Fin de soirée (Michel Houellebecq)

Par Arbrealettres


En fin de soirée, la montée de l’écoeurement est un phénomène inévitable.
Il y a une espèce de planning de l’horreur.
Enfin, je ne sais pas; je pense.
L’expansion du vide intérieur.
C’est cela.
Un décollage de tout événement possible.
Comme si vous étiez suspendu dans le vide,
à équidistance de toute action réelle,
par des forces magnétiques d’une puissance monstrueuse.

Ainsi suspendu,
dans l’incapacité de toute prise concrète sur le monde,
la nuit pourra vous sembler longue.
Elle le sera, en effet.
Ce sera, pourtant, une nuit protégée;
mais vous n’apprécierez pas cette protection.
Vous ne l’apprécierez que plus tard,
une fois revenu dans la ville,
une fois revenu dans le jour,
une fois revenu dans le monde.
Vers neuf heures,
le monde aura déjà atteint son plein niveau d’activité.
Il tournera souplement, avec un ronflement léger.
Il vous faudra y prendre part, vous lancer
un peu comme on saute sur le marchepied d’un train
qui s’ébranle pour quitte
Une fois de plus, vous attendrez la nuit -
qui pourtant, une fois de plus,
vous apportera l’épuisement, l’incertitude et l’horreur.

Et cela recommencera ainsi,
tous les jours,
jusqu’à la fin du monde.

(Michel Houellebecq)