Sécurité et liberté

Publié le 03 septembre 2010 par Copeau @Contrepoints

Le débat sur la politique « sécuritaire » bat son plein. Il a incontestablement une dimension partisane et électoraliste qui n'échappe à personne. Notre intention ici n'est pas de nous interroger sur les initiatives du candidat Sarkozy ni sur les indignations de la gauche.

En fait, le discours de Grenoble s'inscrit dans une vague sécuritaire qui déferle sans doute depuis septembre 2001, quand le monde civilisé a découvert la barbarie, le terrorisme et le fanatisme. La crise financière et économique a renforcé l'idée que les Etats doivent protéger les peuples contre les excès du marché et du capitalisme. L'offensive écologique a persuadé les gens qu'il fallait organiser un développement durable de nature à sauver la planète. Enfin et non le moindre, l'émergence et le succès d'un islamisme extrême ont créé une fièvre obsidionale : l'Occident chrétien assiégé par le « choc des civilisations ».

Bien évidemment, il serait stupide de nier l'existence et l'importance de ces menaces, même si elles ont été amplifiées par des marchands de peur désireux de vendre leur potion magique. Mais il arrive un moment où le prix à payer pour assurer la sécurité politique, économique, écologique, devient très élevé en termes de libertés individuelles. Peu à peu la réponse aux menaces fait courir une menace encore plus grande : celle d'un totalitarisme subtil mais fatal.

Actuelle, la question n'en est pas pour autant récente. Hobbes avait parfaitement décrit les dangers du « Léviathan » : les individus confient à l'Etat le soin d'assurer leur protection et de garantir leurs droits personnels, mais une fois l'Etat investi du monopole de la violence il se transforme en monstre dévoreur des libertés individuelles. Quis custodiet ipsos custodes ? On peut s'inquiéter du réveil du monstre, en hibernation pendant les vingt dernières années du XXème siècle après la chute du mur de Berlin.

Quelle liberté ?

La complexité des liens entre sécurité et liberté vient d'une ambiguïté fondamentale sur le contenu des deux concepts. Et d'abord : toute liberté est-elle à protéger ? La liberté est-elle une valeur absolue ?

Certains libertaires assimilent liberté et indépendance, la volonté individuelle étant maîtresse et autorisant le libre choix en toutes matières. Ce point de vue semble extrême, tant il est évident qu'un individu ne peut vivre à sa guise, sans tenir compte des autres, et de leur liberté. Mais on le rencontre à propos de problèmes comme l'avortement, l'euthanasie, quand on invoque la liberté de disposer de soi-même, fût-ce aux dépens de la vie d'un autre.

La tradition libérale classique retient au contraire que si la liberté est un attribut incontestable de l'être humain, et lui assure le moyen de son épanouissement, se mettant ainsi au service de sa dignité, elle est nécessairement ordonnée à cette dignité et a donc pour limite le respect de la personne. « Liberté des actes, dignité des personnes » disait Jean Paul II. Restreindre la liberté de nuire aux autres n'est donc pas en soi contraire aux droits individuels. La loi naturelle et une bonne éducation devraient prévenir contre les débordements nés de l'imperfection et de la faillibilité de l'être humain. Mais, à défaut de mieux, la peur du gendarme et du juge est un adjuvant éprouvé dans les pays civilisés où règne l'état de droit.

Quelle sécurité ?

Mais il peut se faire que le gendarme ou le juge, ou ceux qui les nomment et les dirigent, en fassent un peu trop. Quelle sécurité doit-on attendre de l'Etat ? Au prétexte de garantir une meilleure vie aux citoyens, les gouvernements se prennent pour la Providence. Ils veulent offrir toutes les sécurités pensables, correspondant à tous les risques de l'existence. Ainsi vont-ils assurer la sécurité de l'emploi, du revenu, vont-ils garantir le logement, la santé, la retraite, vont-ils gérer la sécurité routière, alimentaire, sanitaire, etc. Ainsi les individus seront-ils sous la dépendance et le contrôle des autorités publiques. D'autre part, en surchargeant la barque de l'Etat, il exigera des contributions sans cesse croissantes – aux dépens de la propriété privée. En se dispersant l'Etat sera de moins en moins efficace dans l'exercice de ses fonctions régaliennes (police, justice, défense). Enfin, les individus seront privés de la possibilité d'organiser eux-mêmes la sécurité qui n'est pas « publique » par nature, et qui peut s'obtenir à travers le contrat, la famille, l'association. Est-il nécessaire de recourir à la contrainte, à la violence d'Etat, pour constituer une retraite décente, pour être bien soigné, pour avoir un métier, pour aller à l'école ? Par contraste où est la force publique et quelle est son efficacité quand il s'agit d'assurer la sécurité physique des personnes et de leurs biens ? La politique sécuritaire nous révèle d'une part l'échec de l'Etat, d'autre part son art de masquer cet échec en imaginant de nouvelles intrusions dans la sphère privée.

Article repris de la Nouvelle Lettre avec l'aimable autorisation de Jacques Garello. Image sous licence CC, auteur Rama.