudre exemplaires qui jalonnent une des frontières - et non la moins brûlante - de la condition humaine.
Les propos qui lui sont prêtés souhaitent de n'emprunter quelque force qu à l'impartialité apparente, mais dans une certaine mesure loyale, que doit l'auteur à ses personnages, à partir du moment où il leur fait assez de crédit pour leur enjoindre de se manifester. Si peu d'intérêt qu'en définitive cela représente, je tiens tout le même à dire que c'est Kundry qui porte mes couleurs.