The Horseradish Story: Comment Barks a doté les Ducks d’une conscience

Par Pmspg Disney

La densité d’un personnage de fiction se mesure à la profondeur de ses sentiments, aux tourments auxquels il est soumis, aux doutes dont il est la proie, à sa conscience.

Pour la plupart des gens, les personnages de BD Disney ne peuvent être des personnages profonds. En effet, comment en serait-il ainsi ? Ces personnages ont été créés pour nous faire rire ou sourire et la plupart du temps ce réflexe physique ne provient que de situations cocasses parfois triviales ou tellement farfelues qu’elles sont éloignées de tout ce que nous ressentons en temps qu’être humain.

Les premiers cartoons au cinéma et les gags journaliers paraissant dans les quotidiens du monde entier ont popularisé les héros Disney en tant que gagmen.

Exemple : Gag YD 52-05-20 de Bob Karp et Al Taliaferro du 20 mai 1952

 (strip issu d'un quotidien tunisien non identifié de 1953)

Ce gag, est comique et le lecteur sourit de bon cœur car il ne plaint pas Donald. La probabilité que cette mésaventure arrive dans la vraie vie est faible (d’où l’effet de surprise comique) et par ailleurs le lecteur sait bien que, comme tout héros comique, Donald n’aura pas de séquelles de ses blessures. Le lecteur ne s’identifie donc pas à Donald et reste observateur de la scène qui se déroule devant ses yeux.

Carl Barks, en créant des récits plus longs (contenant parfois plus de 20 pages) a fait passer les Canards du monde du gag à celui de l’aventure. Dès lors, ses héros devaient s‘étoffer un peu pour permettre au lecteur de s’identifier à eux et d’être embarqué avec eux dans leurs aventures. Bref, les héros de Barks devaient réagir davantage comme des humains que comme des toons. En trois mots : avoir une conscience !

On peut trouver plusieurs exemples significatifs mais, à mon avis, l’exemple le plus frappant de la conscience qui anime les personnages de Barks se trouve dans l’histoire Arnach Mc Chicane / The Horseradish Story (W OS 495-02) datant de 1953.

Rappelons brièvement cette histoire : Un escroc, Mc Chicane, a fait reconnaître par un juge que Picsou doit lui remettre toute sa fortune car un des ancêtres du multi-milliardaire, nommé Kenneth Mc Picsou, n’a pas rempli le contrat qui le liait à l’ancêtre de cet escroc : livrer une caisse de raifort en Jamaïque. (On apprendra plus tard que l’ancêtre de Mc Chicane avait saboté le bateau de Kenneth Mc Picsou pour que ce dernier ne puisse pas honorer son contrat). Picsou peut éviter de perdre tout son argent s’il parvient, sous trente jours, à livrer à destination cette fameuse caisse de raifort qui gît à de nombreux mètres sous l’eau, quelque part dans l’océan, dans l’épave du bateau de son ancêtre.

Picsou accompagné de Donald et ses neveux parvient à localiser le bateau, à récupérer la caisse et vogue vers la Jamaïque. Pari gagné ? Pas encore… Mc Chicane essaye de se débarrasser des Canards pour s’emparer de la fortune de Picsou.

(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

Nos héros réchappent de cette attaque en construisant un radeau de fortune et il semble clair, alors, que Picsou n’atteindra jamais la Jamaïque dans le délai imparti et qu’il va perdre toute sa fortune. La colère envahit Picsou.

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

C’est alors que, suite à une bagarre avec son complice, Mc Chicane tombé à l’eau demande secours aux Canards. Quelle attitude adopter ? Lui pardonner et lui tendre la main ? Le laisser mourir, car après tout il a voulu éliminer les Canards ?

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

Donald, lui, ne se pose pas de question. Il fait preuve d’une grandeur d’âme assez peu commune chez les héros comiques car n’écoutant que son bon cœur, il se porte spontanément à son secours. Mais, il ne peut ramener Mc Chicane sur le radeau à lui tout seul. Il demande donc de l’aide à Picsou.

(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

Picsou exprime alors le dilemme qui se présente à lui : s’il sauve Mc Chicane il garde son âme mais perd tout son argent, s’il le laisse mourir, il perd son âme mais sauve sa fortune !

 

(cases issues de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

Quel dilemme plus grand pouvait-il affronter ? En effet la fortune de Picsou c’est à la fois toute sa vie passée et sa raison de vivre actuelle. S’il sauve celui qui s'emparera de sa fortune, il sauve une vie en perdant la sienne. S’il ne le sauve pas, il aura une mort sur la conscience que sa fortune lui rappellera éternellement. Ce dilemme Cornélien assure à l’histoire son pic d’intensité tragique et donne au personnage de Picsou une réelle profondeur. Son hésitation montre que le choix n’est pas évident. Elle interpelle le lecteur. Qu’aurait-il choisi, lui, à la place de Picsou ? Cette interrogation, nous l’avons irrémédiablement et, en toute honnêteté, la réponse n’est pas si simple...

Comme une voix divine rappelant à Picsou l’imminence de la tragédie, Donald, dans une ultime tentative, presse son oncle de se décider. Par là même il fait reposer tout le poids de la décision sur Picsou et s’en remet à lui. Picsou doit choisir rapidement sinon les éléments choisiront à sa place et notre héros ne maîtrisera alors plus son destin. Un héros qui ne maîtrise plus son destin, qui n’est plus capable d’influence le cours de l’histoire n’est plus un héros. Ne pas choisir, c’est donc mourir aussi.

Le choix intervient, évident dans une BD Disney empreinte d’une morale humaniste. Picsou va aider Donald à sauver Mc Chicane, ce qui entraînera des péripéties avant un dénouement inattendu.

(case issue de Picsou Magazine n°463 d’août 2010)

Mais ce choix n’est pas franchement assumé par Picsou. Par coquetterie[1], peut-être, il met son choix sur le compte de sa vieillesse qui le pousserait à être plus sensible aux aspects humains.

En réalité, le lecteur n’est pas dupe : c’est le sens moral et la conscience de Picsou qui ont parlé. Et le message est clair : sauver une vie, même celle d’un escroc vaut mieux que de sauver son argent. Paraphrasant Rabelais, nous pourrions dire « Richesse sans conscience n’est que ruine de l’âme » C’est probablement une maxime qui correspond bien à la vision qu'avait Carl Barks du capitalisme.

C'est grâce à de telles histoires qu'il a pu faire des Ducks de véritables héros en montrant que ces canards colériques n'étaient pas uniquement des clowns grimaçant sur papier glaçé mais qu'il pouvaient également être des personnages profonds dotés de sentiments terriblements humains.



[1] Cette coquetterie de Picsou rappellera sans doute à certains celle de l’histoire W OS 456-02 Back to the Klondike/ Retour au Klondike où Picsou laisse Goldie retrouver l’or qu’il avait caché tout en prétextant que s’il n’a pas retrouvé la cachette lui-même c’est parce qu’il n’a pas pris ses pilules pour le mémoire. Donald démontre à la fin de l’histoire que Picsou a bien pris ses pilules pour la mémoire. Picsou a donc volontairement laisser Goldie gagner.