Harv'n Bob de Harvey Pekar et Robert Crumb

Par Aaapoum Bapoum

Et c'est reparti pour un petit coup de recyclage, fainéant certes, mais fort utile en ces temps de silence radio total sur le blog. Et puis c'est pour une bonne cause puisqu'il s'agit de défendre une bonne BD. Alors si le texte ci-dessous vous a donné envie, venez à la librairie découvrir en main propre l'anthologie des Crumb et Pekar. Vous ne le regretterez pas.

Harv'n Bob.Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Mercier et Jean-Paul Jennequin. Editions Cornélius, 128 pages, 21 €.

Harvey Pekar décédait au début de l’été, une œuvre de bande dessinée en legs. Singulières par leur forme, obsessionnelles par leurs thèmes, ses confessions autobiographiques soulevaient, derrière leur caractère anecdotique, inlassablement la même question : Pourquoi écrire sur soi ? Les raisons abondent, à l’évidence. Coucher sa vie sur papier relève pour les uns de l’exhibitionnisme, pour les autres du désir de dresser un bilan ; quelquefois, il s’agit de témoigner de l’horreur, à d’autres moments de graver dans le marbre un instant précieux. Mais qu’importe finalement ces motifs à la surface, l’autobiographe saisit, en définitive, toujours la plume pour se réapproprier l’image qu’il a de lui-même. Or curieusement pas Harvey Pekar. Cas rare, Pekar n’eut de cesse de recourir à l’écriture autobiographique pour offrir son égocentrisme en pâture à des dessinateurs chaque fois différents. Et rien que pour ça, pour ce masochisme étrange qui consista, chez cet autobiographe, à mettre en scène l’abandon de l’objet le plus cher, l’abandon de sa propre image, la série des American Splendor mérite que l’on s’y attarde sérieusement.

Dans ce recueil plus particulier titré Harv'n Bob, les éditions Cornélius ont compilé les planches autobiographiques enluminées uniquement par le célèbre Robert Crumb, ami de toujours, à l’origine de la vocation d’auteur de bande dessinée de Pekar. Le recueil est ainsi très représentatif des premières années d'écriture. Pekar s’y dépeint obsessionnel, anxieux et dépressif, collectionneur de disques de jazz, à la recherche de bons plans pour gratter quelques dollars… En termes de mise en scène, il accentue le caractère anecdotique des évènements qu'il confesse pour mieux en cacher la profondeur identitaire -plus tard, un cancer changera la donne. C'est également l'époque où il s’amuse des codes autobiographiques, comme dans cette suite de réflexions comiques, sur les Harvey Pekar homonymes découverts dans le bottin, qui interroge en filigrane son individualité, l’unicité de son être (de « la pureté du nom » parle-t-il à un moment). Seul un bémol, peut être, entache l’édition : ce qui constitue pour les amoureux du dessin de Robert Crumb un avantage, à savoir une intégrale des récits auparavant éclatés, pourra mécontenter les amateurs d’Harvey Pekar, qui depuis si longtemps ont l’habitude de voir la silhouette de leur héros passer de mains en mains pour mieux se faire maltraiter. Les profanes, quant à eux, ne peuvent rêver meilleure porte d’entrée dans cet univers, son écriture aux variations nombreuses, par nature inventive, fondatrice dans l’histoire de la bande dessinée underground américaine.