Anthologie permanente : Nathaniel Tarn

Par Florence Trocmé

Arbres en souffrance 
ANDANTE MAESTOSO 
 
LE TRILLE 
 

Tout là-haut, il y a une fenêtre à tabatière, et un trille : 
un des oiseaux de la maisonnée au-dessus de ma tête – cette 
toute petite colonie d’habitués que nous possédons 
parmi les plus riches trésors du voisinage, grâce à 
leurs mares et leurs mangeoires pour oiseaux de passage. 
Devant nos yeux, une ligne de collines, une ligne de nuages : 
ils s’enlacent, un mariage en quelque sorte, avec mécanisme 
de hauts et bas – comme tout mariage, tout amour. Sombre jour 
de bonheur. Pluie en abondance, ici. Il n’y en a pas eu, 
de pluie, depuis un millier d’années nous semble-t-il, nez 
sec, gorge sèche, fumée dans les yeux pour des semaines. 
Jamais, disent les gens d’ici, jamais ça ne respire, mais ça coule à seaux. 
Quand les incendies ont pris il y a un mois, 
à partir des trois États, celui du nord, celui 
de l’ouest, et le nôtre de l’autre côté de la ligne des crêtes – fumée 
montant en nuage, lumière d’apocalypse, étouffement 
dès le matin. Il y a un signe chez les arbres, 
comme s’ils portaient un habit de deuil, 
leur habit de brun desséché, 
un signe prophétique : morts au milieu des vivants, ceux 
qui se languissent du déplaisir et ancien et futur, 
ceux qui vont s’endormir sans espoir de réveil. 
On sort avec la chienne, et c’est comme si un monde, 
un monde allait finir, comme si la bombe [la bombe, oui, 
vous vous souvenez] avait fini par tomber. Et pas 
une fleur au jardin de toute l’année, pas une seule 
fleur pour séduire le cœur en sécheresse. Mais, tout là-haut, 
le trille. Comprendre ! Comprendre là quelque chose 
à la fin : comment il se fait que tout est donné. Que tout 
se développe, et où cela mène, à quelle fin – 
là où tout semble sans fin [sans dessein final, sans 
téléologie]. Le trille de l’oiseau, est-ce un simple trille ? 
Un simple trille, et à jamais achevé ? Dans un avenir d’incendie ? 
Dans cet abyssal présent ? En chute verticale vers 
quelque concrétion, quelque étoffe de réalité là-dessous qu’il 
n’est pas possible d’atteindre – et il s’en tient là, ce 
trille [là, se tient ?], non : en suspens, plutôt, en suspens 
dans le repos de l’éternité sans repos de l’air. Et donc, oui, 
là-haut, ce trille. Si cela m’est impossible, la vie, 
la joie, en son rire de plus ancienne habitude – du moins 
ce bec. Que l’oiseau vive, ait sa joie, signifie qu’il existe 
quelque dessein dans l’absence de dessein. 
Aucun mouvement vers l’avant. Désespoir, 
de ne pouvoir avancer malgré vos efforts. Cependant, tout 
marche. Parfois, savez-vous, le poème ne 
peut s’arrêter : d’un jour sur l’autre, don de fragments. 
Nathaniel Tarn, poème est extrait du recueil Ins and outs of the forest rivers, traduction inédite d’Auxeméry.  
par Auxeméry 
 

Nathaniel Tarn dans Poezibao :  
bio-bibliographie, extrait 1, ext. 2 
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