Interview : Paul Otchakovsky-Laurens face au livre numérique.

Par Manus

 Interview : Paul Otchakovsky-Laurens face au livre numérique.

“Je suis pour l’édition papier d’abord, et l’édition numérique ensuite. “

  

Directeur littéraire des éditions P.O.L,, c’est avec une courtoisie inattendue que Paul Otchakovsky-Laurens a accepté de répondre aux questions suivantes.

A l’heure où  prime la communication, il me paraissait intéressant de sonder le regard de cet éditeur sur le monde de l’édition, confronté au Net. 

1. Savina : Pensez-vous que sur le long terme, le livre numérique puisse supplanter le livre papier ?

P.O.L : Non, je ne pense pas, le livre papier a un certain nombre de spécificités qui le rendent indispensable. Pas besoin de le recharger, pour commencer, et il n’est connecté à rien. Ce qui en fait, quand on y réfléchit, un instrument extrêmement subversif, cela peut toujours servir. Et le mode de lecture qu’il induit est irremplaçable. Il a une densité matérielle qui concrétise le passé et le futur de la lecture et donne à celle-ci une épaisseur. Il permet un feuilletage beaucoup plus intuitif que celui du livre électronique laissant une belle place au hasard. Mais le livre électronique a bien sûr des quantités d’avantages aussi. Je m’en sers par exemple pour lire et annoter les textes des auteurs de la maison, en voyage, en vacances, dans le métro, sans avoir à porter des valises de manuscrits – mais cela ne concerne que les auteurs que je publie. Et j’ai pour l’instant acheté très peu de livres en téléchargement (cela se compte sur les doigts d’une seule main).Pour répondre plus précisément à votre question : il me semble que les deux supports vont longtemps coexister. Il n’est pas impossible qu’un jour le livre électronique prenne le pas sur le livre papier mais, personnellement je ne le crois pas, ni ne le souhaite et je n’imagine pas le livre papier disparaître complètement.

2. Savina : Cette mode des livres mis en ligne, où finalement n’importe quel auteur/internaute est publié, ne comporte-t-elle pas un risque de baisser l’exigence littéraire chez l’internaute, et par effet ricochet, dans le milieu de l’édition ? (ou l’inverse)

P.O.L : Oui, c’est le compte d’auteur d’autant plus généralisé qu’il n’est pas coûteux. Mais la multiplication des publications contient en elle-même ses limites, la pléthore réengendre l’anonymat et l’impossibilité de distinguer, d’élire. Cela étant, je pense que peu à peu une « hiérarchie » se créera d’elle-même, on distingue déjà parmi les blogs, parmi les sites littéraires et critiques, ceux qui présentent un intérêt et ceux qui n’en ont pas.

3. Savina :  Aujourd’hui la nouvelle génération ne fonctionne pratiquement plus qu’au Net, par ailleurs la technologie avance à un rythme effrayant.  L’iPad7 sortira bientôt, et permettra de lire de manière plus appropriée les livres électroniques.  Quel regard portez-vous sur cette avancée ?  Est-elle une menace pour le monde de l’édition, des libraires ?

P.O.L :  Je ne le pense pas, en tout cas pour le monde de l’édition. Il y aura toujours besoin d’éditeurs pour choisir, et “éditer” (travailler avec les auteurs). Nous sommes par ailleurs tous, ou presque tous, en train de numériser nos fonds et de les mettre à la disposition du public sur des sites dédiés. Mais pour certains d’entre nous (par exemple ceux qui alimentent la plate-forme Eden) nous le faisons en relation étroite avec les libraires qui ont eux aussi adhéré à cette plate-forme. Les achats passent par eux et ils perçoivent une commission comme dans le secteur traditionnel : c’est une des solutions possibles, il y en a d’autres (par exemple les bornes dans les librairies, les sites libraires, etc.). Mais l’inquiétude que vous manifestez ne se justifie que si le numérique remplace totalement le papier, et cela je n’y crois pas, comme je l’ai dit plus haut, même à moyen terme. 

4. Savina : Au compte-goutte, de petites maisons d’édition mettent en place la mise en ligne de manuscrits, en vue de les publier en livre papier.  Cela peut-il être la nouvelle ère de l’édition ?

P.O.L : C’est une des multiples possibilités qu’offre le numérique, mais c’en est une parmi d’autres. Personnellement je suis pour l’édition papier d’abord, et l’édition numérique ensuite. 

5. Savina : Sur le site “librairie immateriel.fr” les livres des éditions P.O.L sont téléchargeables à prix intéressants.   Cette fonction est-elle réellement un “plus” pour le chiffre d’affaire de la maison d’édition ?    Etes-vous en phase avec ce concept ?

P.O.L : Le tarif y est celui qu’on trouve sur la plate-forme Eden avec laquelle ce site, librairie numérique, est en relation (soit une réduction, pour le format e-pub, de l’ordre de 17% ce qui est dans la norme). Pour l’instant le chiffre d’affaire des téléchargements, pour ce site comme pour les autres, n’est pas significatif. Il est cependant en progression. D’une manière générale, je suis en phase avec tout ce qui peut contribuer à la diffusion des livres que je publie – et des autres. Mais dans le respect des équilibres de la chaîne et notamment des accords que nous avons avec  les libraires papier. 

6. Savina : Avec l’ebook (et le Net) sommes-nous engagés vers une nouvelle littérature ?  Celle des phrases courtes, à l’expression issue de la rue, au langage des blogs, aux mots raccourcis (langage texto etc.) ?  

 P.O.L : Il se peut qu’à terme il y ait des incidences du genre de celles que vous citez. Je ne sais pas, peut-être. Chaque écriture, chaque type d’écriture suscite les critères qui serviront à l’apprécier : Je n’ai encore rien lu de convaincant dans cette tonalité ou ce registre. Mais pourquoi pas.

7. Savina : un dernier mot pour les lecteurs de ce blog ?

P.O.L : Je leur conseille de suivre ce lien. La vidéo est en espagnol mais elle est très compréhensible!

 http://www.youtube.com/v/iwPj0qgvfIs?f=videos&c=ytapi-iLikeInc-iLike-1493oebb-0&d=AbzsdEu9A2kwQxMBPfYLdoQO88HsQjpE1a8d1GxQnGDm&app=youtube_gdata

Savina : Merci beaucoup d’avoir spontanément répondu par l’affirmative à cette interview.

Savina de Jamblinne.