Penser autrement les marchés / par Alain Sueur

Publié le 29 août 2010 par Alains

La morosité revient après l’euphorie, selon les saisons, rien de nouveau à cela. Le PIB américain a été révisé en baisse pour le 2nd trimestre, à 1,6% en rythme annuel contre 2,4% évalués en juillet et 3,7% réalisé au 1er trimestre. L’euphorie de début d’année ne pouvait pas se poursuivre, c’eût été ignorer les effets qui n’ont qu’un temps de la baisse massive des taux par la Fed, du plan de relance budgétaire avec prime automobile, du restockage des entreprises, de la baisse du dollar et de l’envol de l’économie chinoise.

Chacun peut constater que les tendances lourdes poursuivent leur chemin : le marché immobilier ne parvient pas à se redresser, le chômage longue durée reste fort, la consommation reste molle en faveur du désendettement et de l’épargne privée, la dette publique est massive. Tout cela va inciter les agences de notation à remettre en cause la notation triple A des grands pays développés si la situation ne s’améliore pas, elles ont prévenu.

Or les outils de stimulation de l’économie aux Etats-Unis ont tous été utilisés : les taux sont au plus bas, la dette publique empêche tout plan de relance supplémentaire et le dollar fluctue en relatif à d’autres devises dont les économies ne sont pas florissantes. Seule la Chine l’est, mais le yuan n’est pas convertible. Ne montent contre dollar que le yen et le franc suisse, pas vraiment des leaders mondiaux de la consommation. Reste la planche à billet, mais au risque de relancer l’inflation future et surtout de décrédibiliser la dette des Etats-Unis aux yeux des investisseurs.

Les Etats-Unis réalisent 20% du PIB mondial et perspectives économiques globales sont moins bonnes s’ils vont mal. La Chine, son challenger, ralentit volontairement son économie en surchauffe par hausse de ses taux, elle répartit ses réserves en devises moins sur le dollar, et cherche à former une zone yuan dans son univers proche. L’Europe est plombée par les dettes des Etats, son chômage élevé et le poids des charges fixes dues aux habitudes d’Etat providence. Seuls les Allemands s’en sortent mieux, plus vertueux sur les déficits, plus industrieux, ayant contenu les charges des entreprises depuis une décennie et favorisé l’innovation et le processus de qualité pour être compétitifs.

Les marchés boursiers enflent comme d’habitude tout écho qui leur parvient de l’économie réelle. Après une euphorie suspecte en début d’année, portée par le rebond net du PIB américain (traditionnel au premier trimestre), voici qu’ils sombrent dans le pessimisme le plus noir à l’automne (traditionnel en octobre). Sans plus de raison. L’investisseur boursier se gardera du tempérament cyclothymique propre aux traders (et aux médias), car son intérêt n’est pas dans l’hystérie (qui crée des mouvements, donc des écarts profitables et des nouvelles sensationnelles), mais dans la performance sur la durée. Il faudra attendre les publications de résultats des entreprises, fin septembre, puis les nouvelles prévisions budgétaires, en octobre, pour en savoir plus. A ce moment habituel – début novembre – les marchés pourront peut-être se ressaisir si les nouvelles sont encourageantes, ou précipiter une chute si elles vont dans le sens noir.


Nous l’avons dit et écrit depuis des mois, une crise comme celle de 2007 ne se résout pas en quelques mois. Nous ne sommes pas dans la situation du faux « krach » de 1987 où les boursiers se sont fait peur en voyant les taux monter, puis sont redevenus euphoriques dès les baisses de taux quatre mois plus tard. Nous sommes dans une véritable crise de système analogue à celle des années 1930. Il ne faut pas moins d’une décennie pour en sortir, non sans changement de modèle économique ni sans remise en cause du pouvoir mondial.

Le scénario le plus probable pour les prochains mois est donc celui d’une croissance molle, contrainte par le chômage et les dettes d’Etats, en Europe comme aux Etats-Unis.

Nul moyen de s’en sortir sans changer les paramètres de l’Etat providence qui prélève trop et surtout sur la production (travail, innovation, entreprise), fonctionne mal (faute d’audit de ses missions et de son organisation) et reste porté par une inertie politique dommageable (le parlementarisme a été vilipendé dans les années 1930 pour cette raison). Mais les organisations politiques ne sont pas les seules responsables de la crise (encore qu’elles n’aient rien contrôlé, se fiant à des lois sans vérifier ni leur bien-fondé, ni leur application réelle). Nous ne sacrifions pas à la mode dérégulatrice de l’idéologie libertarienne pour laquelle l’Etat est toujours l’ennemi. Fernand Braudel a montré dans l’histoire combien un capitalisme efficace exigeait un Etat organisé et régulateur qui permette la sécurité du négoce et atténue les cycles sur les ménages. Mais il est nécessaire de remettre en cause profondément le keynésianisme routinier des Etats européens depuis 1945. La relance publique ne produit pas par elle-même de la croissance, sinon cela se saurait, surtout en France où le déficit public est permanent depuis une trentaine d’années sans connaître le succès de l’Allemagne. Seul l’investissement public industriel ciblé est efficace, or les dépenses de fonctionnement engloutissent une part majoritaire du budget, au détriment des dépenses d’investissement. Les filets sociaux de redistribution sont des amortisseurs efficaces de crise – et ce n’est pas rien – mais ils ne créent ni emplois ni innovation. Il y a donc une fiscalité à revoir et des interventions d’Etat à cibler autrement pour s’adapter enfin au siècle qui est le nôtre, sans ressasser les recettes des années 1950. Il y a surtout l’Europe à approfondir pour en faire une zone de niveau mondial apte à assurer ses intérêts.

Nul moyen de s’en sortir sans changer de modèle économique, car le capitalisme anglo-saxon orienté vers le tout financier et vers le productivisme à tout crin a clairement fait faillite. Il est nécessaire de changer de croissance. Elle devra devenir plus durable, plus globale (intégrant l’appétit chinois, indien, brésilien et autres pour les ressources, tenant compte des avancées salariales, sociales et de consommation de ces émergents), plus soucieuse d’économiser les ressources et d’optimiser les moyens de production rares (matières premières, brevets, savoir-faire et spécialistes), plus préoccupée du besoin final du client que du rendement aux actionnaires.

Cette révolution économique, technique, politique, géopolitique et mentale prend du temps. Elle s’effectue en général sur une génération. Le nouveau cycle haussier Kondratiev ne pourra décoller qu’au prix de ce changement de perspectives.

Le souci neuf de préserver les ressources et l’obligation mondiale de les partager est en train de donner aux matières premières le statut d’actif patrimonial à part entière. Les actifs réels sont toujours les placements préférés en cas de crise. Ils repartent en premier lors du rebond du cycle. Il faut donc assurer aux matières premières (or, énergie, métaux, produits agricoles) une place à côté des actions, des obligations et de l’immobilier dans les portefeuilles. Sous la forme d’actions de ces secteurs peut-être, mais surtout en direct via des contrats futures, des trackers, des turbos ou des fonds de gestion alternative spécialisés.

Naviguer sur les flots en crise exige de penser autrement !