169ème semaine de Sarkofrance : Sarkozy choisit l'outrance pour rebondir

Publié le 31 juillet 2010 par Juan
Fichue semaine. Tout est bon pour sortir de l'affaire Bettencourt, et ses révélations en cascade.  Nucléaire, Andorre, Roms, et, le clou du spectacle, le couple infernal immigration-insécurité. Cette semaine Nicolas Sarkozy était ailleurs, focalisé sur sa propre survie, omnibulé par sa propre phobie, celle de voir emporter l'oeuvre d'une vie, son mandat, par d'obscures révélations sur ses trafics de financement politique.
Lundi, Sarkozy devait confirmer le décès de Michel Germaneau, otage français détenu par une branche maghrébine d'Al Qaida, dont la mort avait été annoncée la veille. 5 jours après une intervention militaire ratée des forces mauritaniennes soutenue par la France, cette nouvelle fait tâche. La presse africaine critique la réaction française. On aurait pu imaginer une attitude simplement triste mais indignée. Avec Sarkozy, c'eût été insuffisant. Il fallait qu'il en rajoute. Le chef de Sarkofrance n'a pu s'empêcher d'appeler aux représailles, tout en livrant ce constat curieux: depuis le 12 juillet, l'otage était condamné, son assassinat était «programmé». On est à peine surpris. Sarkozy n'assume pas ses échecs, il lui faut des excuses. Mardi, son premier ministre recadrait les propos présidentiels : «la France ne pratique pas la vengeance.» Le cowboy Sarkozy ira jouer ailleurs. Dès lundi midi, les conseillers du président lâchaient quelques éléments de langage à certains journaux. On pu ainsi lire dans le Point que Sarkozy a toujours «pris ses responsabilités», et que Michel Germaneau aussi, «en allant voyager seul dans un pays à risque.» 
Toute la semaine, Nicolas Sarkozy a fait comme si l'affaire Woerth n'existait plus. Mardi, il tentait de clarifier l'organisation de la filière nucléaire, en vain: voulant jouer au Meccano industriel, il a surtout éviter de trancher la question du leadership entre l'exploitant EDF et son fournisseur Areva. Il se basait sur un rapport de François Roussely, ancien patron de l'électricien national. Ce dernier officialise quelques constats inquiétants : la filière française est otage d'une technologie onéreuse et pas fonctionnelle, l'EPR. Aucune norme de sûreté internationale n'existe. Comme un coup du sort, EDF confirmait jeudi que la construction de l'EPR de Flamanville, célébrée en grandes pompes en février 2009, prendrait deux années de retard: la nouvelle facture s'élève désormais à 5 milliards «environ», contre 3,3 milliards initialement prévus. Dans son rapport, Roussely suggère donc à la filière française de se diversifier avec des «modèles plus petits» que l'EPR, si elle veut gagner des marchés à l'étranger. Plus inquiétant, il recommande à l'Etat de maîtriser l'Autorité de Sûreté Nucléaire, car, dit-il, la sûreté nucléaire est avant tout une question de débat politique et que des exigences trop fortes nuiraient au commerce : «la seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté.»
Mercredi, Nicolas Sarkozy tenait cette détestable réunion sur les gens du voyage et les Roms, sans aucun de leurs représentants, à l'Elysée. S'attaquer à la délinquance étrangère, voici son nouveau credo du moment. Et la communauté gitane et Rom est la cible idéale. La France manque de lieux de campements, malgré la loi Besson il y a 10 ans. En sortant de cette réunion, Brice Hortefeux s'est précipité pour annoncer les mesures du moment : la chasse est ouverte. Cent cinquante campements illégaux, sur 300, seront fermés, et les gens du voyage sans papier seront expulsés. Ces annonces furent l'occasion d'un florilège de dérapages verbaux dont on finit par avoir l'habitude de la part de certains ténors de l'UMP. En commentant la réunion, Luc Chatel lança : «On a beau être rom, gens du voyage, parfois même français au sein de cette communauté, eh bien on doit respecter les lois de la République.» Le lendemain sur RTL, Brice Hortefeux lui emboita le pas avec : «beaucoup de nos compatriotes sont à juste titre surpris en observant la cylindrée de certains véhicules qui traînent les caravanes.» 
Vendredi, le chef de Sarkofrance était à Grenoble, où de violents affrontements entre policiers et truands avaient marqué les esprits. Le nouveau préfet, un ancien policier, avait pris ses fonctions la veille. Des policiers et leurs familles ont été menacés de représailles. On attendait Sarkozy sur le terrain de la lutte contre le banditisme. Mais sur place, il a réussi à jouer de tous les amalgames: mêlant immigration et insécurité, le président français n'avait pas de mots assez forts pour relancer son sujet préféré. La Sarkofrance est en guerre, une «guerre» contre «les trafiquants, contre les voyous», «une guerre nationale.» Une guerre dont les soldats, policiers ou gendarmes, voient leurs effectifs fondre, remplacés par des caméras de videosurveillance: «Qui peut penser que c'est quelques îlotiers supplémentaires qui pourront éradiquer les trafiquants, les caïds et les trafics ?» a répliqué Sarkozy.
Vendredi, devant une assistance choisie dans un salon de la préfecture de l'Isère, le patron de l'UMP a voulu multiplier les annonces: extensions des peines plancher «à toutes les formes de violences aggravées», du bracelet électronique aux criminels multi-récidivistes «pendant quelques années après l'exécution de leur peine», création d'une peine incompressible de 30 ans pour tout assassin de policier ou de gendarme, et... déchéance de nationalité française pour toute «personne d'origine étrangère» en cas d'atteinte volontaire à la vie d'un policier ou d'un gendarme. Quel niveau d'ancienneté dans la citoyenneté française faudra-t-il justifier pour éviter le bannissement. Il suggéra aussi que l'acquisition de la nationalité française ne soit plus «automatiquement» accordée à un mineur délinquant né en France de parents étrangers. La transition fut parfaite pour parler d'immigration clandestine. Sarkozy réclama une évaluation des droits et «prestations auxquels ont aujourd'hui accès les étrangers en situation irrégulière». Puis il lâcha cette phrase, un vieux cliché tiré tout droit d'un discours du Front National: «Une situation irrégulière ne peut conférer plus de droits qu'une situation régulière et légale.» Quelle différence reste-t-il entre Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy ? L'un n'a jamais gouverné, l'autre est au pouvoir depuis 8 ans.
La campagne présidentielle est bel et bien lancée... pour le meilleur et pour le pire. Sarkozy choisit l'outrance pour rebondir, et faire oublier les affaires qui l'accablent.
Les sales affaires du président
On commence enfin à s'interroger sur l'évasion fiscale de «l'ami Guy» Wildenstein, fondateur de l'UMP et donateur très actif. Le Karachigate n'a pas finit de livrer ses secrets. Et l'affaire Bettencourt se poursuit. A l'Elysée, on voudrait croire que les Français s'en fichent.
Dimanche, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt s'est longuement et mal expliqué dans les colonnes du Journal du Dimanche: «Il faut que tout cela s'arrête !» s'exclamait-il. L'hebdomadaire Marianne avait révélé samedi qu'Eric Woerth et Patrice de Maistre prenaient bien un «café» ensemble le 19 janvier 2007. La veille, le 18 janvier 2007, le gestionnaire de fortune rencontrait Claire Thibout, pour, selon l'agenda de cette dernière, « donner enveloppe qui donnera à Patrice ». Et trois semaines auparavant, le 21 décembre, Liliane Bettencourt souhaitait retirer 500 000 euros en liquide auprès de Dexia.
La séquence est troublante.
Lundi, des policiers sont donc venus interroger Liliane Bettencourt à son domicile de Neuilly-sur-Seine. Les deux heures d'entretien n'ont pas servi à grand chose : «Je ne me souviens pas» a-t-elle répété à plusieurs reprises. Ses rares souvenirs concernaient un dîner avec le couple Woerth il y a deux ans, et deux donations à Renaud Donnedieu de Vabres et Eric Woerth. La milliardaire semble  amnésique. En revanche, son ancien personnel de maison (majordome, comptable et même femme de chambre) n'a pas perdu la mémoire. Mme Dominique Gaspard, elle aussi interrogée par la police et elle aussi licenciée par Patrice de Maistre quand elle témoigna de l'emprise de François-Marie Banier sur l'héritière de l'Oréal, a été très explicite. Elle s'est notamment souvenue de cette séquence où elle dut faire répéter et apprendre par coeur à Liliane Bettencourt une courte déclaration pour Nicolas Sarkozy avant que la milliardaire ne le rencontre début 2008. Lundi soir, les policiers ont à nouveau auditionné l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt, soi-disant pour avoir des explications sur les 400 000 euros qu'elle a reçus de Françoise Meyers-Bettencourt en 2007. Son avocat crie au harcèlement. L'Elysée tente de décrédibiliser Claire Thibout.
Jeudi, le ministre du Travail a eu droit à son audition. Traitement de faveur, les policiers sont venus l'interroger. Eric Woerth est resté 8 heures avec eux, histoire de faire croire que l'affaire est close. Comme si la durée d'une audition avait un quelconque rapport avec la vérité des faits. D'ailleurs, aucune nouvelle preuve n'a été avancée. Eric Woerth a simplement récusé une nouvelle fois les accusations de conflits d'intérêts et de financement politique illégal portées contre lui. Comme pour faire craquer un à un les témoignages gênants pour la cause Woerth, les policiers ont à nouveau placé Patrice de Maistre en garde à vue dès le lendemain. Il fallait, dixit l'avocat de Maistre et la police, «confronter» certaines de ces précédentes déclarations à celles de la veille d'Eric Woerth.
Parallèlement, la piste d'un arrangement entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy se précise. Nous évoquions voici quelques semaines que Sarkozy résistait à l'idée de rembourser à son prédécesseur les éventuelles pénalités financières infligées à Jacques Chirac à l'issue de son procès pour les emplois fictifs de la Maire de Paris. Jacques Chirac, via son entourage, se serait gentiment vengé en lâchant, ou faisant lâcher, quelques gentilles bombinettes, comme certaines révélations de l'affaire Bettencourt sur un éventuel financement politique illégal de la campagne de 2007. Mercredi dernier, le Canard Enchaîné a révélé l'existence d'un accord, non confirmé, entre Chirac et Sarkozy. Le président de l'UMP, et accessoirement de France, aurait accepté le deal.
Et le gouvernement ? Le gouvernement travaille...  sa survie. George Tron, ministre de la Fonction Publique a du réagir, en urgence, à la crainte de voir un afflux de retraites anticipées chez les mères fonctionnaire de 3 enfants : à compter de 2011, les candidates subiront une décote de retraite, avant la fermeture complète du dispositif en 2012. Dans les hôpitaux et à l'Education nationale, on s'inquiète de l'afflux de demandes d'information. On craint des dizaines de milliers de départs en retraites, alors que les postes ouverts à des recrutements sont bien inférieurs. On découvre aussi que le coût faramineux pour l'Unedic du recul de l'âge de la retraite, 265 millions d'euros par an pour couvrir la durée supplémentaire d'indemnités au chômage pour les seniors sans-emploi.  Et cela n'est pas près de s'améliorer: en juin, le nombre de demandeurs d'emploi de 50 ans et plus sans aucune activité a progressé de 1,7%. Christine Lagarde, elle, a dû livrer l'une de ces expressions dont elle a le secret : la hausse de 0,4% en juin est la preuve d'«une stabilisation selon le schéma de la tôle ondulée»... Les chômeurs de longue durée (+0,9% ce mois-ci) apprécieront. En deux ans, plus de 900 000 personnes supplémentaires se sont inscrites à pôle emploi...  La promesse d'accalmie par le PDG de l'entreprise France, le 25 janvier dernier sur TF1, est bien loin: 4,2 millions de personnes ont déclaré une période d'inactivité en juin en métropole.
Mardi, après le dernier conseil des ministres de la saison, Nicolas Sarkozy s'échappera enfin en vacances. Il était temps.
Ami sarkozyste, où es-tu ?