Aux sources vénimeuses de la mémoire.

Publié le 03 août 2010 par Alexcessif


Mémoire d'un fuyard, schizophrène et plus si affinités.
Aux sources venimeuses de la mémoire.
"Émile Honoré Laforêt. Agent immobilier."annonce la devanture. La plaque professionnelle est bien connue sur la place de Bordeaux et d'ailleurs. Son père, Germain longtemps en friche et cultivé sur le tard par Zola et Balzac, l'avait affublé des prénoms de l'auteur de "La fortune des Rougon-Macquart" et de celui de "la Comédie humaine" comme si, les lisant, il s'était obéré auprès des deux auteurs.
Il a bien pris sa revanche l'Emile! Sur la cruauté de ses lointains camarades de primaire moquant son prénom suranné et sur son hérédité paysanne avec l'ambition gardée de posséder la terre, de déboiser la forêt et de lotir. Ce matin, pour empêcher sa tête d'enfler, il revient à l'origine de son métier: un modeste état des lieux avant la visite des candidats à l'arnaque. La maison,petite, mal foutue, invendable, lui, la vendra. "Facile" se dit Émile sans se douter de ce qui l'attend. Dés l'entrée les murs lui comprime la poitrine. Décidément cette bicoque sent la  défaite et ravive des douleurs fantômes. Absentes, les photos d'un bonheur abandonné dessinent des abimes blancs sur les murs et des précipices du coté du poumon. Les sons ne se cognent plus contre les meubles comme des bruits aveugles et rebondissent sur les cloisons. La toise du petit dernier, qui grandira ailleurs avec un autre père, réveille en lui l'ancienne peine enfouie des enfants coupés en deux par des jugements de Salomon . Les murs se rapprochent et le plafond descend. Titubant d'ivresse sous la douleur qui l'assaille, il se précipite vers les volets en apnée pompant de l'air pour vaincre sa panique et sa claustrophobie. Rien à faire:les cadavres sortent des placards et, lui, refoule l'inondation un peu trop souvent. Un barrage fissuré, est en train de lâcher prise sous les coups des trop nombreuses nuits peuplées de spectres:
Entre deux longs temps dans l'avant et l'à peu prés. Sur le ruban de l'autoroute Juillet croise Aout et sur le pays d'entre deux mers dîne un groupe d'amis d'un jour et de fin du Moi dans la tête d'Émile. Le vent d'Autan emporte la voix d'Émile et collabore à l'excitation des braises avant leur rendez-vous avec les darnes du poisson. "-C'est bon le maquillage euh, la marinade du thon de haute mer?J'ai du tison amoureux sous la main!" La Garonne monte encore derrière le chemin en contrebas du talus. Bambous saules et plumets dissimulent le flot et les verres inutiles de l'apéro vidés de leurs attraits capturent les lueurs des derniers brandons du brasero comme un supplément de soleil couchant. Le ponton ne sera jamais terminé, trop couteux et il faudra mettre à l'eau à l'étale pour ne pas s'envaser. L'énorme thon rouge, plus que jamais en voie de disparition, achevé, quelques uns s'attardent sur le "maigre" du mulet en charpie péché par Stan: "-il en reste sous la joue bâbord" annonce-t-il. Prévu pour être servi à la française, les filets "levés" au couteau, il semble plutôt avoir été dépiauter à la grenade. A quatre heures du matin, Phill et Philou sont partis chez Sabrina. Ils reviendront avec quelques feuilles qu'ils découperont et sécheront à la poêle. May négocie un dix grammes et Nell crée du lien à l'écart dans le salon avec  Chris Chef de prod pour se sortir de la mouise qui l'attend à la fin du tournage. Nat , l'assistante ronfle sur le sofa comme le Concorde des infos de tout à l'heure annonçant son premier décollage sans se douter des complots qui s'ourdissent au pied du canapé. Priot tend son verre exsangue de rouge vers la bouteille de Gaillac qui lui cède quelques larmes en s'inclinant. Il annonce: "-balles neuves" Les filles gloussent. Avec un temps de retard, Christophe le petit nouveau en voie d'intégration, libère un rire instinctif et grégaire pour satisfaire son besoin de chaleur humaine. Mathilde, en quête d'une galerie où accrocher ses merdes d'art contemporain pire que les "Gluts" de Rauschenberg et cherchant les bonnes bites à sucer, s'est désintéressée assez vite d'Émile, inutile puisqu'elle à un toit sur la tête jusqu'à la fin de l'été, pour les promesses de Stan le régisseur qui connait un voisin, qui connait un épicier, qui connait un gars qui possède une galerie. Les deux Philippe rapportent les feuilles séchées à la poêle, bien allumés. "-elle fait de l'huile" glisse Phill trivial, à l'oreille de son complice en apercevant Mathilde en surchauffe, sur le point de conclure tandis que Priot, dépose David et le poids de ses quatre ans sur le toit d'une bagnole. Le môme aux yeux cernés échange sa solitude et son sommeil contre la compagnie amusée des adultes et l'indifférence de ses parents. Plus tard, et trop tard, David comprendra la blessure sonore de la risée suivant la dernière phrase de l' ami Priot à la cantonade: "-Quand t'es défoncé, c'est marrant un nain!"
Chargés de séquelles, les rires taillent le silence de ce salon hostile coupant dans son âme où se réfugie la mémoire bannie. Passif et écartelé entre leur vie qui prend l'eau et elle qui se noie, cette nuit ou celle d'après, Émile a quitté May lassé de voir leur môme servir de singe savant lors de ces soirées qui dévoraient les journées. Émile s'est laissé cueillir par la mystérieuse chimie de l'air emplissant la maison ou une image invisible dans le carré blanc d'un portrait décroché victime de ses micro sommeils où l'esprit assoiffé de souvenirs s'abreuve une dernière fois aux sources venimeuses de la mémoire.
Un objet tombe et résonne sur le plafond. "-Un grenier" se dit Émile,"il y a un grenier!" L'ultime épreuve du fourre tout déchirants des bibelots de l'enfance. "Des souvenirs, tu parles"se dit Émile dégrisé, en poussant la trappe en haut de l'échelle de meunier.
Oublié dans la pénombre sous une poutre, un jambon sèche, pendu.
L'imitant, le corps de Thomas Benjamin Dunid en suspension sous une ceinture, tournoie lentement autour d'un tabouret renversé.
Et si je vous disait comment on en arrive là? En passant par là:
Mamaïou.
Qu'est-ce que je fous dans cette douce aquarelle?
Le fond est honnêtement bleu ciel pour un après midi de Juillet et moi, je révise les noms des nuages. Pas un souffle de vent. Des cumulo-nimbus suspendus, espacés, répartis dans le cadre formé entre le cèdre et le magnolias d'un tableau qui ne doit rien à la main d'un artiste s'il n'était "Céleste Divin-Aquarelliste". Plus haut, les cirrus s'effilochent sur les bleus qui rivalisent comme les souvenirs de Mamaïou.
Hier soir, elle me serrait la main pour la première fois, saisissant la poignée de ma fatigue pour ouvrir la porte de mon alibi: "-restez pour la nuit!" Il reste une grosse heure de route et je dois laisser ici Maybe et notre tristesse. Je ramène la première et dernière femme de ma vie presque intacte à sa maman. Nous interceptons des regards qui se disent OUI. Encore plus belle et amoureuse que le premier jour de nos premières vacances May vient renouer avec Elliot, le chien et Clio, la voiture.
Au matin, Mamaïou m'embrasse et (m')enchaîne: "Restez à déjeuner vous repartirez ensembles à Bordeaux. Pendant le repas et bien au-delà, la chaude mémoire de Mamaïou est comme une scintillantes nova lointaine et éteinte. Pourtant brulante encore. Sa lueur illumine la compréhension désormais et elle adoucie quelques souvenirs blafards avec les couleurs pastels d'aujourd'hui. May apporte suave et subtile, les retouches personnelles et les nuances à la  gouache de son ressenti de ces petits arrangements avec le passé.
Auditeur impartial, passif mais pas sans passion me voilà intégré puisque simultanément la bidoche du barbecue gémissant ses dernières braise contre la haie, vient d'offrir sans résistance à la lame du Laguiole, son ultime bouchée, l'âme de ma récente belle-mère, son hospitalité et la vie, sa suprême offrande. Intégré je suis. Intègre, c'est une autre histoire. Aimer désormais comme "Boudu sauvé des eaux" aime la bouée qu'on lui jette. La reconnaissance du verbe aimer conjugué dans la panique. Le besoin de résilience n'a pas la patience d'attendre le désir, avec la complicité des mots tactiques esclaves soumis à la stratégie de ce sentiment opportuniste et sans sexe parfois. Le besoin d'amour désespéré, forcené et vital ferait aimer le vivant. Juste le vivant et sa chaleur. Chance, hasard, aléas, compassion du destin: La faveur du présent est du genre humain et de sexe féminin. Ouf! Deux mois passés dans l'intimité croissante et constante de Maybe et rien n'indique une quelconque lassitude depuis "l'arrangement". Simple passage et fragment du temps!  A moins que... Quand le maïs sera récolté, il faudra tailler la haie. Ambitieux, le dandy bichon provoque Elliot dix fois plus grand et le vent se lève entrainant quelques fibres de sa carpette d'aiguille de pin dans nos assiettes. L'aquarelle, déjà change de tons et les camaïeux de bleu rosissent. Déjà, je fuis ce "bonheur de peur qu'il ne se sauve" Je me détache d'ElleS et prends la route du retour. Le rond point, l'autoroute et déjà l'envie de lui parler pour ne rien lui dire, juste entendre sa voix. Je revoie tout mes départs, mes dérobades, mes régressions et mes fuites en avant. Et surtout mon inaptitude a téléporter le bonheur. Celui d'avant, si proche et déjà trahit. Il était nécessaire d'abandonner sept ans et sept vies trop étroites et pourtant sans nuages.
Je sais pas quel jour nous sommes et quel tableau je suis en train de repeindre. On doit être en été! Achevées toutes les autres vies. Luxure, gourmandise, orgueil et paresse, envie et colère. La nuit et l'hiver bientôt seront de retour pour une nouvelle alliance. Je vais devenir enfin moi: j'ai retrouvé Maybe Perhaps, la première peut-être.
"-Quand tu aimes, il faut partir!"me souffle Armand Talist, gardien de l'ordre établi ou de la paix, imitant la voix de Blaise Cendrars. J'ignore encore et toujours si ce second Moi manipulateur ou bien intentionné travaille à ma sauvegarde ou à ma perte. Mercenaire de l'ordre, le changement le dérange. Il transmet, dés qu'il le peut à qui l'écoute, sa trouille de la zone inconnue. C'est la main de Tom B. Dunid et non la mienne qui glisse dans le mange disque moderne le CD de Léotard Philippe. Tom B. Dunid, l'être qui comprend tout à J+1 est de retour. "Caroline....." Il est grand temps de changer de peau, encore et de délocaliser cette réalité onirique et cette encombrante schizophrénie! Pourquoi pas une peau d'agent immobilier? Habiter à l’intérieur d’un spécialiste de la spoliation, c’est fun, non ? Un lapin blanc passe au loin. Il a en bandoulière la corde qui me pendra au cou de la dernière femme ou à la poutre dans le grenier. Je m'acquitte du péage et quitte (maispasque)l'autoroute. J'ai dit: "au revoir" à Mamaïou. J'ai menti: c'était "Adieu!" Ce n'est pas moi! C'est Tom B. Dunid, Alex Cessif, G. Laloose et le lapin blanc!
Damazan le 30 Juillet. "Les Passantes"