BODY DOUBLE (Brian De Palma - 1984)

Par Actarus682

Brian De Palma est mon metteur en scène préféré. C'est dit.

Et Body double constitue l'un de ses meilleurs films. Echec public à sa sortie, le film condense pourtant toutes les obsessions du réalisateur, et fait montre d'une virtuosité technique hallucinante, certaines longues séquences totalement muettes rappelant au passage que le cinéma est avant tout affaire de mise en scène. Et à ce jeu-là, Brian De Palma excelle.

Body Double raconte l'histoire de Jake Scully (Craig Wasson), comédien souffrant de claustrophobie qui est hébergé chez l'un de ses amis après avoir découvert que sa fiancée le trompait. Dans un immeuble faisant face à l'appartement, une jeune femme effectue tous les soirs un strip tease que Jake observe depuis une longue vue placée à sa fenêtre. Un soir, il remarque que la jeune femme est épiée par un autre homme, et est témoin d'une rixe entre elle et son mari...

Dès la première scène du métrage (le tournage d'un film), on comprend que Body double sera placé sous le motif de l'apparence. Thème récurrent chez De Palma (Blow out, Pulsions ou encore Mission impossible, pour n'en citer que quelques-uns), le thème de l'apparence trompeuse imprègne toute la filmographie du metteur en scène.

Les thèmes de l'image et du simulacre seront ainsi développés tout au long du film, ce dernier constituant au final un exercice fascinant sur la ténue limite entre ce que l'on voit (le mensonge) et ce qui est caché (la vérité). Traitant son sujet avant tout avec la caméra, Brian De Palma trompe le spectateur en même temps que son personnage principal, en nous mettant dans la position d'un voyeur considérant comme vrais les évènements qui se déroulent sous ses yeux, la mise en scène constituant en l'occurence l'outil principal qu'utilise De Palma pour créer l'illusion et l'identification du spectateur avec le protagoniste (voir à ce titre la longue et brillante scène de filature, quasi-muette, dans laquelle on adopte le seul point de vue de Jake Scully).

 

Par ailleurs, De Palma rend explicitement hommage à l'un de ses maîtres: Alfred Hitchcock. En effet, le metteur en scène, qui partage effectivement des points communs avec le maître du suspense, fait non seulement référence à Fenêtre sur cour (l'homme espionnant son voisinage à l'aide d'une longue vue), mais également à Vertigo. Dans ce dernier, le personnage de James Stewart était en proie au vertige, handicap remplacé par la claustrophobie dans le cas de Jake Scully. Par ailleurs, le personnage de Holly Body est interprété par Melanie Griffith, qui n'est autre que la fille de Tippi Hedren (Les oiseaux).

De Palma s'emploie également dans Body double à pousser dans ses derniers retranchements la notion même de suspension d'incrédulité ("willing suspension of disbelief"), qui, pour mémoire, constitue l'acceptation des évènements qui se déroulent sous ses yeux par le spectateur d'une oeuvre de fiction , fussent-ils irréalistes. Ainsi, plus d'une fois les évènements paraissent exagérés ou totalement irréalistes (l'Indien assomé en tombant sur le lit, la victime se jetant au sol dans un mouvement très comedia dell'arte, la scène du baiser). Le metteur en scène joue ici avec la notion même de fiction, nous interrogeant sur son rapport à elle, rejoignant ainsi sa thématique de l'image et de la manière dont elle est perçue. La mise en abyme est donc ici totale.

Body double constitue donc une oeuvre dense, passionnante, véritable réflexion sur le pouvoir de l'image et, par extension, sur celui du cinéma, en même temps qu'une leçon de mise en scène aux séquences plus brillantes les unes que les autres.

Indispensable.