"Lust Caution" (amour, luxure, trahison) : la fleur de Shangai

Par Vierasouto


22 - 12
2007
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Dans le salon d’une maison bourgeoise du quartier résidentiel anglophone de Nanjing road, quatre ravissantes dames, chics et sophistiquées, font une partie de Mah-jong. L’une d’elle, Madame Mak, prétexte soudain une course urgente et quitte brusquement  le jeu. Elle gagne fébrilement un café à la limite du quartier populaire chinois et téléphone à un homme où l’on comprend qu’elle donne le top départ d’une opération commando. En 1942, une grande partie de la Chine est envahie par le Japon. Dans un Shangai cosmopolite, capitale économique de la Chine, où se sont réfugiés des immigrés et des chinois d’autres régions, on trouve pas moins de six langues parlées dont le Shangaiais, le Cantonais, le Mandarin, l’anglais, le japonais, l’arabe.

 

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Quatre ans auparavant, sous le nom de Wong Chia Chi, Madame Mak était une jeune étudiante partie  s’installer à Hong Kong qui sera occupé bien plus tard par les Japonais  (en 1941). A l’occasion d’un cours de théâtre à l’université, Wong se lie à un groupe d’étudiants menés par le beau Kuang Yu Min. Le groupe très politisé entraîne la jeune Wong avec eux dans la résistance avec le projet d’assassiner Mr Yee, un chef des services secrets du gouvernement nationaliste chinois (type Pétain)*** qui collabore avec les Japonais. Car Wong a une qualité propre à servir leur grand projet : son talent d’actrice pour séduire Mr Yee en se faisant passer pour une épouse délaissée par son mari, Madame Mak. Mais le ménage Yee retourne précipitamment à Shangaï, faisant échouer le projet…
En 1941, soit, trois ans plus tard, Hong Kong envahi à son tour, Wong Chia Chi retourne alors à Shangai où elle vit quelques temps chez sa tante jusqu’à ce que le beau Kuang Yu Min la retrouve, devenu un des chefs de la résistance, et lui demande de reprendre l’opération contre Mr Yee.
***(après des années de guerre entre les nationalistes et les communistes, la république populaire de Chine sera proclamée en 1949.)

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Dès le départ, les relations entre Wong/Madame Mak et Mr Yee vont être nettement plus passionnelles que prévu. Dans la première partie du film, bien avant les quelques scènes sexuelles extrêmement visuelles et explicites de la seconde partie du film (rarement vues au cinéma à ce degré et surtout des scènes aussi longues ne faisant pas impasse sur la violence de la sexualité), une électricité à haute tension passe entre les deux personnages. La visite à Hong Kong de Mr Yee chez le tailleur de Madame Mak qu’il accompagne est un sommet de tension érotique, comme elle essaye une robe dans une cabine en commentant qu’elle la trouve un peu serrée, sur le point de se changer, Mr Yee, assis sur un tabouret de la boutique, submergé par un désir violent, assène un rauque "gardez-là !"
Le personnage de Wong est émouvant à plus d’un titre Depuis le début du récit, Wong attend que son père veuf l’appelle le rejoindre à Londres où il a emmené son frère, tout le long du film, Wong feint de croire à ces possibles retrouvailles. On la voit écrire une lettre de félicitations à son père qui annonce son remariage. Attirée par Kuang qui, le nez sur le guidon de la politique, ne la voit pas, elle va se réfugier dans une mission palliant le vide de son existence. Aspirante actrice à l’université, férue de cinéma (Weng va voir "Soupçons" dans une salle de cinéma), Weng n’aura finalement que ce seul rôle, le rôle de sa vie, celui de Madame Mak.
Comme l’a dit le scénariste, pour incarner l’héroïne, il fallait trouver une jeune femme talentueuse et courageuse, capable émotionnellement de supporter le poids du rôle, un peu comme Maria Schneider dans "Le Dernier tango à Paris". Car les relations entre Madame Mak/Wong et Mr Yee ont une parenté avec celles de Maria Schneider et Marlon Brando… Persuadé d’être un monstre capable de dénoncer sa famille pour son travail, spécialisé dans les interrogatoires avec tortures, Mr Yee va humilier physiquement Wong qui va en retour se donner entièrement à lui, presque innocemment, au delà de ses espérances. Marché de dupes où Mr Yee se croit protégé par son incapacité à aimer et Weng possède l’alibi de se donner à lui pour servir le réseau de résistance. Wong a une très jolie phrase en disant au chef de la résistance que pour la démasquer, Mr Yee voudra un jour pénétrer aussi son cœur et pas seulement son corps. Et ce qui fera craquer la carapace de Wong et Mr Yee, s’avouer in extremis et tacitement leur amour, n’est pas le sexe si torride soit-il entre eux mais un épisode d’un romantisme absolu où l’un des deux n’en réchappera pas et tous les deux le savent. J’en ai la larme à l’œil de le raconter…

 


Car tout est sublime dans ce film, osons le mot ! Dès la première image, on est immergé dans la beauté pure des images, l’ambiance du Shangai des années 40, plus tard, l’insouciance de Hong Kong libre (lumières plus claires, plus transparentes), puis, la pauvreté extrême de l'exode, de l’occupation, la reconstitution est impressionnante. Film noir, film politique, film rouge passion, histoire d'amour universelle, c’est le genre de film rarissime avec la qualité du film d’auteur au service du grand public, la haute couture pour un film promis à un carton commercial presque malgré lui ! Pour les coquettes, les tenues des dames dont celles de Madame Mak et Madame Yee sont à tomber, le satin des robes à col montant, les talons hauts, les grandes pochettes sous le bras, la démarche semi-ondulante, les ongles carminés pour jouer au mah-jong, les lèvres rouge baiser, les petits chapeaux soulignant le regard, un enchantement de plus… Dans le rôle de Weng, une bouleversante inconnue (Tang Wei) qui ne devrait pas le rester, dans celui de Mr Yee, un Tony Leung assez génial dans un emploi de méchant, enfin, pour interpréter le beau Kuang, Ang Lee a engagé Wang Leehom, une star de la musique pop en Asie.
Je le dis en toute sincérité, en sortant de la salle, j’ai regardé ma montre et le film avait duré 2h40 sans que je m’en rende compte… J’avais également complètement oublié que ce film a obtenu le Lion d’or à Venise cette année et tant mieux, ça m’aurait sans doute influencée avec une volonté inconsciente de chercher le génie, du pitch, je ne savais rien non plus, voilà les conditions idéales pour essayer d’avoir une idée perso sur un film…  Je me demande bien quel défaut on pourra trouver à ce film, sauf peut-être l’ultime fin un petit peu expédiée par rapport au reste, qu’on aurait sans doute pu améliorer dans le scénario mais on chipote… Le film est tiré d’une nouvelle d’une romancière très célèbre en Chine "Lust caution, amour, luxure, trahison" d’Eileen Chang (existe traduit en français aux éditions Laffont).
  affiche chinoise

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