A Saint-Nazaire, autopsie d'un discours populaire de Sarkozy

Publié le 28 juillet 2010 par Juan
Vendredi 23 juillet, Nicolas Sarkozy s'est rendu auprès d'ouvriers des constructions navales de l'entreprise STX, à Saint-Nazaire, dont l'Etat est devenu actionnaire à 33% voici 2 ans. La presse s'est faite l'écho de quelques bribes de son discours sur place. Ecouter in extenso Nicolas Sarkozy est toujours instructif. On y retrouve les tics immuables, le narcissisme qui se cache sous les «moi, je» à répétition, le phrasé qui mange les mots et multiplie les fautes de grammaire pour faire populaire. Sarkozy sur un chantier ou dans une usine, c'est toujours un spectacle. Une espèce de Bigard du Fouquet's en visite de terrain. Voici donc les meilleurs extraits, approximations grammaticales incluses, de cette intervention d'une vingtaine de minutes, vendredi sur une estrade en contre-plaqué.
«D'abord, mes premiers mots seront pour évoquer la mémoire de vos camarades qui sont morts dans des conditions particulièrement tragiques sur la passerelle du Queen Mary... euh... c'était à l'époque du chantier de l'Atlantique... mais c'était les mêmes hommes, les mêmes femmes...»

Pour débuter, Sarkozy joue l'émotion. L'accident du Queen Mary date, mais c'est toujours utile, dans un discours, de miser sur l'affectif. Ensuite, le président français justifie son retard à revenir sur place : «je suis venu 4 fois ici. Une fois pour lancer un méthanier, et puis déjà deux fois dans des circonstances extrêmement difficiles. (...). Je sais très bien qu'ici vous aimez votre métier. (...) Lorsque je suis venu en 2008, c'est très simple, y avait plus une commande. Personne ne voulait croire en l'avenir des chantiers.» Il faut louer la France ouvrière. la politique industrielle de sarkofrance s'incarne avant tout dans les discours:  «On n'est plus un grand pays si on ne sait plus fabriquer des trains, des avions, des bateaux.» Ou encore : «Si on ferme un chantier, la mémoire industrielle, la mémoire ouvrière, le savoir faire ouvrier, c'est mort
Puis Sarkozy rappelle l'entrée de l'Etat au capital de STX à l'époque. «Dans notre pays, on ne croit plus aux mots, on croit aux décisions. Je vous avais dit que nous le ferions, on l'a fait.» Encore heureux, devrait-on ajouter : l'entrée minoritaire au capital ne dépendait que de ... lui ! Surtout, il omet de rappeler que les deux tiers de l'entreprise sont désormais aux mains de Coréens.
Sarkozy ajoute : «Une fois qu'on est devenu propriétaire et qu'on a mis 110 millions, c'est pas tout. L'entreprise, elle peut pas rester une coquille vide...Il faut du boulot. Il faut des commandes. Y avait pas de clients...» Tiens, c'est vrai ça... Qui va faire venir les clients ?
«Ensuite, je voudrais remercier M. APonte (...) qui voulait commander un bateau... Mais y avait pas une banque pour le financer ! Pas une ! Pas une ! (...). Donc qu'est-ce qu'on a fait... avec la Coface, avec l'Etat, Monsieur APonte peut en porter témoignage... On lui a prêté l'argent, on lui a garanti l'argent pour qu'il y ait ce bateau que vous puissiez construire... Et ça fait deux bateaux, sûrs,... puisque le contrat est signé aujourd'hui même... pour vous.»
Gianluigi Aponte, le PDG de MSC Croisières, venait de signer, le matin même, la commande d'un bateau de croisière, baptisé Fantastica, le plus gros paquebot européen du moment. Effectivement, le marché est si sinistré, que l'Etat a dû mobiliser Coface et banques françaises (Crédit agricole CIB, BNP Paribas et Natixis) pour débloquer les financements. Les ouvriers peuvent travailler, mais sous perfusion. Depuis deux ans, les périodes de chômage technique se sont multipliées.
«Troisièmement, les Lybiens nous ont commandé un autre bateau... Ils ont même versé les premiers acomptes.» Un autre bateau, un paquebot de croisière également, a été commandé en un temps record par l'armateur libyen GNMTC. A l'Elysée, on met cette commande miracle sur le compte du «développement constant des relations franco-libyennes dans tous les domaines, conformément au souhait des deux chefs d'Etat». Elle «illustre les liens croissants qui unissent la France et la Libye».  On se souvient de la visite de Khadafi, en décembre 2007, peu après la libérations des infirmières bulgares (en juillet 2007). Au nom de la real-politik, et au prix d'une promesse de soutien militaire et de partage de savoir-faire nucléaire, la Sarkofrance s'était mariée avec l'encombrante Libye. Combien de nucléaire la France a-t-elle promise pour sauver les chantiers coréens de STX ?
«Quatrièmement, avec nos amis russes, vous allez fabriquer les deux BPC... Le contrat, on est en train de le négocier, mais la décision de le faire, elle est certaine. Ca fait du travail pour les chantiers. ca résout pas tous les problèmes» ajoute-t-il en balayant l'air d'un revers de main: «ça résout pas le problème des bureaux d'études, car naturellement, si c'est un BPC, les études, elles sont déjà faites... et ca résout pas le problème des sous-traitants... je veux leur dire qu'on les oubliera pas...»
Nos amis russes ? L'armée russe n'a pas encore commandé deux bâtiments «BPC», des navires servant au transport de troupes. Un conseiller du président a confié, en «off», que la décision préoccupe :  « Ce dossier est très politique. Il inquiète les États-Unis et d'anciennes républiques soviétiques ». Ce serait la première fois qu'un pays membre de l'OTAN vend du tel matériel militaire à la Russie. Mais ça, devant une centaine d'ouvriers du chantier, Nicolas Sarkozy n'allait pas l'avouer. Samedi, les autorités russes sont venues tempérer l'enthousiasme sarkozyen : le commandant en chef de la marine russe, l'amiral Vladimir Vissotski, a expliqué qu'il fallait que la France cède sur un point majeur pour l'achat de deux navires militaires : le transfert de technologie.
«Mais c'est pas tout.. Parce que ça, ça veut dire qu'on est sorti de la crise des chantiers... enfin, de STX.»
Sarkozy a-t-il bien lu ses fiches ? Un plan de départs volontaires de 351 personnes (sur 2 350 postes) est toujours en cours. Seuls 175 salariés y ont répondu. L'entreprise l'a prolongé jusqu'en octobre. En entendant, d'autres subissent toujours le chômage partiel. Le président n'en a cure. Il demande au chantier de penser à l'avenir.
«Il faut maintenant qu'on prépare l'avenir et qu'on aille plus loin. (...) jouer à fond la diversification de STX». Sarkozy insiste sur le terme. «C'est notamment tout ce qui concerne les énergies renouvelables maritimes... (...) Et nous allons vous aider à investir pour que vous puissiez vous diversifier.» Sarkozy évoque ensuite les parcs éoliens maritimes. Ensuite, il rappelle que le grand emprunt a prévu de faire construire «des démonstrateurs des navires du futur.» Employer l'argent public pour construire des lubies présidentielles ne choque personne.
 
Des commandes incertaines, un plan social en cours, mais Sarkozy promet toujours: «nous ne fermerons pas notre industrie de la construction navale. (...) On n'a pas fait tout le chemin ensemble pour envisager la fermeture des chantiers de STX.»
On approche de la conclusion. Petit exercice narcissique. On croit rêver. On ne rêve pas.
«Dernier point, parce que dans la vie, il faut avoir un minimum de courage... Quand j'ai dit j'vais venir pour les voir car ça fait deux ans que j'suis pas venu... et j'avais dit que j'reviendrai tous les ans... Il sourit... Donc... euh... ça commençait à faire long... des années euh... (il écarte les bras) ... j'veux qu'vous compreniez que pour moi, c'est un plaisir de venir. mais ça ne servait à rien que j'vienne avant qu'on ait ces décisions
On voit où il veut en venir, les retraites et la pénibilité.
«Je reviendrai régulièrement, car cette entreprise, j'y suis très attaché, et j'suis persuadé qu'on peut en faire un fleuron. On est fiers de vous ! (...). Alors quand j'ai dit, les décisions sont prises, je viens, on m'a dit: c'est pas le moment. Ah ? En France, c'est jamais le moment. Soit y a des élections, soit y va y en avoir, et là il y avait la réforme des retraites. Moi j'pense qu'il faut expliquer les choses. Il faut pas fuir. On a des problèmes considérables de déficit, de compétitivité et moi je pense qu'on ne résout pas les problèmes en les évitant» lâche-t-il, les doigts tendus et écartés.
«C'est pour ça que j'ai rencontré vos organisations syndicales et je les remercie d'ailleurs du climat de la visite. Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que je comprends bien qu'ici vous aimez tous votre métier mais c'est un métier pénible... enfin, pénible, qu'on me comprenne... c'est pas un métier pénible, parce qu'il est pas... passionnant. Y en a pas un seul qui vient ici en trainant les pieds, parce que tout le monde est fier de son métier. C'est pénible parce que physiquement c'est dur
 Il répète: «physiquement c'est dur. Et donc dans le cadre de la réforme des retraites je sais parfaitement que la pénibilité c'est quelque chose qui vous préoccupe ici. (silence). C'est vrai. On a fait avancer les dossiers sur deux sujets. D'abord tout ceux d'entre vous qui ont commencé à travailler avant leur 18 ans, on les laissera partir à la retraite comme c'était prévu
... C'est-à-dire après 44 ans de cotisations pour avoir une retraite pleine.
«Et deuxièmement, tous ceux qui ont eu du fait de leur métier une invalidité à 20%, ils partiront à la retraite sans changement.» On parle de ... 10 000 cas par an. «Je voudrais d'ailleurs dire que pour tous ceux qui sont touchés par l'amiante, y aura aucun changement.» Par cette dernière phrase, Sarkozy concède, comme prévu, un assouplissement des règles de sa réforme. «On va avoir des discussions pour ceux qui ont été exposés à l'amiante mais n'ont pas été touché. Je sais bien qu'il faut que je tranche cette question-là. Je ne le ferai pas aujourd'hui.» Ah, il y a des limites au courage, n'est-ce-pas ?.
«J'ai demandé une expertise sur le sujet. je veux pouvoir y réfléchir.» Réfléchir aux ravages de l'amiante ? Nicolas Sarkozy nous surprendra toujours. Il continue:
«Parce que mon but c'est quand même une chose... C'est que chacun d'entre vous quand le moment de la retraite sera venu, il puisse se dire je pars à la retraite, j'ai cotisé toute ma vie, on va me payer ma retraite. Or aujourd'hui, il ne peut pas se le dire..; ça c'est quand même un problème qui se pose à moi. Moi, je veux pouvoir me regarder dans la glace, et pas avoir menti.»
Pas un mot sur le bouclier fiscal, l'effort disproportionné demandé aux salariés, surtout modestes. Sarkozy ne s'arrête pas.
«J'essaierai d'être juste sans remettre en cause l'équilibre général de la réforme. Je veux pouvoir terminer mon mandat avec ce dossier r-é-g-l-é. Chacun pourra dire on n'est pas content, il nous fait travailler plus... d'accord... mais r-é-g-l-é. ouais, ouais..; je sais bien que c'est plus facile de dire aux gens de travailler moins que de travailler plus... Mais le jour où on part, s'il n'y a pas d'argent dans la caisse pour payer les retraites, à ce moment-là, vous les Français, nous les Français, on demandera des comptes
Sarkozy, le fier-à-bras, n'a pas pu résister. Un belle déclaration va-t-en-guerre sur le registre bien connu du «moi, j'suis cap'!». Sur place, aucun ouvrier ne bouge. Certains tiennent leurs téléphones pour filmer le moment. D'autres tournent le dos, derrière Sarko.
Sarkozy précise : «Je l'dis pas pour avoir votre soutien, je l'dis parce que personne n'aurait compris que j'en parle pas. Et j'ai beaucoup de défauts, mais pas celui de la lâcheté. Je respecte les opinions de chacun. Mais vous avez un travail à faire... Ce travail, il est dur. Le mien aussi. Mais je l'fais. Voilà.» Voilà ? Voilà. Pour un peu, la réforme des retraites aurait dû prévoir une mesure de départ anticipé pour le Président de la République. Pour Sarkozy, être président, c'est un travail, un «job». Le chef de Sarkofrance s'affiche depuis toujours comme le PDG de l'entreprise France, mais se comporte comme un actionnaire : «invirable» (à la différence d'un PDG).
«Tout à l'heure y a un ouvrier qui m'a dit, vous voyez, on vous accueille bien.. Bon, j'croyais que c'était moi qui l'avais amené le beau temps.»
A Saint-Nazaire, Sarkozy n'a pas effectivement pas apporté le beau temps. Juste une petite annonce, électorale celle-la. Assouplir la règle qu'il a édicté pour prendre en compte la pénibilité pour quelques cas flagrants comme l'amiante.
Après 21 minutes et 11 secondes de monologue, Sarkozy s'en alla. Pas de question pour l'assistance. Seules quelques photos mettront en scène un président impopulaire discutant avec des ouvriers.