Des photos orphelines et sans histoire

Par Photogestion @photogestion
Réponse à une contribution sur viadéo, hub Photographie lire Merci beaucoup pour votre contribution. Cela m’incite à développer l’idée initiale. NUMERIQUE ET ALORS? Les techniques numériques n’y peuvent rien, notre monde est abreuvé d’images depuis fort longtemps. La diffusion en revanche accélère cette évolution. De toute manière, s’il ne fallait compter que la production professionnelle, nous serions déjà noyés! La concurrence est rude tout simplement. Depuis un siècle, la promotion de l’image photographique a été faite par le grand public autant que par les professionnelles. Les « ennuis » ont commencé lorsque des Jacques Henri Lartigue se sont fait offrir leur première chambre, puis d’autres boîtiers et caméras. Vous savez, ces photographes amateurs… Les années 60 & 70 ont fait littéralement exploser la production du grand public. Les appareils compacts Instamatic popularisés par Kodak ont accéléré ce phénomène. Des dieux de la création audiovisuelle et de la vulgarisation également chez Kodak avec Jean Lamouret, Serge Fitz, les clubs amateurs, Chelles, CFC Vincennes… ont contribué à la valorisation et à l’explosion de la production de ce type d’images. Concours d’été, prêts d’appareils aux vacanciers, réunions de production le soir, editing express, réalisations fulgurantes et projection en fondues enchaînés sur trois écrans géants, portraits, dance, famille, sourires d’enfants, symphonies de couchés de soleil sur musique d’orgues, projections devant des foules enthousiastes [1]. Des millions d’images ont été ainsi produites et admirées par des amateurs. La FNAC avec son concours photo dans les années 70, des dizaines de milliers d’images archivées à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris; il serait intéressant d’analyser la qualité « amateur » de ce fonds. Albert Plécy bâtisseur génial de monuments et d’événements d’images, avec sa « Grammaire de l’image », ces visions futuristes qu’il a tenté de mettre en pratique contre vents et marées. Murs d’images, « Bestiaire 2000″ aux jardins des Tuilleries, Thoiry, création des « Gens d’images », les « Cathédrales d’images » aux Baux-de-Provence… Tout ceci s’étant achevé tragiquement en 1977, comme quoi la haine de l’intrus, de l’étranger à sa région, la haine de l’amateur, qu’il n’était évidemment pas. Mais je m’égare. Nous avons tous, peu ou prou participer à la vulgarisation de l’image et à l’explosion de la production. Evidemment, il s’agit de notre microcosme, il s’agirait de développer le sujet sur un plan international. Aujourd’hui l’image est évidence, captation, prolongement du corps ; l’auteur doit créer différemment. VOLUMETRIE ET CONCURRENCE ? Le problème ne vient pas de la volumétrie de la production, mais du développement des moyens d’archivage et de diffusion. Depuis fort longtemps, comme l’expliquait Philippe Pons [2], une image créée sur commande et publiée, venait ensuite par la volonté du photographe lui-même enrichir les fonds d’agences d’illustration. Une image, œuvre vivante chargée d’histoire, émanation de l’auteur, devenait une empreinte anonyme mise à la disposition du plus grand nombre. Une représentation intrinsèque en lieu et place d’une œuvre de commande riche d’une légitimité et d’une histoire. C’est un processus normal dans le cadre de la « thésaurisation » de l’image pour le plus grand bonheur des éditeurs et des photographes eux-mêmes. La constitution d’une photothèque génère ces phénomènes d’assèchement ; fonds d’agences ou d’entreprises compris. Seul l’indexation garantit la prolongation de l’histoire et la réelle signification de la photographie. Ne pas dévoyer la compréhension de l’œuvre, beau sujet à développer. C’est un ancien débat, réactivé en son temps par Libération, l’agence Vu et Christian Caujolle. LIBRE DE DROIT ET ALORS? Pour ce qui est du « libre de droit », ne mélangeons pas tous les aspects de l’économie de l’image. Ce statut n’exclut pas le photographe qui a accepté de commercialiser d’une manière différente souvent complémentaire. Il s’agit d’un accord forfaitaire en volume. Rien d’excitant, mais chacun cherche à conserver un certain chiffre d’affaire. Les plus grands ont alimenté ces photothèques d’illustration [3]. Les facilités de diffusion en revanche ont fait exploser ce modèle économique au risque d’écraser littéralement la création (sujet initial de cet article. Voir également « Photographie et papier peint » [4]. PROLONGER SON TRAVAIL D’AUTEUR J’ai découvert par hasard sur une réflexion à propos de mon livre [5] sur le site de Photographie.com. « Vous ne devriez pas publier cet auteur, car il parle des microstocks » [6]. Autrement dit l’artiste (Laurent Ferrière) réclamait l’embargo par ce que j’avais tenté de faire le point sur l’existant. Peut-être vaut-il mieux faire l’autruche. L’article initial tentait donc de promouvoir une action de publication d’œuvres remises dans leur contexte et surtout en proposant des scénarios d’exploration propres à exciter la curiosité des acheteurs. Ceci est lié également aux interfaces utilisateurs des photothèques souvent d’une affligeante banalité : recherches par thèmes, couleur, visage, texture, etc. Pour conclure, il y a deux phénomènes à combattre : - L’insuffisante utilisation par les photographes professionnels des moyens de diffusion. Il faut diffuser des œuvres indexées et scénarisées. Il faut produire, mais prolonger son travail de créateur d’images par celui de compteur, c’est une nouvelle corde indispensable à notre arc! Didier de Faÿs propose judicieusement des POM ! Il s’agit de créer des Petites Œuvres Multimédias. - Les fichiers doivent être enrichis de métadonnées. Cela me laisse perplexe de constater que les auteurs continuent à diffuser des fichiers « vides » et anonymes, sans copyright et surtout sans moyen d’être contacté par d’éventuels donneurs d’ordres. Et puis, cessons ce dénigrement systématique des productions d’amateurs et leur grande diffusion; laissons se poursuivre une progression mondiale que nous ne pouvons pas endiguer. [1] J’ai vu Jean Lamouret diriger son équipe de projectionnistes en directe un soir, il avait l’autorité et l’élégance de Zubin Mehta. [2] Un grand photographe du monde de l’industrie des années 60-90 [3] Je me suis laissé dire que Yann Arthus-Bertrand lui-même n’avait pas négligé ce mode de diffusion. [4] http://www.photogestion.com/blog/?p=1072 [5] http://www.photogestion.com/livre_presentation.html [6] http://atelier.photographie.com/2010/03/24/etre-pro-aujourdhui/comment-page-1/

Daniel Hennemand, v1.1