Outland

Par Ledinobleu

Un futur proche. L’Humanité cherche ses ressources sur les autres planètes du système solaire. Dans les installations de Io, troisième lune de Jupiter, les taux d’extraction de titanium explosent depuis l’arrivée du dernier manager général mais les « accidents » aussi. Le marshall O’Niel, qui vient de prendre son poste, découvre qu’aucun de ces morts n’a jamais fait l’objet d’une autopsie et décide de mener son enquête, jusqu’à ce qu’on lui conseille de s’en tenir à la routine – sinon il pourrait bien en faire les frais…

Outland reflète très bien cette orientation que prit le cinéma de science-fiction vers la fin des années 70 en proposant des décors au réalisme total – je veux dire par là un décorum si criant de vérité qu’il ne présentait plus aucun rapport avec ceux en carton pâte qui les avaient précédés. Au point d’ailleurs que cette apparence finit en quelque sorte par prendre vie et par devenir un acteur central de la réalisation proprement dite, un comédien sans chair ni os, un personnage omniprésent mais muet et, semble-t-il, inerte – bien qu’il conditionne une bonne partie des mouvements et des gestes des autres actants de l’histoire qu’il accueille en son sein.

Si dans un premier temps une telle évolution de la création de décors n’aspirait qu’à souligner l’exotisme d’autres mondes – comme dans Star Wars (Georges Lucas, 1977) –, elle devint assez vite un moyen pour Ridley Scott, réalisateur bien plus talentueux que le précédent sous bien des aspects, de relever le niveau d’oppression et d’angoisse qui tenait lieu de base au récit d’Alien, le huitième passager (1979) : le décorum, dans ce cas précis, avait dépassé le stade du simple décor pour devenir, au moins d’un certain point de vue, une sorte de neuvième passager du Nostromo, et un passager dont on ne savait jamais vraiment de quel côté de la barrière il se trouvait puisqu’il avantageait tantôt l’un puis l’autre bord impliqué dans l’intrigue – ce qui n’est jamais que la définition même d’un personnage… (1)

Dans Outland, ce « personnage » conditionne la vie de tous ceux qui évoluent dans ses entrailles : comme un gigantesque organisme dont les humains seraient les bactéries grouillant dans ses tripes, il accueille ses habitants avec une fausse bonhommie qui présente toutes les apparences de l’indifférence. Peu importe ce qu’il arrivera à chacun d’eux puisque d’autres viendront tôt ou tard les remplacer dans leurs tâches, en assurant ainsi la pérennité de la station minière. Entre la promiscuité permanente et la précarité des conditions de vie sur ce monde hostile dont seule une mince et fragile paroi sépare les mineurs d’une mort atroce par décompression, les tensions montent et chacun y réagit à sa manière – le plus souvent en plongeant du mauvais côté de la loi, d’où la nécessité d’un marshall pour assurer l’ordre…

Et peu importe la justesse des intentions de ce dernier, cette indifférence du décor ne se lézarde pas un instant. Au point d’ailleurs qu’elle se retrouve dans tous ceux qui l’habitent. De sorte que quand O’Niel réclame de l’aide pour résoudre ce qui est devenu son problème le plus immédiat, c’est-à-dire le plus vital, il se heurte naturellement à cette indifférence du décor qui a contaminé tous ceux qui y vivent : alors que chacun devrait être du côté de la loi, O’Niel reste seul. On reconnait bien là un problème typique des civilisations industrielles où l’individu ne compte pas devant les impératifs des grands cartels qui ne se soucient que des rendements de production.

Hormis cette préoccupation assez caractéristique des productions de l’époque, et en dehors du visage du monstre qui s’avère au final bien plus terrifiant que celui d’Alien, parce qu’ici l’horreur n’est rien moins que tout à fait humaine, Outland n’a de la science-fiction que l’apparence et se borne en fait à une transposition dans un contexte de futur proche d’une thématique voisine du western – et précisément du film Le Train sifflera trois fois (Fred Zinneman, 1952) – : à ce sujet, d’ailleurs, un élément du décor se montre tout à fait explicite alors que le scénario aborde son dénouement.

C’est peut-être ce qui a valu à Outland son succès d’ailleurs, non à l’époque car il ne fit qu’un score à peine honorable au box office, mais sur le long terme : bien que très loin du film culte et encore davantage du génie incompris, il occupe néanmoins une place toute particulière dans le cœur des fans de cinéma en général.

(1) mérite d’être rappelé que l’architecture joue un rôle semblable dans la vie de tous les jours : sans même qu’on la remarque, elle conditionne presque tous nos actes quotidiens ; voilà pourquoi elle est considérée comme le « Premier Art ».

Notes :

L’artiste Jim Steranko adaptata de ce film en comics, dans les numéros de juin 1981 à janvier 1982 du magazine Heavy Metal – l’édition américaine de Métal Hurlant. Une novélisation du film, signée par Alan Dean Foster, parut chez Warner Books en mars 1981 et fut publiée en français la même année.

Le 18 août 2009, Warner Bros a annoncé que le réalisateur Michael Davis avait été embauché pour diriger un remake d’Outland, sur un scénario de Chad St. John ; néanmoins, aucun casting ou date de sortie n’ont été précisés…

Ce film inspira le morceau High Moon du projet de métal progressif Star One créé par le néerlandais Arjen Anthony Lucassen.

Outland, Peter Hyams, 1981
Warner Home Video, 2000
105 minutes, env.5 € (occasions seulement)