Cette « machine à fabriquer des poèmes » qui, bien que l’auteur s’en défendît à l’époque, rappelle le concept surréaliste des Cadavres exquis, répond à de stricts critères : les rimes ne devaient pas être trop banales ni trop rares, chaque sonnet devait avoir un thème et une continuité, la structure grammaticale devait permettre de faire (plus ou moins) sens, tous les sonnets devaient être réguliers, composés de deux quatrains et deux tercets, soit quatorze vers.
Le résultat obtenu, bien que ludique, dépasse le simple divertissement, car il permet au lecteur de composer un total de 1014 sonnets différents, soit cent mille milliards. Comme le précise Queneau :
En d’autres termes, de la lecture pour bien plus que de longues soirées d’hiver. Au-delà de la performance littéraire, ce livre demeure l’un des plus curieux de la littérature française. Voici un aperçu des ressources quasi-inépuisables qu’il offre :
Du jeune avantageux la nymphe était éprise
Pour déplaire au profane aussi bien qu’aux idiots
Le Turc de ce temps-là pataugeait dans sa crise
Et tout vient signifier la fin des haricots
a
Quand on prend des photos de cette tour de Pise
Les gauchos dans la plaine agitaient leurs drapeaux
Aller à la grand ville est bien une entreprise
Lorsque vient le pompier avec ses grandes eaux
a
Le brave a beau crier ah cré nom saperlotte
Gratter le parchemin deviendra sa marotte
L’autocar écrabouille un peu d’esprit latin
a
Barde que tu me plais toujours tu soliloques
On mettrait sans façon ses plus infectes loques
L’écu de vair ou d’or ne dure qu’un matin.
Illustrations : Couverture et pages intérieures de Cent mille milliards de poèmes.