Une parfaite chambre de malade de Yoko Ogawa

Par Mango

C’est la deuxième nouvelle que je lis en suivant l’ordre de ce volume, la première étant :« La désagrégation du papillon »où la narratrice rendait visite à sa grand-mère qu’elle venait de conduire dans une maison de retraite pour grands dépendants.

Cette fois-ci  c’est son frère de vingt et un ans atteint d’un cancer digestif que la narratrice  accompagne jusqu’à sa disparition.  Elle  a gardé un souvenir très doux des heures passées avec lui dans sa chambre d’hôpital. Elle y pense sans cesse, «peut-être parce que nous étions deux et que nous n’avons pas reçu beaucoup d’affection de nos parents».Elle raconte sa vie depuis le moment de l’arrivée de son frère, un jour d’automne,  dans ce grand hôpital de Tokyo  jusqu’ à sa mort,  au début du printemps  « quelque temps plus tard quand la neige a disparu, et que les pétales des fleurs de  cerisiers commencent à  voltiger comme des flocons. Il n’avait pas réussi  à vivre treize mois ». Cette chambre est parfaite pour elle qui a vécu avec une mère atteinte de maladie mentale  dans une crasse invraisemblable,  cause du divorce de ses parents et de sa grande solitude.


« Je n’avais jamais eu jusqu’ici l’occasion d’apprécier une propreté aussi paisible.
Si j’aimais tellement cette chambre de malade, c’est parce que la vie n’y avait pas sa place. 
Mais à côté de l’attachement que j’éprouvais pour cette chambre,la maladie était en train d’envahir lourdement l’intérieur du corps de mon frère. …La liste des aliments qu’il pouvait encore assimiler se réduisait vite. 
J’ai perdu l’appétit en même temps que lui ».

 Elle passe donc tout son temps libre dans la chambre de son frère, qui devient synonyme de pureté,  de silence et  de paix contrairement à  sa propre cuisine où elle retrouve son mari, un chercheur très occupé qui rentre toujours vers trois heures du matin et qui lui demande alors  de lui  faire à  manger

 Elle ne voit plus que les bouches des gens, celles de sa mère, de son frère, de son mari. Elle en est obsédée.« Personne ne mangeait aussi joliment le raisin que mon frère.  Le mouvement des lèvres, le bruit de la salive qui gicle ou l’aspect des dents, il y avait toujours quelque chose qui me déplaisait chez les autres. »

La réalité des corps lui devient douloureuse. L’action de manger lui devient laide. Elle l’associe aux ordures, aux poubelles qu’il faut sans cesse vider.
« Si l’on pouvait se débarrasser de toutes les choses de la vie dans un vide-ordures et vivre aussi légèrement qu’un morceau de cristal !... pensais-je au fond de moi, et j’arrondissais le dos.  J’ai toujours détesté la vie. »
Elle retrouve souvent au bar ou à la bibliothèque de l’hôpital le professeur qui soigne son frère et qui, lui,  souffre de  se sentir orphelin depuis son enfance.« J’aimais aussi la bibliothèque, de la même manière que j’aimais sa chambre à l’hôpital. Là non plus on ne sent pas la vie ».Un  soir, à sa demande , le professeur la serre dans ses bras  et elle éclate enfin en sanglots,ce qui l’apaise.« Une chambre d’hôpital est un endroit parfaitement purifié de toutes les turpitudes de la vie. Quand je suis dans cette chambre, j’ai l’impression de devenir un ange ou une fée. »

 Elle n’a jamais revu le professeur"Simplement quand je pense à mon frère, je me souviens de cette nuit de neige où il me tenait serrée sur son cœur et je pleure". Une chambre parfaite donc, comme un seuil, un hâvre de paix, une halte avant le grand  saut! 
Pour une fois j’ai laissé  beaucoup de citations car le charme de Ogawa vient de ses phrases  si faussement  calmes,  si belles, si apaisées mais  qui contiennent toute la violence des grandes douleurs. En ont parlé: LN, Clara

Participation 3 au challenge de Choco
Une parfaite chambre de malade de Yoko Ogawa
(Thesaurus,Actes sud, tome 1,1989/200) Récits traduits du japonais par Rose-Marie Makino, page 47 à 85)