Quand Mendelssohn tombe du toit...

Publié le 09 septembre 2010 par Philippe Delaide

Je viens de terminer l'excellent "HHhH" écrit par Laurent Binet (éditions Grasset) et Prix Goncourt du premier roman. Justement, Laurent Binet, en s'attachant à travailler de façon précise sur la véracité des faits, tient à préciser plusieurs fois que son livre n'est pas un roman mais mais bien une nouvelle forme de lecture de l'Histoire. Il est construit autour d'un des actes les plus héroïques de la résistance pendant la 2ème guerre mondiale, à savoir l'assassinat de Reinhard Heydrich, Numéro 2 de la SS (adjoint de Himmler), "protecteur" de Bohême-Moravie, chef de la Gestapo et inventeur de la solution finale, par deux parachutistes envoyés en commando de Londres, l'un tchèque et l'autre slovaque.

Il est assez captivant, même si les digressions permanentes peuvent irriter les adeptes de la continuité des récits. Il s'agit bien d'un livre de plus retraçant de façon implacable la "recherche de la plus grande efficacité" dans l'horreur, incarnée par Heydrich.

Au Chapitre 125, il relate une "anecdote", fait semble-t-il véridique, à la fois saisissante et cocasse. Je ne peux m'empêcher de vous restituer ce chapitre dans son intégralité. Si Laurent Binet venait à prendre connaissance de cette citation intégrale dans le blog, ce qui est fort peu probable, je le remercie d'avance pour sa compréhension.

NB : HHhH est un sigle énigmatique pour désigner ce qui se disait chez les SS : "Himmlers Hin heisst Heydrich" (le cerveau de Himmler s'appelle Heydrich).

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"J’ai lu un livre génial qui a pour arrière-plan l’attentat contre Heydrich. C’est un roman écrit par un Tchèque, Jiří Weil, qui s’intitule Mendelssohn est sur le toit.
Le roman tire son titre du premier chapitre qui se lit presque comme une histoire drôle : des ouvriers tchèques sont sur le toit de l'Opéra, à Prague, pour déboulonner une statue de Mendelssohn, le compositeur, parce qu'il est juif. C'est Heydrich, épris de musique classique et récemment nommé protecteur de Bohême-Moravie, qui en a donné l'ordre. Mais il y a toute une rangée de statues et Heydrich n'a pas précisé laquelle était Mendelssohn. Or, à part Heydrich, il semble que personne, même parmi les Allemands, ne soit capable de le reconnaître. Mais personne n'oserait déranger Heydrich pour ça. Le SS allemand qui supervise l'opération décide donc d'indiquer aux ouvriers tchèques la statue qui a le plus grand nez, puisqu'on cherche un Juif. Mais catastrophe: c'est Wagner qu'on commence à déboulonner !
La méprise sera évitée de justesse, et dix chapitres plus loin, la statue de Mendelssohn finalement abattue. Malgré leurs efforts pour ne pas l'abîmer, les ouvriers tchèques lui casseront une main en la couchant. Cette anecdote cocasse est fondée sur des faits réels: la statue de Mendelssohn a bien été renversée en 1941, et a eu, comme dans le roman, une main cassée. Je me demande si la main a été recollée depuis. En tout cas les pérégrinations du pauvre SS préposé aux déboulonnages, imaginées par un homme qui a vécu à cette période, sont un sommet de burlesque typique de la littérature tchèque, toujours imprégnée de cet humour si particulier, doucereux et subversif, dont le saint patron est Jaroslav Hasek, l'immortel auteur des aventures du brave soldat Chvéïk".