Mon héros, cet homo (suite)

Par Albanlao

Il fut un temps où mon héros se plaisait à fréquenter le Marais. Pas étonnant...
Il avait aussi sa boutique pas loin du quartier. "Couleurs ou noir et blanc ?", il l'avait appelée.
Il s'était dit que c'était toujours mieux que tralala service ou photo tralala.
Dans sa boutique, rue des archives, il y avait une pièce où il passait le plus clair de son temps, lorsqu'évidemment, l'activité ou plutôt l'inactivité le lui permettait.
C'était là-bas qu'il mangeait, sommeillait, écrivait ou déprimait. C'était en quelque sorte sa petite cellule. De temps en temps, il y recevait ses amis, qui venaient lui rendre visite.
Ils papotaient, tant bien que mal, entrecoupés par l'arrivée des clients, apportant leurs films - petits bouts de vie - à faire développer.
Il l'aimait bien sa boutique. Il y avait pris ses petites habitudes.
Ce qu'il aimait bien aussi, c'était observer la réaction des gens devant leurs photos qu'il venait de tirer. C'était des sourires, des fous rires, des cris d'horreur, d'étonnement, des mots de satisfaction, de mécontentement. Ils marmonnaient souvent. Parfois, ils se mettaient à les lui commenter, l'emportant dans leurs plus beaux souvenirs.
Noël 2001. Il se souvenait que Patricia Kaas tournait beaucoup dans son lecteur cd.
"Les hommes qui passent maman, ont des sourires qui sont un peu comme des grimaces maman. Les hommes qui passent troublants, me laissent toujours avec mes rives et mes angoisses d’avant. Les hommes qui passent pourtant, qu’est-ce que j’aimerais en voler un pour un mois pour un an..."
Les commerçants se préparaient pour l'occasion : vitrines enguirlandées, sapins de toutes couleurs et de toutes les matières, bois, plastique, métal, papier, coton... L'imagination des créateurs était débordante et le résultat, détonnant.
Le travestissement des ces boutiques donnaient à la rue des archives une note encore plus "gaie" que d'habitude...
13h00. Pascal est rentré pour déjeuner. Je ne m'y attendais pas. Impossible de me concentrer.
Pause.
Il me dit que je suis belle... Reviens sur terre Alban ! Il me dit que je fume trop. C'est vrai. Je n'arrête pas en ce moment. Ce matin, je n'ai pas arrêté de me racler la gorge...
Il me rappelle que j'ai une lessive à faire, et que si je voulais, je pouvais ranger la vaisselle...
Je préfère retourner dans mes pensées. Écrire ce qu'il me plaît. Raconter ma vie sans les corvées...
Je vais quand même faire tourner une machine...
Ça sert à quoi un assouplissant ? Que ce soit souple ? Ou que ça sente bon ?
Je regarde la composition : que des noms à rallonge, impossibles à lire. De la chimie quoi.
Qu'est-ce qu'il restera de la Terre, pour nos enfants ? Quels enfants ? J'allais oublié. Je n'en aurai pas...
13h35. Le blues du businessman. Version Céline Dion. On est homo ou on ne l'est pas...
Oui, je crois que j'aurais voulu être un artiste, probablement chanteur, pour pouvoir crier qui je suis. Et même si je n'ai rien d'un businessman, j'en ai les gènes. On est chinois ou on ne l'est pas... Elles n'ont juste pas eu le temps de s'exprimer...
Comme l'aimait si bien dire ma mère : "Là-bas, on est patron ou rien du tout..." Elle n'a pas tout à fait tort. Ici, c'est pareil.
Ma mère, elle est forte. Très. Pas physiquement. Dure aussi. Pas physiquement non plus. On dira plutôt exigeante. Et chiante. Mais toujours généreuse.
En toute objectivité, c'est une jolie femme. Qui a de la classe dans ses choix vestimentaires. Parfois un peu trop arrogante. Mais elle a de quoi l'être.
Ma mère, inutile de le souligner, est une businesswoman accomplie. Elle n'a pas un empire. Mais juste assez pour être quelque fois arrogante...
Aurait-elle eu envie, elle, d'être un artiste ?...
14h15. Mon héros, cet homo, est né sous le signe de la balance. Un détail qui a son importance. Il est indécis. Toujours. Même quand il va faire du shopping. Il tourne pendant des heures dans les mêmes rayons, essayant une chemise, puis un pantalon, reposant ce qu'il avait choisi pour jeter son dévolu sur d'autres fringues qui lui feront encore hésiter... C'est un calvaire pour son ami qui l'accompagne, de temps en temps. Lui, pendant tout ce temps, il observe mon héros, patiemment, sans jamais donner d'avis, ce qui ne facilite pas la tâche. Parfois, son regard se porte sur un pull, toujours trop grand, ou un pantalon, toujours le même genre, ou encore un joli petit minois de jeune mec...
Il paraît que les natifs de la balance sont équitables et impartiaux, qu'ils aiment l'harmonie autour d'eux et qu'ils sont élégants et dotés d'un charme naturel et distingué... Financièrement, ils dilapident. Car ils préfèrent profiter de la vie que d'accumuler les richesses.
Il paraît aussi qu'ils sont délicats et sensibles, avec un sens artistique prononcé...
C'est pas mal comme description se dit mon héros...
14h47. Un petit coup de barre.
J'écris ce que je veux mais là, je vais aller faire une sieste. Parce qu'il faut de l'énergie pour écrire, même n'importe quoi...
"N'importe quoi". Florent Pagny. Il est devenu un peu con Florent Pagny. Depuis "savoir aimer". Il a pris la grosse tête. Moi, je l'aimais mieux à l'époque, quand il ne chantait pas n'importe quoi, quand il avait cette gueule de petite frappe perdue...
15h05. J'ai fait une micro-sieste. Histoire de ne pas trop perdre de temps. Parce que le temps, ça passe trop vite.
Mon héros est un grand névrosé. Il a la frousse. De la vie qui passe. Et en même temps, parfois, il aimerait pouvoir arriver jusqu'au bout. De sa vie. Pour pouvoir souffler. Pour pouvoir se dire : "Enfin, une chose de faite !". Pour pouvoir aussi la raconter, histoire de se la raconter...
Mon héros, il a commencé à fumer pour faire comme James Dean. Même s'il était déjà mort. Alors au début, il fumait des Chesterfield. Et il s'était dit que comme lui, il partirait jeune. Mais il est toujours là mon héros. Il n'était probablement pas assez rebelle pour mourir à 24 ans, même si la fureur de vivre, il semblait qu'il l'avait. Sinon, il ne serait plus là...
Et puis, il s'est mis au Camel. Pour faire comme son ami. C'est plus facile quand il faut se dépanner. En clopes.
15h19. Le sèche-linge fait un boucan pas possible. J'ai mal au crâne. C'est chiant parce que mon héros, je ne voulais pas qu'il ait la migraine. C'est débile un héros qui a la migraine. Ça fait nul...
J'avais du mal à concevoir que les gays avaient leur propre culture. Les années passant, et la vie m'enrichissant, force est de constater qu'il y a bien une culture gay.
Il y a quelques mois, pendant une relève, une collègue mentionna la cold-cream, qu'un patient devait s'appliquer deux fois par jour. Moi, petit homo basique et formaté que je suis, mais peut-être n'avait-elle pas très bien articulée le mot, je compris "cockring". J'eus un fou rire complice avec une autre collègue, lesbienne. Et lorsqu'on expliqua le quiproquo, personne ne semblait savoir ce qu'était un cockring...
C'est comme le Dépôt. Est-ce qu'un hétéro sait ce qu'est le Dépôt ?
Non, ce n'est pas un lieu où l'on y dépose des choses... Enfin... si. Un peu quand même...
De nos jours, les lieux gays sont devenus très branchés, et être "gayfriendly", ça fait "trop cool !"
Petit conseil d'ami : être gay, c'est encore plus cool ! Alors n'hésitez pas, surtout si vous êtes jeunes et beaux ! Cons, c'est pas grave, parce que comme qui dirait, c'est pas la tête qu'on suce !
Oui, la culture gay existe. Le gay power, c'est pour bientôt. On ne le dit pas assez, mais les gays sont souvent des précurseurs. Prenez la mode par exemple. Savez-vous que nous avons toujours une longueur d'avance par rapport à vous, les hétéros ? Savez-vous que les professionnels de la mode se baladent dans les quartiers gays du monde entier pour choper les dernières tendances que vous trouverez quelques années plus tard "trop top !" ?
Bon, j'arrête la dichotomie homo/hétéro. C'était pas vraiment le sujet de mon "roman". Mais comme j'écris ce que je veux, je me suis un peu laissé emporter...
Mon héros ne s'est jamais considéré comme une follasse. Même si dans l'âme, il doit l'être. Comme tous les pédés. Dans une certaine mesure.
C'est bizarre, cette fâcheuse habitude qu'ont les homos de se surnommer au féminin : ma soeur, ma cousine, ma follasse, ma pétasse... Comme si coucher avec des hommes faisaient d'eux des femmes... Comme si en se qualifiant de femmes, ils cherchaient à "normaliser" leurs relations...
Si je me sentais femme, je ne serais plus homo, mais transsexuel.
Si j'avais besoin d' "hétéroïser" ma relation, je ne serais plus homo, mais homo refoulé...
On est homo ou on ne l'est pas... Bordel !
Je crois que mon héros a toujours eu du mal à trouver sa place. Il n'avait pas spécialement cette culture gay et il se sentait un peu trop différent des hétéros...
16h35. Putain, elle va arrêter de tourner cette machine (le sèche-linge) !
J'écris toujours. Comme pour réinventer ma vie. Et pourtant, c'est la même. Avec du blabla en plus...
J'ai plein de boutons de moustique. Pascal m'a dit d'appliquer dessus du vernis. C'est au contact de l'air que ça nous démange. Il l'avait vu dans les "experts". J'aurais bien essayé, mais je n'ai pas de vernis. À ongles.
J'écris ce que je veux... J'ai gagné au loto. Et j'arrête de travailler !
Oui, j'écris ce que je veux, mais je peux surtout rêver...
En plus je ne joue pas au loto.
Ça me rappelle que mes parents étaient de gros joueurs. Pas physiquement.
Ils allaient pratiquement toutes les semaines au Casino de Deauville. Nous, en attendant, on jouait sur la plage, puis on dormait dans la voiture...
Tous les ans, on se rendait à la mer. On a dû faire toutes les côtes françaises. C'est peut-être pour cela que je ne l'aime plus. La mer. Avec cette chaleur, ce monde, cette crème solaire qui te colle à la peau et qui entraîne avec elle les grains de sable jusqu'à obstruer tes pores...
Mon héros s'endormait. Il était 01h00 du matin (17h00 pour de vrai, ici, dans ma vie, mais j'ai décidé que dans mon roman, la nuit était déjà tombée). La lune éclairait le corps nu de son ami. Il aurait voulu à ce moment précis le prendre en photo. Mais sa fatigue l'en dissuadait. Alors, il l'embrassa une dernière fois, ferma les yeux et laissa ses pensées rejoindre peu à peu le monde des rêves...
18h00. Ce soir, je fais une brandade de morue. J'espère que j'ai du citron. J'avais tout prévu hier en allant faire mes courses, mais je n'ai pas pensé au citron...
Pourvu que j'en ai...
C'est bon une bonne brandade de morue, préparée maison...