Zombi - Joyce Carol Oates

Par Woland

Zombie Traduction : Claude Seban

Extraits

Personnages

Roman relativement court puisqu'il ne dépasse pas les cent-quatre-vingt-quatre pages en édition du Livre de Poche, "Zombi" possède le froid et l'impitoyable tranchant d'un couteau de boucher. Je ne dirai pas "scalpel" puisque Oates limite son intrigue au premier meurtre, demeuré impuni parce que non découvert, de son anti-héros, Q ... P ..., et que celui-ci, en dépit d'une préméditation que le lecteur découvre avec une horreur croissante, en est encore à tâtonner pas mal sur la voie du crime en série.

C'est donc un serial killer non pas néophyte mais encore en phase de "formation" que nous décrit la romancière. Les brouillards de son esprit et de son âme sont d'autant plus impénétrables que Q ... P ... est et restera notre seule "voix" de référence. Tient-il un journal ou ne s'agit-il que de ses pensées auxquelles Oates, par l'autorité de l'écrivain, nous donne accès sans autre forme de procès ? On ne le sait pas mais le résultat fascine autant qu'il angoisse.

Non sur l'instant - enfin, certainement pas pour celles et ceux qui s'intéressent au phénomène des tueurs en série et ont déjà lu des ouvrages, documentaires ou pas, sur le sujet - mais une fois le livre refermé et rangé. En effet, "Zombi" ne connaît pas l'espoir.

Q ... P ... n'est pas mauvais, au sens où l'entendent la plupart des religions et le commun des mortels, non, il est simplement fait comme ça : tel un enfant de six ans qui souhaite désespérément qu'on lui offre un jouet bien précis, notre anti-héros veut se procurer une sorte d'esclave lobotomisé qui lui obéirait sans états d'âme. Viscéralement incapable de songer à la douleur infligée par son délire aux uns et aux autres, il ne songe qu'au meilleur moyen d'obtenir ce qu'il désire. Non, répétons-le, il n'est pas mauvais : il n'a aucune notion du Bien, ni du Mal, c'est tout, et à peine celle de l'Interdit, un interdit qu'il ne comprend pas du tout et qu'il cherche simplement à contourner.

Pourtant, il est loin d'être idiot et sait très bien calculer et prévoir, mais toujours en fonction de ce que ces prévisions peuvent lui rapporter - ou lui éviter de fâcheux. Sinon, c'est le néant. Claquemuré dans un monde que les psys peinent à saisir, il avoue lui-même, avec une innocence étrange, ne pas avoir de rêves.

Sur son passé, Oates nous donne le minimum de détails : un père à la carrière de chercheur et d'universitaire exemplaire, une mère attentionnée, une soeur aînée brillante et une grand-mère aimante. "Un peu trop de femmes," entonnera certainement le choeur des psys. Sans aucun doute mais cela n'explique en rien l'abîme qui dort en Q ... P ...

Raffinement suprême, Oates pousse le sadisme envers son lecteur jusqu'à lui instiller goutte à goutte la certitude que, au-delà l'apaisement de ses désirs sexuels, Q ... P ... recherche en l'acte de tuer quelque chose qui nous dépasse tous, lui y compris, et dont il nous est impossible de nous faire une idée claire.

C'est en cela que "Zombi" est terrifiant, d'autant qu'il se termine sur la vision d'un Q ... P ... pour qui le meurtre va devenir une routine. En d'autres termes, le pire est à venir et Joyce Carol Oates vous laisse l'imaginer à loisir.

Du grand art. ;o)