Compris dans le paysage, de Georges Guillain (par Sylvie Durbec)

Par Florence Trocmé

 Dès le livre en main, plusieurs singularités : la couverture et à l’ouverture, les deux citations, l’une de Bob Sheppard, et l’autre de Vassili Grossman. L’une met l’accent sur la beauté d’un paysage et l’autre évoque le mot figures pour désigner les corps humains, « 100 figures, 200 figures ». La première citation se termine ainsi : « Mais c’est devant qu’il faut regarder. » Et puis il y a l’italique qui est utilisé dans tout le recueil, depuis les citations jusqu’à la coda. Le titre, les mots de Sheppard, la fermeture éclair sur le dessin nous rapprochent d’un lieu, perdu dans le « …moutonnement des Vosges », le camp de concentration du Struthof, nom que je ne découvre écrit qu’après avoir lu tous les textes, puisqu’il figure à la page 10, soit juste avant les citations. Nom d’un lieu perdu, à retrouver, à tenter d’apercevoir. Il n’est pas anodin que je ne l’aie pas vu. 
Voir, il s’agit donc de voir. Des jardins. 
il y aurait des jardins des fleurs des papillons des murs les gestes 
d’autrefois le bleu des fours des torchons épaissis de pâte les noms 
 
La beauté et les figures. Beauté d’un paysage. 
Mais Georges Guillain parle aussi une langue où la faiblesse des mots s’inscrit contre ce qui se voit et qui cache ce qui a été là. 
l’écrire 
pour me souvenir  
 
Voir, c’est aussi passer à travers le vert/le rouge/tout le mûri/, pour ceux qui n’ont pas fait partie des figures et qui ont à mener une vie, leur vie : 
une vie ordinaire sans rien 
sans souvenirs immondes sans 
grincements de dents 
C’est de cette vie-là que part celui qui écrit devant ce paysage rempli d’absence et devant cette couleur devenue majuscule : 
oui 
ROUGE 
je l’écris 
cherche les mots/hésite après 
dans les failles 
ce qu’on entend/du Rouge/ici 
les lettres le détachent/un bloc dont se fissure la présence entre 
les maisons bien assises sur la place qu’on traversait encore  
ingénument le soir/ 
leur toit/ROUGE/et/ 
le saisissement de se voir/ 
là/dans le tremblement/l’effarement/ 
de la phrase 
(…) 
 
Alors Georges Guillain invente une ponctuation, un rythme qui parle d’un lent retour, d’une montée vers une hauteur prête à disparaître. Tout en avançant sur cette route,  
doutant de tout 
ce que pauvrement (je)
il possède 
il égrène des cailloux d’ombre et la page ressemble à un ciel brûlé d’étoiles. Les figures deviennent présences et les fleurs elles-mêmes se peuplent de mots hésitants à leur redonner poids.  
Jusqu’ à cette fin d’été qui conduit à l’automne et au froid du camp : 
figure humaine au bois fendu comme les fentes des persiennes 
un mur 
de bois de haches dans le froid 
où pousse aussi ton corps déjà l’hiver dans la forêt qui dure 
(…) 
Les figures sont des corps et ce sont eux qui nourrissent la terre : 
cette 
misère d’eux 
balayée ramassée 
(…) 
 
La CODA nous rappelle aux couleurs, au linge, aux pommes, au pré, à ce qui bouge : 
simples vols d’oiseaux surpris qui 
disparaissent agitent un peu 
la haie 
Et le poète écritle mot caché sous celui de figures / morts/ et à son tour il est compris dans le paysage : 
et tant pis 
si toujours la pression de la vie s’obstine s’exténue  
à déformer le monde en rythmes un peu bancals 
traçant à sa manière un chant dont on peut dire qu’il éclaire ce qui n’a pas de lumière. 
par Sylvie Durbec 
 
Georges Guillain 
Compris dans le paysage,  
Editions Potentille, 2010- 7 €