Où va se terrer la lumière, de Mary-Laure Zoss (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

 C’est un admirable livre court, qui a raison d’être bref : 50 pages. Je ne sais pas si une telle tension de langue aurait pu être tenue sur 80 ou 100 pages sans rupture nécessaire pour le lecteur. Car même si le livre est en deux parties, il est en continu dans le dispositif d’écriture : pages en proses ponctuées mais sans majuscules ni point final. 
C’est une écriture dure, très maîtrisée, qui travaille sur un deuil illisible : on peut y voir aussi bien une rupture familiale, la déportation, les émigrants illégaux, des ouvriers misérables dans une mine de plâtre… Bref la mise en mots d’une violence personnelle ou historique incarnée par la séparation entre « nous » et « vous ». 
« sur le seuil du jour s’espacent les lampes devant les entrepôts, si l’on peut rattraper, au fond de l’absence qui déborde la phrase, quelque chose comme le rudiment d’une parole terrée vers sa racine, dites-le nous, et jusqu’où céder, quand on respire avec un torchon dans les mots, comment on revient à soi, le regard limé jusqu’à l’usure, pour s’attabler devant le silence ; » (p.8) 
« qu’est-ce qui nous empêche de vous rejoindre, vous, nos frères qui êtes bien là, debout, mots ballants devant la boîte d’esquilles, les miettes grises des morts qu’il faut bien répandre maintenant, malgré vos épaules qui ne tiennent presque pas ? »(p.16) 
Poèmes fermés sur eux-mêmes et ouverts par leur continuité dans le livre, comme une sorte de monologue lyrique sombre ponctué d’interrogations sans réponses. C’est une vraie rythmique de prose, puissante, presque théâtrale. En ce sens, ce n’est sans doute pas un hasard que Novarina soit en exergue de la 2e partie du livre. 
C’est aussi une écriture saturée d’images mais elles sont comme fondues dans le paysage au point que dehors et dedans se confondent dans une grisaille, un brouillard très particulier parce qu’il ne cherche pas à « faire poétique ». 
« pour seul abri ce matin-là, une nappe de brouillard, le froid tire sur les maïs sa fibre blanche, on aimerait descendre dans une durée, plutôt que longer ces coulisses, ces champs de berces ou d’oseille montée en graine, quand on veut débarder des paquets d’absence, pas d’autre espace que l’herbe et le goudron fissuré d’un quai ; on a failli se rattraper soi-même, une seconde, mais chaque instant qui sépare mure un peu plus l’espace devant. » (p.5) 
C’est unbeau livre dans son risque d’un lyrisme très singulier où la séparation entre le personnel et le collectif est très peu distincte. C’est entrer dans un monde fantomatique où à la fois tout est là et rien n’est stable. 
par Antoine Emaz 
 
Mary-Laure Zoss 
où va se terrer la lumière  
Cheyne Éditeur, 15 €