Le dictateur, la rose et la poignée de main.

Publié le 18 décembre 2007 par François-Xavier Ajavon
L’exécutif offre au peuple français un chouette cadeau de noël : des images ravissantes du président de la République et de la chanteuse Carla Bruni. Sarkozy monte en gamme. Les médias vivent depuis quelques jours une érection continue, priapique… En attendant, tout le monde a déjà oublié la visite en France du leader libyen Kadhafi… Par François-Xavier Ajavon La République française est comme un passage à niveau : les trains qui passent, bruyamment, cachent toujours d’autres trains, et d’autres, et d’autres encore… toujours aussi longs que les précédents. La République française est toujours pleine de surprise. Au lendemain de la visite  du sinistre Colonel Kadhafi, autrement appelé "Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", la France aborde les fêtes de fin d’année avec une nouvelle réjouissante : notre président de la République, Nicolas Sarkozy, disposerait d’une nouvelle compagne de voyage. Et pas des moindres… Evidemment la presse et les agences s’enflamment. Les commentaires fusent ! Les dépêches jaillissent ! Les brèves giclent de toutes parts…  Les analyses suintent par tous les pores médiatiques… L’hebdomadaire l’Express a annoncé, dès dimanche soir, que le journal populaire Point de vue était sur le point de publier – ce mercredi – un reportage photographique concernant la relation amoureuse entre Nicolas Sarkozy et la chanteuse Carla Bruni. ( Il serait malvenu de préciser, ici, que l’Express et Point de vue appartiennent au même groupe Belge Roularta, évidemment. Nous n’en dirons rien. Inutile d’alimenter les ragots sur la dimension « organisée », « marketée » et « artificielle » de cette annonce… )   Tous les zincs des Cafés du commerce vibrent, ce jour, à travers la terre de France… On nous dira, d’abord : « Mais Nicolas Sarkozy a fait le choix du ‘Mieux disant esthétique’ avec cette femme. Elle est splendide ! Un mannequin, quoi ! T’imagines ! T’as déjà approché un mannequin en vrai, toi ? ». On répondra : ok, d’accord. On nous dira : « Mais Nicolas Sarkozy rattrape ainsi son retard d’image auprès des artistes, des professionnels du spectacle, des professionnels du show médiatique, etc. » On répondra : ok, d’accord. On nous dira : « Mais Nicolas Sarkozy offre aux français une romance de qualité à l’approche des fêtes de noël… c’est positif. C’est un coup à gagner quelques points de croissance, ça, sans parler du moral des ménages… et du chômage, qui peut baisser aussi. On ne sait jamais ». On notera, d’abord, que le Président de la République, invite la femme de son cœur dans un parc d’attraction. En effet, Nicolas Sarkozy a invité sa très récente conquête à Disneyland Resort Paris, le grand complexe festif touristo-industriel de l’est parisien, afin d’exposer son trophée féminin aux regards mornes et froids des objectifs photographiques. On notera donc que le Président de la République invite la femme de son cœur dans un espace dédié au plaisir codifié, au délassement organisé, à la festivité obligatoire, aux réjouissances entreprisées, au bonheur mesuré... Nous somme là dans un univers festif, dans l’hyper-« show » télévisuel et photographique, où chaque histoire d’amour peut se réduire à un clip vidéo. Marine Le Pen, imperceptiblement malveillante, parle d’un « conte de noël à petit budget », destiné à faire oublier aux français leurs problèmes quotidiens… la leader frontiste ironise même sur « Sarkozy de Monaco ». Référence inévitable au couple Rainier III – Grace Kelly. ( Espérons, au passage, que la talentueuse Carla ne subisse pas le syndrome Grace Kelly : une brillante interprète hitchcockienne tombant dans la fange des pages people, sans plus rien produire d’artistique jusqu’à sa mort… ) Alain Duhamel craignait, ce matin, à l’antenne de RTL, une « grimaldisation » de la politique française… François Hollande, du Parti Socialiste, a été plus sobre : « pas de commentaire ». On n’a pas idée d’inviter une femme comme Carla Bruni à Eurodisney, temple de l’anti-élitisme…  On aurait préféré les voir au Jardin des plantes, ou mieux… au méconnu Jardin tropical de Paris… dans un lieu qui fasse moins « décor », moins carton-pâte, moins « cheap »… Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt... La République française est comme un passage à niveau : les trains qui passent, bruyamment, cachent toujours d’autres trains, et d’autres, et d’autres encore…  la « rose » est-elle destinée à nous faire oublier le dictateur ? Le sinistre leader arabe Kadhafi, autrement appelé « Botoxman », dans une hilarante chronique de Michèle Stouvenot du JDD de la semaine dernière, vient à peine de quitter le territoire national que le chef de l’état redonne un coup de fouet à la communication élyséenne : le Président ne fait pas que vendre des Airbus et des centrales nucléaires à des anciens terroristes notoires, il courtise aussi des anciens mannequins. Mickey et Minnie Mouse, souris anthropomorphes de l’hyper-spectacle cherchent donc à nous faire oublier la venue de Botoxman… Stouvenot note à propos de la venue en France de Kadhafi : « Le chef de l'Etat attendait un terroriste à la retraite, un dictateur repentant en quête de rédemption, et qu'at-il vu débouler ? (…) Une vieille rock star en quête de box-office. Un mix de Mick Jagger et de Michael Jackson. La bouche pulpeuse et lippue, siliconée à la Michel Sardou, le cheveu noir corbeau Régécolor à la Jack Lang, le visage comme rafistolé par un Picasso du scalpel, le poil au menton hirsute, la moustache maigre, c'était Botoxman. Au Louvre, Belphégor. A l'Assemblée, Dark Vador dans La guerre des étoiles . Il y a de quoi être saisi ». En effet. Après le « Kadhafi tour », l’Elysée nous offre une nouvelle super-production du « Château » élyséen : le « Carla Bruni tour ». Il est permis de prendre des photos. Il est même permis de filmer. Il est permis, également, d’avoir des vertiges : à quelques mois de son élection le président qui promettait la liquidation de la culture de « Mai 68 », s’est rapproché de la Chine communiste, de la Russie de Poutine, de l’Algérie et de la Libye du sinistre Colonel Kadhafi… et comme signe de stabilité personnelle il a envoyé aux français le « signe » de son divorce. L’arrivée de la « rose » Carla, arrivera t-elle à faire oublier ces si nombreuses, et indignes, poignées de mains consenties à des tyrans ? Rien n’est moins certain. A propos de la venue en France de Kadhafi, Pascal Bruckner s’agaçait, dans Le Monde : « Ce devait être la rédemption du barbare venu réintégrer les rangs de la civilisation. Ce fut l'inverse : le barbare, plein de morgue, nous a fait la leçon.» Et Bruckner de terminer sur cette interrogation angoissante, qui ne semble plus être d’ailleurs qu’une question de calendrier : « A quand le tapis rouge déroulé devant M. Ahmadinejad ? » Mais qu’importe l’orientation diplomatique que prend l’hexagone, si Mickey et Minnie se font des câlins, médiatiques et sucrés, à Marne la Vallée… Qu’importe que la France ait été bafouée par la visite du "Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", tant que le grand show festif s’accomplit, et se déploie jusqu’à l’apoplexie. Nous avions tort de penser que le calendrier de Sarkozy était un calendrier politique, c’est un calendrier de l’avent… * *  *