Un recours pour quelques roubles de plus (CEDH, déc. 1er juillet 2010, Vladimir Petrovich Korolev c. Russie)

Publié le 10 août 2010 par Combatsdh

Précisions sur la clause d’absence de « préjudice important » créée par le Protocole n° 14

par Nicolas HERVIEU

Une juridiction d’appel russe a fait droit à la demande d’un homme qui contestait le refus d’accès à des documents administratifs le concernant qui lui avait été opposé par l’administration des passeports et visas. Outre une injonction faîte à cette dernière d’accorder un tel accès, la décision d’appel portait condamnation de l’administration au paiement d’une somme de 22.50 roubles (l’équivalent de moins d’un euro) au titre des frais de justice supportés par l’intéressé. Cherchant semble-t-il uniquement l’exécution de ce paiement, ce dernier initia une nouvelle procédure tendant à contester l’inactivité des huissiers chargés du recouvrement de la somme due. Ce second recours fut cependant rejeté en première instance et en appel pour un motif procédural.

La requête alléguant d’une violation de l’article 6 (droit à un procès équitable) et 1er du Protocole n° 1 (droit au respect de ses biens) constitue une opportunité pour la Cour européenne des droits de l’homme d’apporter de nouvelles précisions au sujet du nouveau critère de recevabilité (Art. 35.3.b), en particulier sur des points critiquables (v. la première décision à ce sujet : Cour EDH, Dec. 3e Sect., 1er juin 2010, Adrian Mihai Ionescu c. Roumanie, Req. no 36659/04 - Actualités droits-libertés du 29 juin 2010 et CPDH même jour). Afin de déterminer si la présente requête peut-être rejetée dès le stade de la recevabilité en application de la clause de l’absence de « préjudice important » - ou principe « de minimis non curat praetor » -, les juges ont examiné successivement si les trois exigences cumulatives étaient satisfaites en l’espèce :

1°/- S’agissant tout d’abord de l’absence d’un « préjudice important », la Cour cherche à en définir des “critères objectifs, d’où un degré de généralité un peu plus conséquent que dans la première décision (rendue par une autre Section). Elle indique ainsi que “ce nouveau critère repose sur l’idée qu’une violation d’un droit, fut-elle réelle d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un niveau minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale” (« the new criterion hinges on the idea that a violation of a right, however real from a purely legal point of view, should attain a minimum level of severity to warrant consideration by an international court »). Ce degré de gravité est apprécié tant du “point de vue subjectif du requérant [« subjective perceptions »]” qu’à l’aune “de ce qui est objectivement en jeu dans l’affaire d’espèce. Or, ici, les juges strasbourgeois n’ont guère de mal a estimer que la somme inférieure à un euro objet du litige ne constitue pas un « préjudice important », dans l’absolu mais aussi au regard de la situation du requérant. Le fait que, selon le requérant, était en cause une “importante question de principe” est également rejeté comme dénué de fondement en l’espèce par la Cour, même si cette dernière admet que l’on puisse potentiellement identifier “un préjudice important indépendamment d’intérêts pécuniaires

2°/- Aucun impératif lié au « respect des droits de l’homme » conventionnellement protégés n’est ensuite de nature ici à résorber le motif d’irrecevabilité lié à l’absence de préjudice important. Une nouvelle fois de façon plus générale, la Cour indique qu’une telle “clause de sauvegarde“ pourrait être activée en cas de “besoin de clarifier les obligations conventionnelles des États ou d’inciter l’État défendeur à résoudre un problème structurel affectant d’autres personnes placées dans la même situation que le requérant (« a need to clarify the States’ obligations under the Convention or to induce the respondent State to resolve a structural deficiency affecting other persons in the same position as the applicant »). Mais les juges européens estiment que tel n’est pas le cas ici, en particulier parce que “le problème systémique relatif à la non-exécution des jugements internes dans la Fédération de Russie et la nécessité d’adopter des mesures générales afin de prévenir de nouvelles violations à ce titre” ont déjà été soulignés par la Cour et le Comité des ministres du Conseil de l’Europe dans des affaires passées. On remarquera qu’un tel raisonnement conduit à épargner à la Russie le risque d’une condamnation non pas parce que cet État a respecté la Convention mais parce que le processus d’exécution de précédentes condamnations est encore en cours.

3°/- Enfin, concernant la seconde “clause de sauvegarde” qui implique que l’affaire ait été « dûment examinée » par les juridictions internes, la Cour apporte une très intéressante précision. Certes, il est ici relevé que les griefs “initiaux” du requérant ont bien été examinés par les juges russes. Toutefois, les griefs relatifs à la non-exécution du jugement du fait de l’inaction des huissiers - griefs qui sont seuls objets de la requête devant la Cour - n’ont, eux, pas bénéficié d’un tel examen. En effet, la seconde action du requérant n’a donné lieu à aucun examen au fond car elle fut rejetée pour des motifs procéduraux. Afin d’appliquer le nouveau critère d’irrecevabilité malgré l’absence d’examen du grief par les juridictions internes, les juges européens mettent deux points en exergue, l’un conjoncturel, l’autre plus général. Premièrement, il est relevé que cette absence d’examen résulte du fait que le requérant ne s’est pas conformé aux exigences procédurales nationales, de sorte que “la situation ne constitue pas un déni de justice imputable aux autorités“. Deuxièmement, et de façon plus intéressante, la Cour cherche à désamorcer la critique selon laquelle les allégations de violations portant sur des points de procédure - comme ici avec le grief de l’article 6 - ne pourraient en tout état de cause jamais être « dûment examinés » par une juridiction interne puisque c’est cette dernière qui en serait la potentielle auteure (Sur cette critique, V. notamment au point 3°, Actualités droits-libertés du 29 juin 2010). Dans la présente décision, la Cour reconnaît ce problème et admet que les griefs “n’ont pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel en droit interne. Mais il est jugé que cette brèche dans le principe de subsidiarité, qui guidait pourtant cette seconde clause de sauvegarde, ne “constitue pas un obstacle à l’application du nouveau critère de recevabilité“. Car, outre que “la Convention ne garantit pas aux requérants un droit de contester [le non respect des exigences procédurales nationales] par les procédures internes une fois que l’affaire a été tranchée en dernière instance“, les juges européens affirment surtout qu’”adopter une interprétation contraire reviendrait à empêcher la Cour de rejeter tout grief, aussi insignifiant soit-il, relatif à une violation alléguée imputable à une autorité nationale statuant en dernier ressort” (« To construe the contrary would prevent the Court from rejecting any claim, however insignificant, relating to alleged violations imputable to a final national instance »). C’est donc uniquement dans un souci d’efficacité et par pragmatisme que la Cour décide ici de passer outre ce problème parfaitement identifié, comblant ainsi cette faille dans le texte conventionnel par la nécessité de sauvegarder “l’objet et le but de la nouvelle disposition.

La présente requête est donc rejetée comme irrecevable en application du nouvel article 35.3.b).

La Cour estime que n’est pas recevable, car ne constituant pas un préjudice important, une requête tendant à l’exécution d’une condamnation de l’administration russe au paiement d’une somme de 22.50 roubles (l’équivalent de moins d’un euro) au titre des frais de justice supportés par l’intéressé.

Vladimir Petrovich Korolev c. Russie (Cour EDH, 1e Sect. Dec. 1er Juillet 2010, Req. n° 25551/05) - En anglais

Actualités droits-libertés du 3 août 2010 par Nicolas HERVIEU

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