Anthologie permanente : Fernando Pessoa

Par Florence Trocmé

Pour le choix des textes de cette anthologie permanente d'été, Poezibao suivra encore cette semaine (avant une pause de quinze jours), le fil du livre de Jean-Claude Mathieu, Écrire, inscrire, sous titre ″Images d'inscriptions, mirages d'écriture″ (éditions José Corti 2010). Jean-Claude Mathieu, sur la trace des " inscriptions " cite d'innombrables poètes. Poezibao reprend certaines de ces citations et tente de les compléter, chaque fois que possible, par d'autres textes du même auteur.
*La citation d' Écrire Inscrire
[chapitre Le Livre du monde]
" L'efficace de la parole, celle d'Orphée et de l'orphisme, a pu s'étayer sur des vestiges de l'efficacité des choses, que les ″charmes″ du discours ressuscitent ; à ces survivances dans un monde profane d'une relation magique et sacramentelle entre les mots et les choses, les courants de la poésie qui prolongent le romantisme, le surréalisme, n'ont pas renoncé. Ça et là des résurgences de ces vertus occultes affleurent, appuyées par des gestes rhétoriques efficients, une apostrophe, une question, une répétition incantatoire, et accompagnées de leur dénégation. Char prononce une incantation à la bienveillance magique de l'herbe : ″Jadis l'herbe connaissait mille devises. Elle était la providence des visages baignés de larmes. Elle incantait les animaux, donnait asile à l'erreur, etc.″ La vertu improbable des ″simples″ qui guériraient l'homme de la blessure de la séparation affleure dans la quête du simple, à la faveur de l'homonymie : ″à celui qui se penche vers elle, la terre a-t-elle jamais livré des simples pour ses blessures ? ″ (Jaccottet). Ce qui n'est plus un savoir, pas même une croyance, persiste, mis au compte du mythe, dénié - Pessoa ″sait bien mais quand même...″
″S'il m'arrive de dire que les fleurs sourient
Et si je dis un beau jour que les fleuves chantent,
Ce n'est pas que je croie qu'il y a des sourires dans les fleuves
[...]
Je suis en désaccord avec moi mais je m'absous,
Parce que je ne m'accepte pas pour de bon.
Parce que je suis cette chose odieuse, un interprète de la Nature,
Uniquement parce qu'il y a des hommes qui n'entendent pas son langage,
Car il n'est langage en rien...″"
Jean-Claude Mathieu, Écrire Inscrire, José Corti, 2010 p. 312.
Citation : Fernando Pessoa, " (Alberto Caiero), Le Gardeur de troupeaux ", Œuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade, 2001, p. 30.
*Deux autres textes de Fernando Pessoa
[...]
Il faut ne pas savoir ce que sont fleurs et pierres et fleuves
Pour parler de leurs sentiments.
Parler de l'âme des pierres, des fleurs, des fleuves,
C'est parler de soi-même et de ses propres fausses pensées.
Grâce à Dieu les pierres ne sont que pierres,
Et les fleuves ne sont rien que des fleuves,
Et les fleurs, fleurs, tout simplement.
Pour moi, j'écris la prose de mes vers
Et j'en suis content,
Parce que je sais que je comprends la Nature de l'extérieur ;
Et je ne la comprends pas de l'intérieur
Parce que la Nature n'a pas d'intérieur ;
Sinon elle ne serait pas la Nature.
Fernando Pessoa, " (Alberto Caiero), Le Gardeur de troupeaux ", Œuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade, 2001, p. 28
*
Les bulles de savon que cet enfant
S'amuse à tirer d'une paille
Sont translucidement toute une philosophie.
Claires, inutiles et passagères comme la Nature,
Amies des yeux comme des choses,
Elles sont ce qu'elles sont
Selon une précision rondelette, aérienne,
Et personne, pas même l'enfant qui les abandonne,
Ne prétend qu'elles sont plus que ce qu'elles semblent être
[...]
Fernando Pessoa, " (Alberto Caiero), Le Gardeur de troupeaux ", Œuvres poétiques, Bibliothèque de la Pléiade, 2001, p 26.
Fernando Pessoa dans Poezibao :
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