Un portrait de Florian Rodari (La Dogana) par Alain Paire

Par Florence Trocmé

A l’occasion d’une nouvelle exposition de la Galerie Alain Paire, un portrait rédigé par le galeriste, de l’écrivain, éditeur, revuiste, commissaire d'exposition... Florian Rodari 
 

Florian Rodari : la Revue de Belles-Lettres, les éditions de la Dogana, 
la Fondation Jean Planque 

Son père était journaliste. Né en Suisse en 1949, Florian Rodari partage son temps entre Genève et Paris. Son frère Alain Rodari est l'un des responsables du "Vent des routes", une librairie-restaurant-agence de voyages dont le rayonnement dépasse largement les réseaux de la Suisse romande. Voici quelques années, ce libraire pas du tout conventionnel migrait volontiers : Alain Rodari est également photographe, ses images illustraient en 2005 un ouvrage collectif des éditions de La Martinière intitulé Hommage aux Indes. 
Tandis que son frère incarne à sa manière le versant Nicolas Bouvier de la littérature suisse, Florian Rodari s'est orienté du côté de la poésie et de la traduction dont l'exemple lui fut pour partie insufflé par son oncle maternel, Philippe Jaccottet : en sus du creuset d'une bibliothèque familiale où coexistaient les grands formats des éditions d'Albert Skira et les petits volumes recouverts de feuilles de pergamine d'Henry-Louis Mermod (1), il a depuis toujours bénéficié de la discrétion et de l'affection de Jaccottet. Emprunter à Genève la filière des études littéraires relevait pour lui de l'évidence : Florian Rodari prit l'habitude de suivre aussi souvent que possible les cours de Jean Starobinski et de Jean Rousset.  
Un second carrefour d'existence, j'y reviens plus loin, impliqua définitivement Florian Rodari du côté des arts plastiques. Dés l'âge de vingt ans, son premier emploi professionnel lui donne la possibilité de travailler au Cabinet des Estampes du musée de Genève. Rainer Michael Mason, alors assistant-conservateur, lui demande de classer les collections de gravures anciennes et puis très vite, de monter des expositions et de rédiger des catalogues.  
Paul Celan, Ossip Mandelstam, La Revue de Belles-Lettres. 
Un changement de comité de rédaction lui permet simultanément d'entrer dans l'équipe qui entreprend la mutation de « La Revue de Belles-Lettres »,une revue qui avait auparavant publié des numéros spéciaux consacrés à Amiel, Hohl et Cingria. On est en 1972, Florian Rodari est le plus jeune à l'intérieur d'une direction collégiale où figurent Pierre-Yves Balavoine, John E. Jackson, Pierre-Alain Tâche et Rainer-Michael Mason (2). A peine trentenaire, cette génération est profondément attentive à ce qui s'est approfondi depuis la galerie Maeght autour de la revue « L'Ephémère » dont les cahiers trimestriels paraissent entre 1967 et 1972. Pour leur part, John E. Jackson et Florian Rodari suivent passionnément les cours qu'Yves Bonnefoy donne pendant deux années consécutives à la Faculté des Lettres de Genève (3) : Bonnefoy écrit à cette époque L'Arrière-Pays qui sera publié chez Skira dans la collection des « Sentiers de la Création » de Gaëtan Picon.  (cliquer sur "lire la suite pour découvrir la suite de l'article)

 
Les cinq jeunes gens qui prennent en mains la RBL font immédiatement preuve d'une singulière maturité : ils publient en 1972, quelques saisons après la disparition du poète en avril 1970, un cahier « Paul Celan » de 224 pages. On découvre dans ce volume des pièces infiniment émouvantes : à côté des traductions de nombreux inédits, des contributions de Maurice Blanchot, Yves Bonnefoy, Jean Daive, André du Bouchet, Vladimir Holan, Emmanuel Lévinas, Henri Michaux, Jean Starobinski et Claude Vigée, des portraits photographiques de Celan ainsi que des reproductions d'œuvres sur papier de Gisèle Celan-Lestrange, Pierre Tal-Coat et Bram Van Velde.  
Jusqu'en 1988, avec l'aide intermittente d'autres amis proches comme Denys C. de Caprona, Peteris Skrebers et Olivier Beetschen qui prendra le relais à la tête de la revue, Florian Rodari organise et met en page les choix d'un périodique qui joue un rôle peu visible et pourtant tout à fait déterminant dans le développement de la poésie française. Tandis que d'autres aventures se construisent dans le sillage de L'Ephémère ou bien de La Traverse (4) – Argile dirigée par Claude Esteban publie vingt-quatre livraisons entre 1973 et 1981, Port des Singes dirigé par Pierre-Albert Jourdan, ce sont neuf numéros entre 1974 et 1981, L'Ire des Vents d'Yves Peyré, neuf cahiers entre 1978 et 1987 - la revue poursuit avec exigence un travail d'ouverture qui fait coexister tout au long de ses sommaires des œuvres et des voix de grande diversité.  
La fabrique d'une revue n'est pas une sinécure : la typographie était remarquablement pensée, les reproductions des images finement choisies, l'architecture globale de la revue à la fois rigoureuse et aérée. PaulAuster, Maurice Chappaz, Pierre Chappuis, André du Bouchet, Philippe Denis, Jacques Dupin, Lorand Gaspar, Ludwig Hohl, Doris Jakubec, Pierre-Albert Jourdan, Jean-Pierre Lemaire, Alain Madeleine-Perdrillat, Pierre Oster, Anne Perrier, Françis Ponge, Gustave Roud, Jean-Luc Sarré confièrent volontiers des textes au comité de rédaction de la RBL. 
Plusieurs années après la réussite du cahier « Paul Celan », Florian Rodari imaginera avec ses amis, souplement et sans souci de systématicité, trois autres numéros spéciaux de la RBL de belle envergure. Un cahier « Philippe Jaccottet » fut composé en 1976 pour célébrer le cinquantième anniversaire du poète. Avec des illustrations de Chillida, Miro et Tapiès, un ensemble « Jacques Dupin » paraît en 1986. La contribution la plus retentissante de la revue - cette fois-là, Rodari s'y investit totalement en tant qu'auteur / éditeur - ce fut la parution en 1981 d'un numéro « Ossip Mandelstam » dédié à la mémoire de Nadejda.  
On y trouve réunies les greffes de trois traducteurs, Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider. Y sont donnés à lire, souvent pour la première fois en français, des textes majeurs comme "Tristia", "L'homme qui trouva un fer à cheval", "Les Cahiers de Voronej", "François Villon" "Le matin de l'acméisme" ainsi que des témoignages ou des poèmes de Paul Celan, Marina Tsvétaeva et Nadejda Mandelstam. Insérées dans ce cahier, les « Notes à propos de Mandelstam » rédigées par Jaccottet prennent rang parmi les meilleurs textes critiques voués à l'auteur du Voyage en Arménie. L'introduction, signée par Florian Rodari, fut par la suite reprise dans le recueil Mandelstam des éditions de La Dogana, Simple promesse.Une grande attention fut apportée aux illustrations parmi lesquelles on pouvait voir des travaux de Gontcharova, Moholy-Nagy et Rodtchenko. 

 
1981, naissance des éditions de La Dogana.  
Rodari s'en est expliqué lors d'un entretien qu'on peut consulter sur le site Lexnews, son travail en revue constitua un excellent apprentissage. Un nouveau palier fut franchi lorsqu'il créa avec deux amis, un imprimeur, Jo Cecconi, et un peintre, Peteris Skrebers, une maison d'édition capable de donner plus d'impact aux textes brefs et aux auteurs qu'il avait rencontrés sur son chemin : « Conduire une revue littéraire, c'est un atout formidable pour un futur éditeur, car on apprend à découvrir d'autres voix, à accorder dans un livre des approches différentes ». 
Pourquoi donner à une maison d'édition le nom vénitien de La Dogana ? Avec en filigrane une réflexion de Leopardi qui estime qu' « on peut dire de la poésie ... ce que j'ai dit ailleurs des grandes actions : qu'elles supportent un mélange de conviction et de passion, ou d'illusion », dans l'incipit des catalogues de La Dogana, sur la page d'accueil de son site et parmi ses cartons d'invitation, on aperçoit le fascinant leit-motiv d'une ancienne photographie : l'image bleutée de la tour et des entrepôts de la Douane maritime, telle qu'elle surgissait à la fin du dix-neuvième siècle, à la pointe du Grand Canal de Venise. Rodari avait à coeur de convoquer cette image afin de rappeler brièvement qu'un douanier n'est pas un incontournable personnage dont le rôle est de surveiller le flux des marchandises : sa mission première consiste beaucoup plus simplement à octroyer un visa. La vocation profonde d'un éditeur est de favoriser la lecture : il donne visa à la parole. 
Résumer en quelques paragraphes le travail pluriel de trois décennies constitue un exercice redoutable. Soixante-douze ouvrages portent aujourd'hui l'enseigne de La Dogana. Le tout premier, Les marges du jour était un recueil de Jean-Pierre Lemaire dont la réédition est imminente, le dernier paru s'intitule Le combat inégal . Il s'agit d'un livre-disque publié lors de la remise du Grand Prix Schiller à Philippe Jaccottet : cet ouvrage comporte les hommages rendus par deux de ses amis poètes, Fabio Pusterla et Pierre Chappuis, la réponse du lauréat, un texte inédit ainsi qu'un CD, cinquante-six minutes de lecture enregistrés à Grignan le 25 janvier 2010. 
Cinq collections et deux formats majeurs (20 x 15 cm et 21 x 16 cm) permettent d'identifier les ouvrages de La Dogana. Il y a tout d'abord les trente-huit titres de la collection "Poésie" : entre autres, des traductions d'Emily Dickinson, John Keats, Giacomo Leopardi, Giovanni Orelli et Umberto Saba, des recueils de Nicolas Cendo, Pierre Chappuis, Philippe Denis, Jean-Paul Hameury, Jacques Lèbre, Alain Madeleine-Perdrillat, Michel Orcel, Gilles Ortlieb, Jean-Luc Sarré, Pierre-Alain Tâche, José-Flore Tappy et Frédéric Wandelère. Dans la collection "Proses", à côté de Le vingtième me fatigue de Jacques Réda ou bien de Les fleurs et les saisons de Gustave Roud, figurent L'oiseau Nyrio de Jean-Christophe Bailly et Boehnlendorff et quelques autres, des récits de Johannes Bobrowski, traduits par Jean-Claude Schneider.  
Plus récente, la collection "Poésie/ Prétexte" donne à lire des études et des essais à propos d'Anne Perrier (1996) et de Pierre Chappuis ainsi que trois entretiens autour de Jean Starobinski. Dans Goya, Baudelaire et la poésie (2001), Yves Bonnefoy dialogue avec Starobinski. Pour Le poème d'invitation(2004), les interlocuteurs de Jean Starobinski sont Fréderic Wandelère et de nouveau Yves Bonnefoy. Le troisième entretien arbore pour titre une citation de Montaigne, La parole est moitié à celui qui parle (2010); il s'agit de la transcription patiemment recomposée d'une émission de France-Culture qui réunissait Gérard Macé et Starobinski. Puisque « la parole imprimée ne fait pas un livre », son suivi éditorial et ses amendements furent assurés par Stéphanie Cudré-Mauroux qui s'est également chargée des deux autres ouvrages. 
Deux nouvelles collections de La Dogana suscitent à présent d'autres croisements. Il s'agit tout d'abord d'un secteur que Rodari souhaite développer, celui des livres-disques qui intègrent des enregistrements de poèmes comme celui de Jaccottet (un passionnant et tout à fait nécessaire projet autour d'André du Bouchet est actuellement imaginé) ou bien des coffrets de musique accompagnés de textes et de traductions, les premiers ayant été consacrés à l'art du lied chez Malher, Schumann et Wolf. 


 


Dans le domaine des arts plastiques où le prix de revient de chaque livre est plus important qu'en poésie, pour la collection Images qui fut inaugurée en l'an 2000, les formats et les ressources iconographiques ne sont pas prédéterminés, chaque nouveau volume pouvant entraîner des alliances et des solutions différentes. Dans ce registre, on trouve des monographies qui évoquent des artistes suisses comme Edmond Quinche, Stéphane Brunner et Albert Yersin ainsi qu'un livre de plus grande ampleur à propos de Calvi di Bergolo (2003). Florian Rodari est l'auteur principal de cette collection qui intègre une étude de Natacha Allet, Les autoportraits d'Antonin Artaud (2005) et un ensemble de textes consacré à Garache / Face au modèle (2006) 

Avec Jaccottet, un Libretto, Le bol du pèlerin, des traductions et deux anthologies. 
Proximité oblige, l'interlocuteur majeur de La Dogana est évidemment Philippe Jaccottet. Volens nolens, son nom ou bien ses contributions apparaissent dans presque toutes les collections de la maison. Autrefois publiés en revues, et ne figurant pas dans les livres édités par Gallimard, des proses qui datent des années 1946-1948 furent tout d'abord joints à des textes plus récents, afin de composer en 1990 un merveilleux Libretto qui évoque les fréquents séjours du poète en Italie. "Cartes postales", l'une des parties de ce recueil est dédié à deux grands amis d'Anne-Marie et Philippe Jaccottet, Michel et Louise Rossier dont les émouvantes silhouettes aujourd'hui disparues sont évoquées dans « l'Obituaire » qui ouvre Ce peu de bruits, publié chez Gallimard en 2008. Il s'agissait, écrit Jaccottet, de « petites notes dédiées à ces amis de Vevey » : « dans leur légèreté même, elles gardent assez fidèles le reflet de ces bonheurs que furent, année après année, nos voyages communs, et plus que tout précisément, ceux qui nous conduisirent dans presque toutes les régions de l'Italie, au printemps : l'émerveillement de la découverte, le naturel absolu des échanges, leur gaieté souvent, leur émotion quelquefois, les plaisirs de la gourmandise avivés par une ébriété légère, et qui venait de plus loin que le vin ». 
Dans la collection Poésie, à côté des pages enjouées de ce Libretto, on retrouve plusieurs petits volumes de traductions : deux ensembles de Gongora, auparavant publiés en revues, "Les solitudes" et "Treize sonnets", des poèmes de Giovanni Raboni qui fut pour sa part traducteur de Proust et de Baudelaire en Italie, une version complète des Élégies de Duino ainsi que le recueil collectif d'Ossip Mandelstam évoqué plus haut, Simple promesse
A quoi s'ajoutent des livres qui auraient pu rester à l'état de projets, sans la disponibilité et la vigilance de Florian Rodari. Hormis des livres déjà anciens - l'un étant son livre consacré à l'Autriche, l'autre son "Rilke par lui-même" des éditions du Seuil - Jaccottet n'est pas un auteur à qui l'on peut aisément proposer une commande : ses décisions, ses hésitations et ses éventuels renoncements ne sont pas immédiatement prévisibles. Les livres qu'il a acceptés de composer sous l'enseigne de La Dogana ne sont pas des feuillets de journaux intimes ou bien des rassemblements de recensions critiques, tels que les Semaisons et L'Entretien des muses : l'estime et la confiance qu'il éprouve pour son neveu Florian ne sont pas des facteurs négligeables lorsqu'on s'interroge à propos de la fragile gestation de certains de ses ouvrages.  


 

 
Convaincre Jaccottet qui pratique rarement et n'affectionne pas les lectures publiques, convoquer des techniciens, arranger un studio d'enregistrement au château de Grignan, effectuer une première prise immédiatement valide afin de réaliser l'impeccable CD du livret Le combat inégal, ce sont des exercices périlleux qui impliquent de la générosité, de la rigueur et du doigté. Il fallut aussi beaucoup de patience et d'agilité pour qu'aboutisse la publication des "feuillets joints" d'un des plus beaux livres de ces dernières années, "Truinas, le 21 avril 2001" qui fut édité en octobre 2004, une intense méditation qui évoque les obsèques d'André du Bouchet ainsi que plusieurs extraits de Senancour et de Hölderlin, « le chagrin et une espèce de joie ». 
On sait aussi que Jaccottet ne s'exprime ni beaucoup ni longuement à propos des œuvres, des amis ou des artistes qu'il affectionne (5). Consacré à sa compagne Anne-Marie Jaccottet, "Arbres, chemins, fleurs et fruits" est un recueil collectif très récent. Également dédié à son ami Michel Rossier (6), Le bol du pélerin qui évoque Morandi -  80 pages où s'intercalent 14 superbes reproductions - constitue une merveilleuse exception dans sa bibliographie. Publié au cours de l'été 2001, déjà réédité et traduit dans d'autres langues, ce maître-livre compte parmi les plus belles réussites de La Dogana.Moins immédiatement identifiable et pourtant de grande saveur, Le voyage à Trigance est un petit recueil de souvenirs préfacé par Jaccottet où il est question de Cingria, de Léo Fiauxet d'Iliazd. Cet ouvrage est dédié au profil perdu de son auteur, un ami d'Aix-en-Provence et de Grignan, "Jeannot" Eicher quifut avec son compagnon Wayland Dobson un merveilleux facteur de clavecin. Son Voyage à Trigance complète admirablement les "Notes du ravin" qu'on peut lire dans Ce peu de bruits, le livre de poèmes que Jaccottet avait publié chez Gallimard en 2008.
Parce que ce sont d'authentiques livres de chevet qu'on consulte fréquemment, on peut espérer que les deux anthologies conçues par Jaccottet à partir des œuvres des poètes d'expression française et des poètes européens du XXe siècle -"Une constellation tout près" et D'autres astres, plus loin, épars, publiées en 2002 et 2005 - deviendront pour tout lecteur de poésie une référence infiniment précieuse. Ces deux ouvrages rigoureusement irremplaçables, il faut également les imputer à l'audace et à l'opiniâtreté de Rodari. Dans la postface qu'il rédigea pour le premier, il raconte comment s'ébaucha l'idée de cette publication : « Quand Philippe Jaccottet me parla, un soir d'été, de son activité "énorme et inutile" du printemps, qui avait été dédiée à relire toute la poésie française de son siècle afin de s'en constituer une anthologie à usage personnel, je ne réagis pas immédiatement. Mais deux nuits plus tard, l'évidence me secoua au beau milieu de mon sommeil : rarement projet d'édition m'apparut plus fertile. Non pas que cette sélection dictée par un besoin intime s'entende à valider des certitudes, mais parce qu'un poète, et l'un des plus attentifs à ce qui s'était écrit au cours de plusieurs décennies contradictoires, se donnait les moyens d'appeler ses pairs à son chevet, en leur demandant de faire retentir en quelques pages le chant incomparable de leurs voix. Témoignage inestimable d'une vie consacrée à écouter, à découvrir, à défendre et à juger avec passion et exigence la poésie en train de se faire ». 
Historien d'art et commissaire d'exposition. 
Bien soutenues par le CNL en France et par les institutions suisses - les archives littéraires suisses de Berne, la Fondation Hans Wilsdorf, le musée Jenisch de Vevey, la Fondation Leenards, la Fondation Schiller, la société Vaudoise des Beaux-Arts - les éditions de La Dogana dont les exercices financiers ont cessé d'être déficitaires depuis quelques années, ne pouvaient pas être une source de revenu pour Florian Rodari dont la vie professionnelle connut plusieurs cheminements. Dans la foulée de son travail au Cabinet des Estampes de Genève, il fut nommé en 1979 directeur du musée de l'Elysée à Lausanne. Il y travailla pendant quatre ans, il organisa plus de 22 expositions durant ce bref laps de temps. « Les surcharges et les tracas administratifs » ainsi qu'un profond désir de liberté le conduisirent à quitter ce poste pour mieux se consacrer à l'écriture et à la critique d'art. 
Les éditions Albert Skira lui ouvrirent de nouvelles voies. Commande lui fut adressée pour un livre de synthèse à propos du Collage au vingtième siècle. Consacré aux Papiers collés, papiers déchirés, papiers découpés de Beuys, Braque, Sonia Delaunay, Duchamp, Max Ernst, Juan Gris, Raymond Hains, Jiri Kolar, Matisse, Picasso, Schwitters, cet ouvrage publié en 1983 à Genève chez Skira et à New York chez Rizzoli, amena un changement important de la situation de Florian Rodari : les proches de Rosabianca Skira-Venturi « s'étaient aperçus que je savais fabriquer des livres, je suis devenu directeur de collection. »  
Il réalisera plusieurs ouvrages comme directeur de collection, Le journal du mouvement Dada, une magnifique monographie sur Seurat confiée à son ami Alain Madeleine-Perdrillat, un ouvrage sur les rapports entre musique et peinture de Jean-Yves Bosseur. Il participera à la création d'une collection de livres pour enfants dont il fut l'auteur pour plusieurs livres : Un dimanche avec Picasso (1991), Un dimanche avec Vélasquez (1992) ainsi qu'Un dimanche avec Matisse (1993). L'année suivante, il publie en compagnie d'Yves Bonnefoy une monographie à propos de Gérard de Palézieux, un ouvrage dont les derniers exemplaires sont disponibles sur le site de La Dogana. Après l'abandon des éditions Skira en Suisse, il gagne sa vie en publiant des textes dans des catalogues édités par le Centre Pompidou (sur "Balthus" en 1984, "Bram Van Velde" en 1989, "Giacometti" en 2001) et des préfaces pour des galeries prestigieuses comme celles d'Heinz Berggruen, Louis Carré, Jan Krugier et  
A compter de 1996, il devient le commissaire de grandes expositions internationales. Avec l'appui de Maxime Préaud et de Michel Pastoureau, Florian Rodari qu'il faut considérer comme l'un des meilleurs spécialistes de la gravure ancienne et contemporaine, présente en février 1996, rue de Richelieu, dans la Galerie Mazarine de la Bibliothèque nationale de France, « Anatomie de la couleur », une exposition qui traite de l'invention de la gravure en couleur. Deux années plus tard, il montre au Drawing Center de New York une exposition à propos des dessins de Victor Hugo, "Shadows of a hand". En l'an 2000, il publie à New York L'homme de plume, un essai inclus dans le catalogue de son exposition "Untitled passages, Henri Michaux". En 2007, Rodari relance ses recherches sur Victor Hugo dessinateur (7) et assure avec le concours du musée de la Place des Vosges le commissariat de l'exposition "L'esprit de la lettre". En 2008, la Fondation de l'Hermitage à Lausanne programme dans la même lignée, "Dessins visionnaires", une exposition qui souligne les affinités des avant-gardes avec les audaces graphiques de l'auteur des Travailleurs de la mer
Le souvenir de Jean Planque, "De Cézanne à Dubuffet, "De Degas à Picasso". 
La chronologie ne peut pas être constamment respectée lorsqu'on tente d'évoquer l'entrelacement, les bifurcations et la cohérence d'activités multiples. Parmi les amitiés de Florian Rodari, il y eut aussi le grand collectionneur Jean Planque (1910-1998) le conseiller et le courtier de la galerie Beyeler jusqu'en 1972 : c'était également l'oncle de sa compagne, Maryam Ansari. Au lendemain du décès de Jean Planque, survenu le 27 août 1998, conformément aux vœux de son ami, Florian Rodari devient le conservateur de cette collection qui renferme outre deux aquarelles de Cézanne, quinze tableaux de Dubuffet et quatorze de Picasso, une éblouissante série de chefs d'Oeuvre d'Aloïse, Auberjonois, Bissière, Bonnard, Braque, Clavé, Robert et Sonia Delaunay, Dufy, Sam Françis, Simon Hantaï, Alexandre Hollan, Paul Klee, Henri Laurens, Michaux, Claude Monet, Odilon Redon, Georges Rouault, Louis Soutter, Nicolas de Staël, Mark Tobey et Raoul Ubac. 
Cette responsabilité de conservateur de la Fondation Jean et Suzanne Planque implique beaucoup d'administration, de fréquents déplacements et l'organisation des expositions de la collection qui constitue une mission permanente. Au cours des dix dernières années, les tableaux de la collection Jean Planque ont connu d'étonnantes itinérances, ils furent transportés et montrés dans treize musées ou grands lieux d'exposition européens.  
Les tableaux de la Fondation Jean Planque furent tout d'abord exposés en 2001 à Lausanne, à la Fondation de l'Hermitage, puis au Kuntzmuseum de Wintertour ; l'année suivante, la collection est présentée au musée Cantini de Marseille ainsi qu'au musée Picasso de Barcelone. En 2003 à la Salle Saint Jean de l'Hôtel de Ville de Paris, puis à Bruxelles et Wuppertal. En 2007, ils étaient accueillis par la Fondation La Caixa de Barcelone, en 2009 au Graphikmuseum Picasso de Munster. On peut les contempler jusqu'au 24 octobre 2010, au musée Fernet Branca de Saint Louis, dans le Haut-Rhin, non loin de Bâle. De nouvelles éditions de leur catalogue, tout d'abord publié en 2001 chez Hazan (8), ont vu le jour en allemand, en italien, en espagnol et en catalan.  
A voix nues, des poèmes de Florian Rodari et des gravures de Claude Garache. 
Écrire des préfaces et des livres d'art, s'occuper d'édition et organiser des expositions (9), tout cela n'a jamais éloigné Florian Rodari de son souci premier, l'écriture poétique. Ses débuts dans ce domaine remontent à 1974 lorsqu'il fit paraître dans la petite collection de Payot/ Lausanne de Jean Hutter son premier recueil, Métamorphoses d'une crête. Trois années plus tard, il publiait dans la même collection une traduction d'Alexandra Pizarnik, L'enfer musical
Par la suite, de grandes plages de silence survinrent, quelquefois interrompues par des publications en revue. Les éditions de la revue "Conférence" publient cet automne une suite de poèmes de Florian Rodari, "A voix nues" : « des textes écrits après l'audition des chants que les femmes des Iles Salomon chantent à deux voix pour bercer leurs enfants ou pleurer leurs morts », un ouvrage tiré à quatre-vingt exemplaires, accompagné par deux gravures et une eau-forte de Claude Garache.  
La présentation de cet ouvrage fraîchement sorti des presses de l'Imprimerie Nationale s'effectuera lundi 11 octobre 2010, à partir de 18 h 30, en présence de l'auteur et du graveur, à l'occasion d'une exposition de gravures de Claude Garache, dans la galerie du 30 de la rue du Puits Neuf, Aix-en-Provence. Comme l'écrivait Florian Rodari dans le texte qu'il avait rédigé voici deux ans à propos de l'œuvre d'Anne-Marie Jaccottet : « il faut parfois toute une vie pour qu'un vers résonne, ou qu'une image réponde ». 
par Alain Paire
  
Photos
•Jean Starobinski et Florian Rodari, enregistrement d'une émission de TV, novembre 1986, Genève. •Philippe Jaccottet et Florian Rodari   
(1) A propos des éditions Mermod, cf le texte que Rodari a confié en 2008 à Amaury Nauroy pour le quatrième cahier de la revue "Trajectoires", pages 142 / 144. 
 
(2) Quelques indications à propos des quatre autres membres du comité de rédaction de la RBL. Décédé le 21 janvier 2000, Pierre-Yves Balavoine fut davantage l'administrateur et l'imprimeur de la revue. Né au Caire, John E. Jackson est poète, traducteur, essayiste et professeur à l'université de Berne, ses livres sont édités au Mercure de France, chez Unes ou bien par José Corti. Né à Lausanne en 1940, Pierre-Alain Tâche est poète, ses recueils sont édités chez L'Age d'homme, Payot, Bertil Galland, La Pierre d'Alun, Empreintes et La Dogana.  "L'air des hautbois", son premier livre en prose a été publié en 2010 aux éditions Zoé, 
Né à Hambourg en 1943, Rainer Michael Mason est historien d'art et conservateur de musée. Il fut le responsable de l'exposition qui célébra en 1996 au musée Rath de Genève le centenaire de Bram Van Velde. En 2010 il assurait en compagnie de Sylvie Ramond le commissariat de l'exposition
Bram et Geer Van Velde présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon.
Parmi les réalisations du comité de rédaction qui prit la succession en 1988 (
Olivier Beetschen, Mathilde Visher, Anne-Claude Lang, Arnaud Buschs) on mentionnera des cahiers de la RBL consacrés à Jean Roudaut, Vladimir Holan (1991), Anna Akhmatova (1996), Pierre Chappuis (1999).
Pour d'autres précisions, cf l'article de Pierre-Alain Tâche, «La Revue de Belles-Lettres de 1960 à nos jours», in Deux siècles en rouge et vert, éd. R. Francillon et al., 2006, 33-44. Cf également l'étude de José-Flore Tappy, "Paroles en migration dans la Revue de Belles-Lettres" in L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, éd. Zoé, 1998, p 214 ss, ouvrage collectif sous la direction de Marion Graf.
 
(3) Cf à ce propos, reprenant pour partie ce que furent les cours de littérature de Genève, les entretiens qu'Yves Bonnefoy avait donnés en 1972 pour la Radio de Suisse Romande à Bernard Falciola, transcription reprise dans le volume Entretiens sur la poésie, éditions du Mercure de France, 1990. 
 
(4) La Traverse, une revue de poésie trop mal connue (1969-1974), dirigée par Paul de Roux. 
 
(5) A propos de la place relativement restreinte de la peinture et des arts plastiques dans l'oeuvre de Jaccottet, cf dans le cahier "Philippe Jaccottet" publié aux éditions du Temps qu'il fait, (Cahier 14, Cognac, 2001) l'article d'Alain Madeleine-Perdrillat. 
 
(6) Cf "Blason de générosité", par F. Rodari en hommage à Michel et Loukie Rossier, publication de l'asssociation Arts et Lettres, Vevey, 2002, textes de Bernard Blatter, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Nicole Hirsch-Klopfenstein, 
 
(7) Cf aux éditions Urdla, l'essai de F. Rodari publié en 2007 "Victor Hugo, précurseur a posteriori".  
(8) Le catalogue de la Fondation Jean et Suzanne Planque s'ouvre sur un texte de Florian Rodari "le roman d'un collectionneur", articles de Nicolas Cendo, Jean-François Jaeger, Alain Madeleine-Perdrillat, Isabelle Monod-Fontaine, Maria Teresa Ocana, Jacqueline Porret-Fortel, Claudine Planque, Mousse Reymond-Rivier, Didier Schwarz, Claire Stoullig, et Bernard Wyder. 
 
(9) Cet article n'a pas souci d'exhaustivité. Il faudrait évoquer d'autres activités de Florian Rodari, par ailleurs conservateur de la collection d'estampes de la Fondation William Cuendet et Atelier de Saint-Prex, déposée au musée Jenish de Vevey. On pourrait aussi mentionner l'avenir immédiat de la Fondation Jean Planque qui, c'est presque officiel, devrait trouver un lieu permanent d'exposition dans le sud de la France.  
Membre du bureau de la
Donation Jacques-Henri Lartigue, Rodari est à Barcelone le commissaire d'une importante exposition de photographies "Lartigue / un monde flottant". Cette exposition soutenue par la Fondation Caixa sera de nouveau inaugurée en octobre à Palma de Majorque avant d'être présentée à Madrid.
Parmi ses autres publications, un "Fragonard" publié chez Herscher (1994), un essai "L'oeil du chasseur" et l'établissement d'une biographie pour "Tal-Coat devant l'image" (1997, catalogue Musée Rath de Genève, musées de Colmar et d'Antibes).
En 2010, à côté des
"Entretiens avec Claude Garache", un ouvrage collectif des éditions Hazan, Rodari publiera avec l'appui de Jean-François Barielle une monographie à propos de l'un des grands amis de Jean Planque, le sculpteur Kosta Alex (1925-2005) ainsi qu'un essai sur les photographies de Jacques Berthet. Autre projet de publication, aux éditions URDLA (Centre international du livre et de l'estampe) à Villeurbanne, "Giacometti, l'ajusteur".