Cette pièce montre de formidables qualités d'analyses psychologiques et intellectuelles, tout en étant chargé de tensions contraires et de chair à vif. La petite musique de l'enfance, ce temps d'avant la scission identitaire ou bien ce temps où il était encore possible de la contenir, c'est cette petite musique que l'Intemporelle cherche dans le labyrinthe de sa mémoire, allongée sur son lit d'hôpital, une boîte à musique remplie de lettres et de notes intimes.
Car le tragique de l'Intemporelle se trouve sans doute dans ce désir contradictoire de retrouver d'un côté une identité unie, une mémoire unifiante, et d'un autre côté de laisser parler en elles ces femmes qui recherchent l'oubli passager dans l'alcool, la danse, une musique assourdissante, et les corps des hommes anonymes. C'est une pièce qui porte beaucoup de batailles sur la scène : un rapport extrême et conflictuel au corps, un point central en creux qui est l'échec d'une (ou plusieurs) relation amoureuse, et le rapport de chacune de ses femmes à la perte de l'autre qui donne lieu à des pertes de contrôle physique, puis de mémoire. Etre sans passé pour effacer la peine ou pour retrouver un passé idéalisé d'enfant qui apporterait la guérison ?
Ces femmes tour à tour quitteront la route de l'Intemporelle, emportée vers un ailleurs, la laissant de plus en plus vide et faible comme sa mémoire qui ne se raccroche plus qu'à des fragments de souvenirs réels, jusqu'à une fin ambigüe et poignante dont le spectateur restera hanté, le regard tout à coup tourné sur les propres failles qui s'agitent au fond de son corps".
(NB : L'Intemporelle a été jouée de février à Juin 2010 à l'espace La Comedia et reviendra à l'automne en d'autres lieux et sous d'autres formes, à suivre...)
Laureline Amanieux.