Ici, le sort à subir n’est pas, comme celui qui menaçait Julie, le couvent ou la pauvreté, mais un mariage d’intérêt. Julie de Lespinasse pointe ici la dimension contraignante, voire tragique, du mariage pour une femme au 18e siècle. Mais elle n’exclut pas pour autant le bonheur de l’union conclue par raison : “Le comte de Crillon me paraît dans la meilleure disposition pour jouir sans trouble de son bonheur : il n’est pas amoureux ; sa fortune lui plaît, lui convient” (lettre 35). Elle ajoute tout de même dans la lettre suivante : “ce n’est pas encore là le bonheur que j’envierais. (…) il n’y a que l’amour passion et la bienfaisance qui me paraissent valoir la peine de vivre” (p. 95).
Elle-même a désiré conclure un mariage d’amour - sans y parvenir. Ses deux prétendants ont été retenus de mener à bien ce projet par des considérations sociales (opposition de la famille) et financières (Julie n’était pas riche). C’est donc qu’alors même qu’elle connaît les contraintes de l’institution du mariage tel qu’il existe alors, elle n’en croit pas moins à la possibilité d’un mariage heureux, qui soit un mariage d’amour. On se croirait presque dans du Marivaux, si n’était la fin tragique de Julie de Lespinasse : son premier amant mort, elle meurt à 44 ans, un an après le mariage de son deuxième amant avec une autre qu’elle.