Un hymne à la paix (16 fois), de Laurent Grisel (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

 Le titre est explicite, la citation placée en bas de couverture également : « Que pouvons-nous faire pour les morts sinon penser, se rassembler, crier : Plus jamais ça ? » Nous sommes donc face à une œuvre engagée, pacifiste, mais la forme de cet engagement est particulière. Laurent Grisel n’écrit pas contre telle ou telle guerre, actuelle ou antérieure. Le livre va contre la guerre et pour la paix, dans l’absolu. Les quatre « personnages » qui interviennent ne sont pas individualisés : « Homme », « Femme », « Bourreau », « Justice ». Ils représentent quatre points de vue différents. L’Homme, le soldat, a fait la guerre sans le vouloir : « Pourquoi fallait-il obéir ? / Seulement nous savions que ceux d’en face/ obéissaient / et visaient. » (p.19) Il est hanté par ses camarades morts et l’absurdité du combat.  
Le Bourreau , lui, se présente comme un exécutant irresponsable : « J’exécutais. »(p.26), « Je n’ai rien fait. J’étais à une place, c’est tout. » (p.42) La guerre modifie ses actes mais il reste un rouage ordinaire dans une mécanique qui le dépasse et à laquelle il semble indifférent : « Dans l’état d’exception qu’est la guerre / j’étais l’ordinaire ;/l’ordinaire de l’exception./ J’exécutais ordinairement -/artisanat / ou industrie, selon. // Je suis comme eux dans l’ordinaire de la paix:/ gris, tranquille, courtois. » (p.12) Tout comme le soldat, il obéit aux ordres, mais à la différence du soldat, il ne ressent ni culpabilité, ni désir de désobéir, ni scrupules moraux, ni regret de la paix. Le soldat n’a pas oublié « le bien commun », le bourreau, si. 
La Femme a sans doute le rôle le plus riche car elle est à la fois gardienne de la mémoire des disparus, et porteuse d’espoir : « on fait des enfants qui vivront. » C’est elle qui dénonce le plus directement la guerre : « pour que tous disent : / il y a défaite / générale. / On ne fête pas d’avoir gagné : / personne n’a gagné. / Perdu, nous avons tous perdu, tout le monde a perdu, / il n’y a pas de victoire. / On fête : pas de victoire ; / on ne fête pas d’avoir été vainqueurs. / On fête : tous vaincus. / On fête : enfin il n’y aura plus de vainqueurs, jamais. » (p.10) 
La Justice a un rôle qui n’est pas simple, après guerre, et on peut songer ici au Rwanda même si, encore une fois, cet hymne ne vise pas une guerre précise. Il s’agit d’établir la vérité, de trancher entre coupables et non-coupables, au risque d’un regain de violence à traverser pour ramener la paix : « Mets au jour une vérité une que tous reconnaîtront. / Qui t’attirera enfin une haine juste : une haine qui vise juste, / une haine qu’il est juste de provoquer. » (p.16) 
A travers ces forces en présence, on voit bien le risque pris par Laurent Grisel : que la schématisation nécessaire à une poésie engagée devienne excessive et tombe dans le didactisme. Il évite cet écueil, me semble-t-il, par le choix d’une poésie théâtrale. Ce texte est fait pour être oralisé, et il l’a été, en juin 2008, au Foyer des Cardeurs, à Paris (p.70). Mais c’est un théâtre très particulier puisque les « personnages » sont en quelque sorte abstraits, qu’il n’y a pas de décor, qu’aucune didascalie ne guide le « jeu » des acteurs. De même, il n’y a pas d’intrigue à proprement parler : s’il y a bien une avancée dans la réflexion sur guerre/paix, le texte est surtout guidé par une sorte de combinatoire des personnages : quatre monologues initiaux, puis six duos, quatre trios et deux quatuors. En fait, au-delà de la poésie et du théâtre, Laurent Grisel semble viser un art global : au départ, l’hymne a été écrit pour un projet de livre d’artiste avec Anne Slacik (p.68) : une très belle toile de cette peintre clôt le livre, Envol. Et dans une note finale « Pour les musiciens » (p.69), l’auteur prévoit un accompagnement musical minimal avec « un ou deux instruments », sans plus de précisions. On pense plutôt à des improvisations qui viendraient ponctuer les séquences parlées. Ce que je trouve vraiment intéressant et neuf dans ce travail, c’est l’invention formelle, une façon efficace de repenser la forme de l’hymne et la poésie engagée. En ce sens, ce livre est une réussite : il est clair dans sa visée, mais il n’esthétise pas plus qu’il ne délivre un message à coups de massue.
Il reste à méditer ces deux propos de la Justice : « Que serions-nous sans les femmes… » (p.49) et « On ne juge pas la société, on la fait. » (p.55) 
par Antoine Emaz 
 
Laurent Grisel 
Un hymne à la paix (16 fois) 
Edition Publie.net-Collection Zone risque 
70 pages – Téléchargement 5,99€ 
Lien pour téléchargement et lecture de la présentation et d’extraits